Lucien LASSALLE

sommaire :
– ses diplomes
– centenaire de sa naissance
, avec les témoignages de :
         – Colette  LASSALLE-LAMY
     –  – Claude CHAPPEY
     –  – Jean-Pierre LASSALLE
–       – Michel WEULERSSE
         – Odile WEULERSSE-LARERE
VOYAGE A PARIS pour assister à la noce de Melle Berthe THUILLIER et de Lucien LASSALLE
– de belles activités syndicales
– témoignage de sa petite-fille Nicole LASSALLE – SABBAGH

 

ses diplomes :

Ancien élève de l’Ecole d’Arts et Métiers d’Angers (1887 – 1890)
Ingénieur de l’Ecole des Arts et Manufactures (Ecole Centrale de Paris)

 

centenaire de sa naissancecérémonie organisée par Tante Colette en 1972

témoignages de plusieurs descendants → extraits du Trait d’Union n° 12 – 1996

de Colette LASSALLE-LAMY

Je vais évoquer très rapidement le souvenir de Papa né en 1872. Depuis que je travaille tout particulièrement sur Paris, son souvenir m’est beaucoup plus vif qu’autrefois. Je me rends compte maintenant à quel point la Ville de Paris intéressait Papa et des conversations qui me semblaient tout à fait naturelles, me frappent plus particulièrement. Par exemple Papa me racontait toutes les histoires qu’il y a eues lorsqu’il a du démolir les coupoles de l’hôtel Astoria qui déparait la place de l’Etoile. A cette époque, cela ne semblait pas capital, maintenant cela serait une chose très importante. Il me racontait la création de l’avenue Paul Doumer qu’il a vu naître. Il n’y avait pas d’avenue Paul Doumer quand j’étais jeune. Puis vinrent tous les problèmes que cela posait de créer une nouvelle rue, avec des maisons qui rendaient problématique l’élargissement de cette rue. Beaucoup de conversations de ce genre me reviennent en pensée.

Ce qui est très étonnant c’est que maintenant, j’ai un métier de conférencière et Papa, s’il revenait au milieu de nous, serait vraiment suffoqué. Il trouvait que j’étais incompréhensible, que je parlais trop vite et que l’on ne comprenait rien de ce que je disais et c’était à un tel point qu’il avait demandé à Maman qu’elle me fasse donner des leçons de diction. Et l’on avait choisi Madame Suzanne Devoyot , il y a beaucoup de gens ici trop jeunes pour avoir entendu parler de Madame Suzanne Devoyot mais ce fut une très grande actrice du Français qui est venue me donner des leçons. Je préfère ne pas penser au prix que ces leçons ont dû coûter, choisir une actrice du Français qui venait boulevard Flandrin m’apprendre à parler ! Et au bout de quelque temps, Papa avait conclu que cela n’avait donné aucun résultat. Mais enfin, tant bien que mal, ma vie a continué sans amélioration !

Je repense encore très souvent à Papa car lorsque je fais des visites, quand je vais dans certains endroits tels que la Chambre de Commerce, le Crédit National ou d’autres, et que je dis que je suis la fille de Monsieur Lassalle, on me dit : « du Président Lassalle, vous êtes la fille du Président Lassalle ! » Alors les gens sont très impressionnés et cela me fait beaucoup de plaisir de voir à quel point son souvenir est resté vivace dans beaucoup de ces grandes maisons.

Je devrais dire tout ce que je dois à Papa mais je ne vais pas le faire aujourd’hui. J’évoque ce qui touche Papa et qui a des liens avec cette journée d’aujourd’hui, cet appartement où nous sommes, puisque c’est Papa qui nous a installés ici.

Tous les matins lorsque je me lève, j’ai devant moi l’hôtel Biron, un chef d’œuvre de Gabriel, un des plus beaux hôtels de Paris qui vient d’être restauré et qui est un plaisir pour les yeux. C’est Papa qui nous a installés là et je le revois encore. Combien de fois il est venu id avec moi, on montait sur les échafaudages avec un vieux commis de la maison Lassalle qui s’appelait Albert, Jean doit s’en souvenir. Et l’on disait on fera une fenêtre là, une porte là, un salon là et tout cela s’est décidé avec Papa, c’était toujours Papa.

J’ai vu arriver Jean Frézal, un élève très cher de Maurice. C’est grâce à Papa qu’il est entré dans le service de Maurice. Parce qu’un jour Bouchayer, le fameux Bouchayer, le fameux « cher Hippolyte », avait demandé à Papa : « est-ce que vous pourriez trouver une place d’interne à un de mes jeunes parents ? ». Papa avait reçu ce jeune étudiant sans y attacher une grande importance et sans savoir qu’il deviendrait une grande vedette de la médecine.

Il y a aussi l’histoire du grand officier de la Légion d’Honneur que l’on doit évoquer aujourd’hui puisque vous savez que l’on a remis cette grande décoration à Maurice. Dans un petit opuscule que nous avons sur Papa, on dit que Papa a été le premier entrepreneur à être nommé Grand Officier de la Légion d’Honneur ce qui a été un grand honneur pour la corporation. Je ne peux pas dire que Maurice soit le premier médecin à qui l’on remette cet insigne ! Mais nous en sommes tout de même très fiers !

Je pense que dans les discours qui vont suivre, aucun ne va évoquer la figure officielle de ce grand Monsieur et qu’au contraire, nous entendrons des discours qui montreront le côté très intime de Papa, le côté très familial, je m’en excuse d’avance pour les quelques personnes qui sont ici et qui ne font pas partie de la dynastie Lassalle.

Je suis très heureuse d’avoir pu organiser cette réunion et d’avoir groupé autour de nous, tous les enfants de Papa et tous les petits-enfants. Seuls Delphine et Pierre Baudry, à Tokyo, sont absents.

C’est un succès d’avoir réuni tant de descendants, c’est très amical et sympathique, il y en a qui sont venus de Genève, d’autres de Bordeaux et Marc, doit partir demain pour Grenoble. Je laisse maintenant la parole aux jeunes et vous prie de m’excuser d’avoir été si longue.

 

de Claude CHAPPEY

Pour l’instant je ne suis pas conférencier et ensuite mon père aurait dû me donner des leçons de diction, et n’en ayant pas prises, je suis un très mauvais orateur. Ce préambule étant dit, j’aimerais pour vous parler de Grand-Papa mettre l’accent sur deux points.

Le premier point : j’ai des souvenirs personnels. Alors vous allez trouver que cela est très égoïste et que je ne vais parler que de moi. Mais comme Tante Colette l’a dit, ce qui compte ici c’est la vie en famille, la vie de Grand-Papa – or c’est ce que je vais évoquer ici. Donc ce seront des scènes de la vie

Le deuxième point, je ne ferais pas de plaisanteries, parce que Tante Colette m’a écrit une très gentille longue lettre pour dire que cette cérémonie serait empreinte de gravité. Je regrette pour les plaisanteries car Grand-Papa aimait beaucoup les plaisanteries et il était un des rares hommes que j’ai connu qui accepte que l’on fasse des plaisanteries sur son dos. Il était très bon public même lorsque cela le concernait personnellement.

Donc Grand-Papa en famille. Grand-Papa, quand je suis entré dans la famille, n’était pas chef de famille. J’ai connu Grand-Papa dans une position tout à fait différente, j’ai connu Granny. Et Granny c’était vraiment la reine Victoria. Je n’ai pas connu la cour d’Angleterre mais je peux vous dire que Granny avait la noblesse, la prestance et l’autorité de la reine Victoria. Elle avait une personnalité extraordinaire. Alors Grand-Papa évidemment était un peu en dessous non pas par la taille mais parce qu’il n’avait pas autorité dans la famille et cela se sentait pour un enfant aussi bien boulevard Flandrin qu’a Vignacourt.

Le deuxième souvenir c’est le dynamisme de Grand-Papa. Nous habitions Danzig et je ne sais pour quelles raisons, sans doute parce que modeste employé de banque, mon père n’avait pas droit à de longues vacances, nous passions nos vacances à Zopot qui était le Deauville polonais. Deauville c’est vite dit car Zopot était à ce moment-là une sinistre plage. Et Grand-Papa, avec son dynamisme extraordinaire, c’était la première caractéristique de Grand-Papa, avait décidé qu’il n’y avait rien de plus amusant pour la famille du côté parisien, du côté Lassalle de venir tous nous rejoindre à Zopot. Alors voilà arrivant Granny, Grand-Maman et Grand-Papa à Zopot.

Mon premier souvenir de vacances et d’enfant avec Grand-Papa: nous avions droit après le petit déjeuner pris chez ma mère à aller prendre le petit déjeuner chez Grand-Papa dans le palace à Zopot. Alors je ne sais pas si j’ai été traumatisé par les petits déjeuners de ma mère, mais il faut dire que les petits déjeuners de Grand-Papa étaient rudement bons. Zopot avait une deuxième caractéristique mais je ne pense pas que Grand-Papa soit venu pour cette raison, c’est que c’est une plage sur la Baltique et que les jours d’ensoleillement étaient relativement faibles même au mois d’août et les gens se promenaient peu vêtus et jusqu’à un certain âge complètement dévêtus. Mais c’était la famille qui avait attiré Grand-Papa non pas le nudisme de 1923 ou 24.

Le troisième souvenir de Grand-Papa c’est lorsque nous revenions de l’étranger, que ce soit de Danzig, d’Allemagne ou d’Autriche, peu importe, nous passions nos vacances en France et nous arrivions le premier jour de l’été à Paris. Et par un système de « téléphone arabe », toute la famille convergeait boulevard Flandrin pour nous voir et c’était très émouvant. Il y avait un brouhaha, des rires, des cris, c’était très impressionnant. Et je me souviens entre autres, étant enfant, des voitures d’Oncle Jean et de Tante Ginette qui avaient deux petites Rosengart qui m’avaient beaucoup émerveillé. Je me souviendrais toute ma vie, nous devions nous coucher car nous étions sévèrement élevés par une Fraulein, à 19h30 et il y avait tout ce brouhaha qui montait dans les chambres du haut boulevard Flandrin et l’on entendait la voix de Grand-Papa qui était tellement heureux de voir tous ses enfants réunis autour de lui. Voici donc le troisième souvenir du temps de Grand-Papa. Je les ai mis en ordre chronologique.

Puis est venue l’époque où Grand-Papa aurait dû devenir mon père si j’ose dire. Comme vous le savez, je restais pour mes études en France et je restais donc chez mes grands-parents boulevard Flandrin. Alors maintenant Grand-Papa dans un autre rôle, celui de père. Je ne sais pas quel souvenir ses enfants ont gardé de son autorité paternelle, mais je peux vous dire tout de suite que comme petit-fils, ce rôle de père passait totalement inaperçu. Il ne s’occupait absolument pas de moi, il était d’un libéralisme absolument extraordinaire, il faut dire que Grand-Maman par contre était extrêmement sévère et s’occupait de mon éducation, Grand-Papa ne s’occupant pas des enfants de 11 ou 12 ans. Mais j’ai vécu des souvenirs inoubliables grâce à Grand-Papa boulevard flandrin. Il a fait tout de même preuve d’autorité une fois. Je m’en souviens très bien, Jean-Pierre doit s’en souvenir également. C’était en juin 1934, Jean-Pierre habitait à ce moment-là à la maison et comme tous les enfants nous nous disputions furieusement. Et je vois encore Grand-Papa, vers 19h30, revenant du travail nous convoquant tous les deux car Grand-Maman et Jeanne étaient excédées pour nous déclarer très sérieusement qu’il en avait assez et que la maison Lassalle viendrait le lendemain séparer le jardin en deux parties avec un clôture en grillage. Jean-Pierre et moi étions absolument atterrés non pas par la remontrance dont on se fichait complètement mais à l’idée que nous soyons séparés par un grillage, nous étions catastrophés. C’est le seul souvenir d’autorité que j’ai de Grand-Papa d’un point de vue paternel. Inutile de vous dire que le grillage n’a jamais été monté et que nous avons continué avec Jean-Pierre à nous disputer.

Boulevard Flandrin, Grand-Papa avait un double aspect. L’aspect de l’homme d’affaires dont je ne parlerai pas car je ne l’ai pas connu mais je le voyais arriver le soir et cela était absolument impressionnant de le voir arriver avec d’énormes sacoches bourrées de papiers. Et derrière lui suivait Charles avec deux sacoches aussi bourrées de papier.

C’était extraordinaire le tonnage de papier qui a pu passer boulevard Flandrin. Et Grand-Papa, avec un courage extraordinaire, sortant de table, se mettait au travail jusqu’à minuit et évacuait toute cette quantité de papier. Pour un enfant, c’était très impressionnant. A propos de papier, je me souviens que Grand-Papa et oncle Adolphe m’emmènent à Vignacourt et nous partons en micheline gare du Nord. Oncle Adolphe arrive avec beaucoup de documents, Grand-Papa avait aussi des tonnes de papier. Nous arrivons en gare de Longueau où Charles nous attendait pour nous emmener à Vignacourt et Grand-Papa avait laissé dans le compartiment une litière de papiers. Etant enfant, j’étais absolument révolté vis à vis des employés de la SNCF.

Grand-Papa était un grand travailleur. Il avait aussi une santé prodigieuse car il sortait très souvent et se levait tôt le matin. Je sais que chez Lassalle on commençait très tôt, je ne veux pas dire de bêtise, mais je crois me souvenir que Grand-Papa à 7h30 était chez Lassalle – or il rentrait de l’Opéra à 1 heure. Alors quand je pense à ce que me disait Oncle Maurice : en général, pour bien vivre, il faut dormir 8 heures. Je dirais que Grand-Papa ne dormait certainement pas 8 heures mais 6 heures par nuit.

A propos d’horaire, je vais parler de la vie mondaine de Grand-Papa. Il était très ponctuel, aidé en cela par Jeanne et j’entendrai toute ma vie Grand-Papa en bas de l’escalier appelant Grand-Maman qui n’était pas prête car elle ne disposait pas de Jeanne, et j’entends ce : « Berthe, Berthe », toutes les semaines à l’occasion du départ à l’Opéra et des diners en ville. Ce « Berthe » était une plaisanterie pour moi, je m’en souviendrais toute ma vie.

Puisque je parle d’Opéra, je vous parlerai de la vie artistique de Grand-Papa. Grand-Papa a eu l’occasion de s’intéresser aux arts. Tante Madeleine était très gentille, elle amenait les sœurs Crussart et je me souviens d’une conversation entre l’aînée des sœurs Crussart et Grand-Papa qui lui demande : « qu’est-ce que vous pensez des spectateurs qui viennent à vos concerts ? Ils ferment les yeux et semblent inspirés et absorbés ». Et la sœur ainée avait répondu : « Monsieur, je n’en doute pas, ils dorment ».

A propos de dormir, cela me fait penser au dimanche. J’aimais beaucoup les dimanches matin à déjeuner, après la messe de Gerson car Grand-Papa allait au cinéma tous les samedis soirs. Inévitablement, je lui demandais de me raconter le film qu’il avait vu. Grand-Papa alors, c’était sa grande plaisanterie, renvoyait la balle à Grand-Maman et lui disait : « Berthe, raconte donc à ce petit le film d’hier soir ». Et inévitablement, Grand-Maman répondait qu’elle avait dormi pendant toute la durée du film.

Quand Grand-Maman n’était pas là, Grand-Papa qui voulait toujours sortir accompagné, sortait avec Jeanne. La jeune génération a manqué quelque chose d’extraordinaire.

A cette époque-là, les femmes portaient des chapeaux et Jeanne affichait pour sortir avec Grand-Papa un chapeau absolument extraordinaire. Comment pouvait-on laisser entrer dans les salles de spectacle des femmes avec des chapeaux pareils. C’était la partie artistique concernant Grand-Papa.

Maintenant, je vais parler de ses rapports avec son beau-frère Oncle Adolphe. C’étaient des rapports courtois, ils n’avaient jamais la même opinion, j’ai assisté à des joutes très instructives pour les jeunes gens. Il avait des joutes également avec Oncle César. Mais du temps de Granny, c’était celle-ci qui présidait aux débats et c’est elle qui calmait les disputes généralement d’ordre politique.

Mes meilleurs souvenirs c’est avec Tante Lucie. Grand-Papa avait également comme caractéristique d’être très taquin, il adorait taquiner les enfants et tous les membres de la famille. C’était une forme de gentillesse. Il adorait taquiner Tante Lucie qui était toujours furieuse, elle avait des petits côtés que Grand-Papa saisissait au bond.

Puis Grand-Papa est monté en grade, dans la Légion d’Honneur, dans les présidences. Encore un souvenir, je signale à Oncle Maurice que quand Grand-Papa a été grand officier, partant à l’étranger à un congrès, il aimait se faire accompagner de main d’œuvre féminine comme femme de chambre et en l’occurrence il s’agissait de Monique. Il arrive à un dîner et une des personnes présentes s’approche de Grand-Papa et lui dit en regardant sa boutonnière : « Monsieur le Président, qu’est-ce qui se passe r Grand-Papa n’y prête pas attention et effectivement : Monique ayant trouvé que le canapé de Grand-Officier de la Légion d’Honneur était usé et sale, avait trouvé dans les boîtes de Grand-Papa des rosettes toutes rouges d’Officier, toutes belles . Et à la place de ce canapé un peu crasseux, elle avait mis la rosette toute rouge, elle avait trouvé cela beaucoup plus joli pour le dîner. Grand-Papa en a beaucoup ri devant les congressistes.

Encore deux caractéristiques concernant Grand-Papa. La première, j’y ai fait allusion, Grand-Papa était une locomotive extraordinaire. C’était un organisateur et avait un talent. Je me souviens à la mort de Granny la rapidité avec laquelle il avait organisé le voyage le long des châteaux de la Loire. Cela a été réglé en dix minutes en revenant de l’enterrement. Il a décidé que Maman, Grand-Maman, Philippe et moi nous partirions à quatre. Cela a été subit et très bien organisé. Il avait l’art de penser et d’organiser.

Le dernier souvenir, il avait un sourire très bon. Lorsque je suis revenu en janvier 1945, j’avais été absent pendant deux ans, sans nouvelle car la poste marchait très mal entre la France occupée et la France libre. Tout à coup, un dimanche de janvier je suis arrivé en avion au Bourget, il y avait de la neige sur la route et je suis rentré dans le salon. C’était après le déjeuner et on disposait les tables pour l’inévitable bridge du dimanche. La dernière évocation que je ferai de Grand-Papa, c’est ce sourire, je le vois au fond du salon, près de la cheminée boulevard Flandrin, je suis arrivé et le sourire pour m’accueillir, sa gentillesse et sa chaleur est un souvenir que je n’oublierai jamais.

de Jean-Pierre LASSALLE

J’ai accepté un rôle redoutable et très ingrat qui est d’évoquer le souvenir que Grand-Papa a laissé dans les milieux professionnels que je fréquente.

Alors, ceux qui m’ont précédé, Claude et Michel avec beaucoup d’esprit, Odile avec beaucoup d’émotion, ont décrit l’homme dans son milieu familial.

Et moi, je vais tâcher de l’évoquer dans tout ce qu’on me dit de lui, d’essayer de voir et de vous faire comprendre que dans le milieu professionnel, il était exactement tel qu’il vient d’être décrit.

Bien entendu il n’est pas de sanctuaire qui touche la profession de plus ou moins près où l’on ne pénètre et où l’on ne puisse constater qu’il a marqué son passage en ayant occupé des fonctions très élevées et parfois même, les plus élevées. Depuis quelques années, j’ai le privilège d’occuper des fonctions syndicales et fédérales beaucoup d’ailleurs plus au début par atavisme et par respect pour son nom et son exemple que par goût. J’ai donc l’occasion d’être en contact avec des hommes qui l’ont connu et qui l’ont approché. Et là je constate quelque chose de tout à fait extraordinaire, en général quand on évoque le souvenir d’une personnalité, on dit : »Il a fait ceci, il a fait cela, il a créé ceci, il a présidé cela ». Mais avec Grand-Papa, le souvenir prend une toute autre dimension. J’interrogeais récemment deux hommes qui sont des permanents de nos fédérations nationale et parisienne et je leur disais : »Vous avez bien connu mon grand-père ? » Et l’un et l’autre m’ont répondu à peu près ceci : » Bien entendu Monsieur nous avons connu le Président Lassalle qui était à l’époque déjà pour nous une grande figure du passé. Mais quel homme   c’était ! Quelle intelligence ! Quelle vivacité d’esprit ! Quelle lucidité ! Mais aussi quelle bonté, quels sentiments humains et par-dessus tout quelle modestie ! »

Dans un même ordre d’idées, j’étais invité récemment à une réception à la Chambre de Commerce et en arrivant, très en retard comme il se doit, quelqu’un que je connaissais dans l’assistance vient me trouver et me dit : « Ecoutez, il y a quelqu’un qui vous attend depuis 3/4 d’heure, il veut absolument vous voir, il a très bien connu votre grand–père ». Et effectivement, j’ai rencontré là un Monsieur dont je ne me rappelle plus du nom mais qui est assez haut placé dans la hiérarchie de la Chambre de Commerce et qui m’a dit à peu près ceci : « Quelle émotion pour moi de serrer la main du petit-fils du Président Lassalle. Je l’ai bien connu, c’était un être exceptionnel. Quand il nous a quittés, j’ai cru tout perdre ». Et à ce moment-là je me suis rappelé, et probablement beaucoup aussi d’entre vous vont se rappeler de cette cérémonie qui a lieu à la Chambre de Commerce précisément, Chambre de Commerce qu’il n’avait pas voulu quitter sans dire adieu au personnel et pendant qu’il leur parlait avec ses mots simples, émouvants et chaleureux qu’on lui connaissait bien, je regardais autour de moi et j’en voyais beaucoup qui avaient les larmes aux yeux. Et bien je crois, le connaissant, que c’était certainement, le plus bel hommage qu’on ait pu lui rendre.

C’était un homme exceptionnel et je constate qu’il a laissé un souvenir exceptionnel parce que je crois qu’il est exceptionnel que par-dessus les souvenirs de son action et de ses qualités professionnelles, ceux qui l’on connut aient gardé si vivant le souvenir de ses qualités et de son action d’homme. Et je crois que tout ceci est parfaitement illustré dans la dernière phrase de la plaquette commémorative qui dit : « Grâce à la conjonction exceptionnelle de traits si rarement réunis, il a pu se ranger au petit nombre des hommes qui, ayant accompli une grande œuvre, n’ont laissé derrière eux que des amis ».

Voilà l’impression que j’ai du souvenir qu’a laissé mon Grand-Père dans le milieu professionnel en vous priant de m’excuser d’avoir été si sérieux et à certains moments si ému.

de Michel WEULERSSE

Ne croyez pas que ce soit une compétition ou un marathon, mais on m’a demandé de dire mes souvenirs concernant Grand-Papa.

Mes souvenirs sont basés sur deux thèmes.

Le premier, c’est celui d’un petit-enfant qui souhaitait faire plaisir à son grand-père, je me suis donné beaucoup de mal pour cela, je ne sais pas si j’y ai réussi.

Le second ce sont les enseignements qu’a pu me donner Grand-Papa pendant toute mon enfance où je l’ai vu très longtemps et surtout très souvent.

Lorsque les enfants viennent chez leurs grand-parents, ils s’efforcent de leur faire plaisir. Moi, j’essayais très fort de faire plaisir à Grand-Papa. Ce n’était pas très facile. Je ne pouvais pas lui faire de cadeaux, il avait déjà tout. Cela se passait à un autre niveau, et à cet autre niveau je n’étais pas particulièrement bien placé pour le réaliser. En effet, souvenez-vous, au point de vue scolaire je n’étais pas le plus brillant, et je crois que ceci chagrinait Grand-Papa. Evidemment la route entre le dernier de la classe et le premier de la classe est longue et le travail est dur pour y arriver mais malgré tout, pour faire plaisir à mon grand-père je ne ménageais pas mes efforts.

Maman nous avait mis avec Odile dans une école dite moderne à cette époque, dont la principale caractéristique consistait à enseigner aux enfants ce qu’ils souhaitaient apprendre. Je pense que ce n’était pas la pédagogie de Grand-Papa.

Grand-Papa souhaitait sans doute, au contraire, un rabâchage complet de façon à ce que les enfants sachent ce que les grandes personnes voulaient qu’elles apprennent. Aussi lorsque nous allions à cette école, Grand-Papa s’était mis dans la tête de nous faire apprendre le nom des rues entre le boulevard Flandrin et l’école. Alors tous les matins, dans l’auto conduite par Charles nous devions décliner tous les noms. Je crois que ce fut un échec complet.

Je ne voyais pas du tout l’intérêt de savoir que l’on enfilait la rue de la Tour, que l’on croisait la rue Mignard, qu’on laissait sur la gauche l’avenue Rodin que l’on traversait la rue de la Pompe, laissait la rue Descamps, passait par la rue Marceline Desbordes-Valmore pour enfin arriver à la rue Cortambert.

Enfin, malgré tout, j’ai eu mes heures de gloire intellectuelle avec Grand-Papa. Grand-Papa faisait des mots-croisés. Je me souviens que c’était un mot-croisé du mercredi dans le Canard Enchaîné. Il était assis dans son canapé de cuir pendant que je regardais une des émissions vedettes de la R.T.F. de l’époque animée par le sympathique Jaboune ; Grand-Papa butait sur une définition et, si je me souviens bien de la définition, c’était à peu près celle-ci : « bien que vierge, reste au foyer ». Alors je me retourne vers lui et dis : » Vestale ». J’entends Grand-Papa compter jusqu’à 7, faire « hum, hum, c’est bien mon petit ». J’avais vraiment passé une excellente soirée.

Le deuxième défaut que j’avais aux yeux de mon grand-père était mon instabilité, mon incapacité à rester immobile plus de cinq minutes sur une chaise. Quand je voyais mon Grand-Père capable d’avoir des parties de bridge de cinq heures d’affilée, en face de trois personnes, sans rien se dire, je pensais que vraiment ma conduite était une tare. Par la suite, j’ai compris que cela ne devait pas avoir tellement d’importance puisque que Grand-Papa avait accepté de sacrifier la moitié de sa pelouse pour que son petit-fils puisse jouer au football avec ses camarades et qu’en conséquence, il préférait me voir dépenser mon énergie.

Je voudrais dire que la chose la plus importante que Grand-Papa m’ait apprise, c’est la faculté extraordinaire qu’il avait d’être aimé. Pour un enfant c’est fantastique de rentrer chez son grand-père et que ce grand-père soit entouré de personnes qui l’aiment. Toutes les personnes que j’ai pu croiser boulevard Flandrin aimaient Grand-Papa. Non seulement il était aimé mais il avait la possibilité, la faculté de rendre les gens qui se trouvaient autour de lui extrêmement heureux. Je crois que c’est parce que Grand-Papa ne méprisait personne. Le deuxième point est que Grand-Papa n’avait pas d’ennemi ou en tous cas je lui en connais très peu. Je crois qu’il m’a appris que les ennemis on était obligé de s’en faire au fur et à mesure de l’existence et qu’en conséquence il était inutile de s’en procurer soi-même, même si des situations étaient favorables à un certain moment et qu’il fallait être capable d’oublier qu’on vous avait fait du mal.

Je voudrais terminer en disant, comme Claude, que Grand-Papa était très taquin. Moi mes souvenirs sont beaucoup plus récents. Les deux personnes très taquines avec lesquelles je l’ai vu vivre étaient Tante Ella et l’Abbé Jarry.

En ce qui concerne Tante Ella, les discussions qu’elle avait avec Grand-Papa étaient toujours très amusantes. Grand-Papa outrait visiblement ses positions politiques jusqu’au moment où Tante Ella s’écriait : « Oh non, Lucien, tu ne peux pas dire cela »

En ce qui concerne l’abbé Jarry je crois que c’était surtout sa joie de vivre que Grand-Papa appréciait.

Je me rappelle un repas où Jeanne avait apporté une glace. Grand-Papa avait demandé ce qu’il fallait boire avec une glace. L’abbé, gastronome, lui répondit : « Monsieur, on ne peut boire que de l’eau ou du champagne ». Grand-Papa était très content et dit à Jeanne : « Descendez chercher une bouteille de champagne, apporter un verre, et trinquez avec nous ».

Le fin du fin était de réunir les trois et je me souviens d’un soir, en rentrant du lycée, je demandais à Jeanne en passant par la cuisine comment allait mon grand-père. Très bien, il y a deux personnes à dîner : « devine lesquelles ? » et j’ai répondu : « Tante Ella et l’abbé Jarry ».

d’Odile WEULERSSE-LARERE

(intervention de Tante Colette qui précise, pour ceux qui ne la connaissent pas, qu’Odile est agrégée de philosophie}.

Je n’ai pas de souvenir de petits déjeuners, mais j’ai des souvenirs de baignoire. Pendant la guerre nous habitions à Aix en Provence, dans un hôtel particulier très beau mais très à l’abandon, et nous n’avions pas d’eau chaude. Aussi, lorsque Grand-Papa et Mamine venaient à Aix, ils descendaient à l’hôtel du Roi René. C’était la fête : une robe, une chemise et un manteau bien chaud pour chacun, quelques gourmandises, et la visite une fois par semaine, au Roi René, pour profiter d’une baignoire remplie d’eau chaude et nous laver des pieds à la tête. Lorsque nous ressortions dans le hall, avec nos longs cheveux trempés, tout le personnel de l’hôtel nous dévisageait (c’est ce que je croyais en tout cas), devinant à quoi nous avions employé notre temps, et j’en était toute gênée.

Quand je pense à Grand-Papa, la première image qui me vient à l’esprit est une silhouette bienveillante et souriante dans ce grand canapé de cuir de la salle à manger en face de la télévision. Et je le vois entouré d’un concert de voix féminines, discutant, critiquant, avisant sur la réunion de la veille, le bridge du lendemain, le scandale de tel hôtel particulier qui se meurt sans que les pouvoirs publics interviennent ou au contraire, de telle décision gouvernementale, sujets qui variaient selon les tantes en présence, tantes qui avaient en commune, sinon les opinions, une prodigieuse facilité verbale, une volubilité qui me fascinait.

Et il me semblait qu’à Grand-Papa, ces bavardages étaient à la fois agréables, nécessaires, mais que cependant il les projetait toujours à l’horizon, aux frontières de son existence, pour garder sa respiration intérieure. Et cette sorte de participation lointaine de Grand-Papa aux enjeux toujours compliqués des tantes„ était d’un grand réconfort. Car les tantes se piquaient parfois de nous prendre à partie, nous demandant de répondre de ce que nous étions, pourquoi et comment étions-nous comme cela, et plus globalement pourquoi la jeunesse actuelle ne s’intéressait pas à l’actualité, quelle était son opinion sur l’existentialisme, etc. Déconcertés par l’ampleur des questions et notre incapacité à y répondre, la présence de Grand-Papa relativisait notre déconfiture, la replaçant dans des bruines lointaines qui atténuaient notre réelle déroute.

Grand-Papa était pour nous la juridiction suprême et la bonté suprême. Quand nous nous heurtions à des problèmes insolubles, que la vie devenait une impasse, Jeanne prenait sérieusement le problème en main et montait l’affaire devant « Monsieur ». Il fallait pour cela que l’affaire fut grave, car Jeanne résolvait elle-même maintes difficultés. « Ma grande, » me disait-elle. Bref l’affaire devant Monsieur inaugurait un temps d’angoisse, tout à fait inutile, car les solutions étaient toujours faciles et légères. Nous nous engagions à porter sur nos épaules nos bicyclettes sur les cinquante mètres qui s’étendaient sous les fenêtres d’Oncle Jo afin de ne point troubler son auguste pensée par le crissement des cailloux, à ouvrir les fenêtres avant d’envoyer des ballons pour éviter le bris des vitres, et à nous envoler comme des oiseaux au lieu de marcher sur les toits.

Et pourtant, jamais, peut-être à cause de la présence de Jeanne qui donnait à l’existence de « Monsieur » des pouvoirs quasi-magiques, jamais nous n’avons rapproché nos inquiétudes et les dénouements heureux qui s’en suivaient, jamais nous n’avons songé que tant de perfection ne pouvait que se manifester par de la bonté.

S’il y a une attitude de Grand-Papa qui m’a marquée et que j’admire encore, c’est bien son extraordinaire liberté par rapport à des tas de problèmes inutiles de ta vie. Je ne sais pas très bien ce qui comptait pour lui, sans doute étais-je trop jeune, mais je sais très bien ce qui ne comptait pas.

C’étaient tous les problèmes psychologiques épidermiques, les susceptibilités inutiles, les problèmes matériels que l’argent pouvait arranger, les difficultés sociales qu’un coup de téléphone pouvait aplanir, enfin tout ce qui entravait la vie par un côté à la fois pesant et mesquin.

A ce propos, j’ai un souvenir dont je me souviendrai toute ma vie. Le directeur du café du coin, le Flandrin, était venu voir Grand-Papa pour se plaindre et s’indigner de l’incorrection de ma tenue vestimentaire : j’allais en effet acheter mes cigarettes en blue-jean, ce qui risquait de faire fuir les clients. Je mets entre parenthèse le fait que ce reproche parait évidemment anachronique quelques quinze ans plus tard, mais c’est un autre problème. Pour Grand-Papa, seigneur des rares immeubles impairs du boulevard Flandrin, il fut certainement très désagréable de recevoir cette visite et de s’entendre dire que sa petite fille dépareillait le quartier. Et pourtant il ne me fut fait aucun reproche. Aucune remarque désobligeante sur ma manière d’exister si provocante, ni sur mes tenues vestimentaires. Jeanne m’a simplement demandé, mais comme une faveur, comme une gentillesse, de faire en sorte que Grand-Papa n’ait pas à subir davantage ce genre d’importunité. Je trouve que cette liberté de Grand-Papa était tout à fait admirable.

Il y a une autre image que je voudrais évoquer de Grand-Papa, c’est Grand-Papa dans le monde. Vous savez que certains soirs, on illuminait les trois salons en enfilade (originellement une chapelle) pour recevoir, dans une grande abondance de lumière, de mets et de boissons, des hommes et des dames qui n’étaient plus de la dernière fraîcheur et qui, pour cette raison, en rajoutaient sur l’élégance et les apprêts. Nous nous précipitions alors, prétextant quelqu’utilité peu vraisemblable, quelques gourmandises plus crédibles, puis nous nous cachions dans les coins. Particulièrement sous cet escalier, anciennement celui de la chaire, qui reliait la salle à manger aux salons d’apparat. Et là, bien dissimulée, j’entendais Grand-Papa qui, tout en descendant les marches, saluait les femmes qui montaient, et disait à la première qu’elle était la plus ravissante, à la seconde qu’elle était la plus belle, à la troisième qu’elle était la plus délicieuse. J’en étais atterrée. D’abord parce que cela dérangeait l’esprit logique que, parait-il, Maman a eu beaucoup de mal à m’inculquer mais avec un certain succès puisque la coexistence de ces superlatifs me déroutait considérablement.

Ensuite parce que je craignais que la seconde dame, ayant entendu les propos tenus à la première, ait moins de considération pour les remarques de mon grand-père, qu’elle ait pu même envisager qu’il disait n’importe quoi, ce qui était tout à fait incompatible avec l’idée que je me faisais de Grand-Papa. Mais depuis, j’ai entendu Oncle Maurice déclamer avec la même nonchalante indifférence les compliments les plus exorbitants et les femmes d’en être toujours ravies. Si bien que je me dis que je me posais de faux-problèmes et que la seconde femme, soit n’avait rien entendu de ce que l’on disait à la première, soit qu’elle n’y avait vu que la manifestation de la délicieuse politesse de Grand-Papa, se réservant pour elle, bien sûr, sa part de sincérité.

Grand-Papa. On dit que les grands-parents sont l’indulgence même pour leurs petits-enfants, sans doute parce qu’ils n’ont pas la lourde charge de leur éducation, sans doute aussi parce qu’ils ont parcouru un chemin de vie suffisamment long pour avoir une vision plus relative des problèmes de ce monde. Peut-être que Grand-Papa n’était pas de ces grands-pères qui ont avec leurs petits-enfants des conversations de fond sur le sens de l’existence, mais j’ai été frappée en pensant à lui à l’occasion de cette réunion, de ce que son exemple était encore proche. Je me souhaite d’être capable, comme lui, de rejeter l’inutile, et de regarder les autres avec la même intelligente bienveillance.

 

VOYAGE A PARIS pour assister à la noce de Melle Berthe THUILLIER et de Lucien LASSALLE – célébrée le 9 décembre 1896 – par Madame Achille LEFEVRE  (d’un ménage ami) – extrait du Trait d’Union n°6

Nous sommes partis Clément, Achille, Anne et moi le 8 décembre 1896 en exprès ; nous étions très bien tous les quatre ensemble dans notre compartiment. A Paris le soir, Mme et Mlles Thuillier nous attendaient à la gare. On nous a conduit à l’hôtel en face la gare de l’Est ; nous avions une chambre à deux lits et une à un lit pour nos chers enfants ; c’est Mr. Thuillier qui les a loué ; Melle Lucie4est restée avec nous à l’hôtel, Mme Thuillier et Melle Berthe sont parties à leur maison de commerce, recevoir les compliments et la magnifique corbeille de fleurs naturelles offerte par les employés. Nous allons dîner chez Mr. Thuillier, Bd Magenta 66 la nouvelle habitation. Le lendemain matin, nous y retournons prendre le chocolat. Nous allons tous les quatre au Louvre acheter nos cadeaux de noce. On rentre déjeuner ; on retourne à l’hôtel s’habiller. Une voiture vient nous chercher et nous conduit à la mairie du lOème arr.

Dans la rue il y avait une multitude de curieux, arrêtés pour voir la noce ; les trottoirs avaient au moins quatre rangées de monde ; il y avait une équipe de sergent de ville pour maintenir l’ordre. Les futurs époux sont arrivés les derniers; M. Léon Thuillier a appelé les invitées ; mon cavalier était Mr. Irénée Lestienne ; on est monté en rangs, c’était très imposant ! La Mariée était pavoisée ; de la verdure et des fleurs partout, c’était superbe. En entrant dans la salle où était Mr. le Maire et les adjoints, la musique a joué la marche nuptiale ; les orphéonistes ont chanté un chœur ; Mr et Mme Carembat ont joué un morceau de piano et violon ; un Mr a chanté un solo. Mr. le Maire s’est levé et a marié les jeunes époux ; il leur a fait un discours aussi remarquable que celui improvisé par son Adjoint, Mr. Fabre. Les témoins de la marié étaient Mr. Brisson, Président de la Chambre des Députés et Mr. Eugène Thuillier, son oncle. Ceux du marié Mr. Degaille, ingénieur et Mr. Lasserre son beau- frère. Chaque comité de Mr. Thuillier a offert une corbeille de fleurs et eu un discours. Tous ces compliments n’étaient pas exagérés ; ils disaient la vérité et c’était bien tourné. Mr et Mme Thuillier devaient être bien heureux ! On a joué beaucoup de morceaux de musique et pendant ce temps les demoiselles d’honneur accompagnées de leur cavalier on fait la quête ; il y avait Melle Lucie et Mr Landry ; Mr Léon et Melle Aron et trois autres couples. Melle Mélanie Bloch était du nombre. Mr. le Maire a invité les mariés et leurs parents à passer dans un salon où toute la noce est allée deux par deux serrer la main et embrasser les mariés ; la famille se groupait et restait ; nous étions parmi eux ; nous avons vu défiler à peu près quinze cents personnes et Mr. Thuillier leur a dit leur nom à tous à cinq ou six près ! Il y avait quatre invitations, une pour la mairie, une pour le lunch, une pour le dîner et une pour le bal. On est remonté en voiture pour aller chez Mr et Mme Thuillier où un lunch était servi. On y a mangé et bu de très bonnes choses et on pouvait admirer les belles toilettes. Nous avions chaque famille invitée, une voiture à notre disposition ; la nôtre nous a conduit chez un coiffeur où j’ai écrit en attendant mon tour à Mme Bizet pour la prévenir que nous acceptions d’aller dîner le lendemain chez elle. Ma chère fille s’est ennuyée d’attendre et la voiture l’a reconduite à l’hôtel où elle s’est coiffée seule. En sortant de chez le coiffeur, la voiture était de retour pour moi. Elle nous a repris tous les quatre pour nous conduire dîner à l’hôtel Continental. Cet hôtel, un des plus beaux de Paris, est magnifique ! grandiose ! On est servi par des domestiques en gants blancs. J’ai conservé le menu. Tout y était exquis ! On était 56 personnes à table. Mon cavalier était Mr. Ernest Lestienne. Après le champagne, on est allé dans un autre salon prendre le café ; ensuite on a ouvert le bal ; on était à peu près 110 personnes. Mrs Carette et Bourgeois m’ont fait danser ; ces Mrs Lestienne et Achille aussi. J’avais ma robe de satin à traîne qui ne m’a pas gênée. Je faisais société avec Mme Hamet, ma chère fille, Mme Anglade, qui était très bien coiffée et avait un beau corsage à grand col. J’ai remarqué au bal trois jeunes filles très brunes ayant un air imposant ; ce sont les Demoiselles Landry ; il y a deux jumelles. Melle Datat, une belle personne portant de beaux diamants et une très belle toilette très décolletée. De nombreuses jeunes filles et dames dont j’ignore les noms, toutes bien habillées ; Mme Carand une toilette superbe ; Mme Lestienne était comme une Duchesse ! Madame Thuillier était très bien et constamment occupée de tous les invités et Mr Thuillier aussi. Le buffet se trouvait dans le salon dissimilé derrière de la verdure et très bien composé de bouillon, chocolat, café, punch, champagne, glaces, sandwiches et une infinité de petits fours excellents. On a dansé jusque trois heures du matin. Les jeunes mariés étaient très gentils ; ils ont quitté vers minuit. Nous ne les avons pas revu le lendemain, ils sont partis en voyage.

Après le chocolat, j’ai aidé Mme Thuillier à faire son lit ; elle m’a confié un secret qui se saura plus tard.

Au déjeuner, il y avait Mr. Lasserre beau-frère de Mr. Lassalle ; après le déjeuner mon cher Achille est parti pour Vignacourt et nous a laissés. Mr. Thuillier m’a conduit chez Blazy frères pour prendre des renseignements pour mon canapé ; il a donné rendez-vous à Clément et à Anna aux Folies-Bergères. Ce qui m’a le plus amusé, c’est l’incomparable Little Tich avec ses grands pieds et la pantomime d’habits et l’orchestre dans le jardin composé de dames en uniforme jouant du violon, l’alto, le violoncelle, le tambour, la grosse caisse et le piano. Il y avait aussi quelques … {blanc) qui jouent. En sortant, nous sommes allées au bazar de l’Hôtel de Ville et en voiture dîner chez les Bizet rue Ruty, qui nous a fait un très chic dîner ; nous avons passé avec elle et Marthe quelques heures bien agréables. Le lendemain matin, Marguerite Anglade m’a accompagnée chez Blazy pour acheter des laines et canevas pour le canapé. En rentrant on était à table. Après le déjeuner nous avons repris l’express et nous sommes rentrés ici à 5 h.3/4 enchantés et conservant un excellent souvenir.

 

de belles activités syndicales  – mars 2021

Indépendamment de ses activités familiales (voir ci-avant) et de ses activités professionnelles à la tête de l’entreprise familiale de couverture-plomberie, Lucien LASALLE a développé une brillante activité « syndicale » :
– dès 1921, il est nommé à la tête de la Chambre Syndicale de sa profession;
– en 1933, il est nommé Président de la Fédération Nationale du Bâtiment et des Travaux Publics;
– en 1940, il est nommé Président de la Chambre de Commerce de Paris – Ile de France.

A ce derner poste, il prend ses fonctions le 12 janvier 1940. Il tient à les assumer pendant la guerre, pour ne pas abandonner ses Confrères et la profession.
 Il en est écarté (le 26 janvier 1944, un an avant la fin de son mandat de cinq ans) par Vichy qui lui préfère un fidèle du régime, Georges PAINVIN.
Celui-ci, à la Libération, fait l’objet de deux inculpations pour collaboration et doit quitter son poste le 12 décembre 1944.
Le gouvernement provisoire (gaullistes et résistants) intervient pour faire rappeler Lucien LASSALLE à la présidence en raison de son attitude irréprochable pendant toute la guerre.
Il termine son mandat normal en janvier 1946.

Il n’a pu être ainsi porté par ses Confrères, dont le cercle s’agrandissait largement à chaque étape, qu’en y manifestant ses dons et capacités :
– une compétence certaine due à l’exercice de son métier d’entrepreneur;
– une amabilité et une facilité de contact inhabituelles;
– une attitude bonhomme et pleine d’humour à l’occasion;
– une énorme propension à la résolution des problèmes, à la mise en forme de solutions accpetables par tous;
– une humilité naturelle.

Pour illustrer cette dernière caractéristique : en 1945, il avait à sa disposition une voiture de fonction avec chauffeur – il avait choisi le plus petit modèle : une SIMCA.

Ses mérites ont été reconnus par l’attribution de la Légion d’Honneur, dans ses différents grades successifs, jusqu’à celui, le plus élevé, de Grand Croix – il était fier, pour la profession, de se voir le premier entrepreneur reconnu digne de ce grade.

témoignage de sa petite-fille Nicole LASSALLE – SABBAGH

Mamine et Grand-Papa, deux « belles personnes » dont le nom que nous leur donnions résonne encore dans ma mémoire !

Ils sont associés au « boulevard Flandrin », l’un des lieux de mon enfance, théâtre des rencontres familiales avec les cousins.

Née en janvier, j’avais l’honneur de participer aux goûters d’anniversaires annuels, organisés dans la grande salle à manger, une grande et belle fenêtre donnait sur le boulevard, je la vois encore !

Un escalier en colimaçon montait depuis une très grand pièce, assez sombre dans mon souvenir, mais illuminée par le fameux tableau de Caro-Delvaille !

Grand papa, je revois son visage, aussi doux que celui de Mamine, en haut de ce petit escalier, il nous attendait avec son éternel sourire !

Petite fille, comment pouvais-je imaginer l’homme magnifique qu’il fut, connaître ses multiples présidences, tout ce que le Bâtiment lui doit encore aujourd’hui.

Mon père, puis mon frère ont eu la chance de suivre ses traces, de prolonger son œuvre au sein de la Maison Lassalle.

Trois générations d’hommes formidables qui nous manquent encore tant aujourd’hui, mais que nous avons eu la chance d’avoir comme exemples.