Saint Germain sur Vienne

de Catherine SPALTER-LAMY  → extrait du Trait d’Union n° 2 – 1994

En 1942, nos grands-parents, Berthe et Lucien LASSALLE, décidèrent de louer une propriété en Touraine pour les vacances de leurs petits-enfants. En effet, l’occupation allemande interdisait tout séjour au bord de la mer et Vignacourt, pillé et occupé, était inutilisable.

C’est ainsi que chaque été, pendant toute notre adolescence, mes cousins CHAPPEY et moi-même passâmes de merveilleuses vacances à Saint Germain sur Vienne.

Que faisions-nous dans ce château médiéval construit sans doute au XIXème siècle ?

Marc et moi jouions interminablement à la crapette, jeu de cartes qui nécessitait plus de vigilance que d’astuce mais qui permit à Marc, pendant des années, de répéter cette litanie peu flatteuse : « agissons avec tact et intelligence, ce qui n’est pas ton cas! ». Quand Marc ne me taquinait pas, moi qui était presque sa jumelle, il dévalisait la bibliothèque de notre voisine et propriétaire, Madame PORCHER. Il s’était en particulier pris de passion pour ZOLA, ce qui, à l’époque, n’était pas une lecture pour adolescent et ne manquait pas d’inquiéter les adultes qui, ne sachant trop que dire, ne disaient rien.

Nous jouions quelquefois au tennis sur un court en ciment craquelé avec des balles d’un autre âge. Nous jouions en double et pour créer un certain équilibre entre les deux camps, on me donnait Philippe comme partenaire. Notre équipe ne s’en sortait vraiment que grâce aux cris de Philippe qui, chaque fois que la balle se rapprochait de moi, disait : « laisse ! laisse! ». C est ainsi que mes progrès en tennis ont toujours été très lents !

En 1944, après le débarquement, nous étions, une fois encore, à Saint Germain. Comme il fallait rattraper le temps perdu par ces vacances très prolongées, Philippe me donnait des cours de maths. En échange, on lui jouait au piano SWING MINOR ou NUAGES qu’il venait de découvrir.

Pendant cette période assez dangereuse où les Allemands encore parmi nous, sentaient pourtant leur fin prochaine, Maman (Tante Colette) essayait de canaliser sa bande d’adolescents dont elle avait seule la charge. C’est ainsi que, pour éviter le désordre des repas, les conversations futiles, les remarques cinglantes et inutiles, Maman décida qu’à chaque repas, l’un de nous ferait un exposé qui serait sagement écouté par ses commensaux. Je ne sais si nous étions très attentifs mais je ne garde aucun souvenir des sujets qui ont pu être abordés pendant cet été 44.

Mais le souvenir le plus cuisant de ma jeunesse a sans aucun doute été cette séparation topographique des sexes. Les garçons, Philippe, Marc, Bamy, Didier, beaucoup plus nombreux, s’étaient vu attribuer un immense dortoir d’où les échos de leurs rigolades quotidiennes me parvenaient au loin. Quant à moi, seule fille du groupe, on m’avait isolée dans une chambre sans âme que je partageais avec ma toute petite sœur, Florence. Un soir, alors que je regagnai cette chambre, tous les meubles avaient disparu ainsi que mon lit. Marc et Bamy, mes cousins favoris, mes contemporains, ne m’avaient laissé que la petite sœur qui hurlait dans ce désert….