le bénévolat éducatif

Voici un témoignage de Zélie ALCHAMI :

Pendant plusieurs années, j’ai regardé ma mère traduire les demandes d’asile des syriens qui arrivaient jusqu’en France. Des centaines de récits, tous plus tristes les uns que les autres. Des gens venus chercher l’espoir d’une nouvelle vie mais qui portent un poids de malheurs immense. J’ai vu ma mère porter ce poids : en sauvant (oui elle en a sauvé bon nombre !) ces gens elle a pris de plein fouet leurs histoires qui sont devenues un peu la sienne.

Je voulais aider aussi, pourtant je craignais d’être grignotée également par la dure réalité de la condition des migrants -comme on les appelle- en France. Héritage de famille sans doute, j’ai choisi l’enseignement. Suivant une amie, je me suis inscrite en mai 2018 au BAAM, le Bureau d’Accueil et d’Accompagnement des Migrants, association à but non lucratif active depuis quelques années à Paris. Avec mon petit bagage de formation à l’enseignement du « français langue étrangère » (Fle),  j’ai commencé à donner entre 2 et 5 cours par semaine, de deux heures chacun. Ce fut une révélation.

Une bonne ambiance de classe, une convivialité, un appétit de comprendre se sont vite installés. Les cours organisés par le BAAM sont un peu particuliers : aucune inscription, aucune contrainte, les élèves débarquent à tout moment de l’année et peuvent disparaître aussi vite. Certains viennent à tous les cours sans exception et sont toujours là un an après. Chaque classe est un mélange sans cesse renouvelé d’origines, d’âges, de niveau d’éducation, de conditions sociales différentes.

Dans ma relation aux « élèves », de 16 à 60 ans, je suis leur professeur. Je leur transmets une langue et une culture que j’aime et dans lesquelles j’aimerais qu’ils soient accueillis. Face à moi, des sans-papiers, des réfugiés statutaires, des personnes en attente de réponse parfois pendant très longtemps. Certains ont traversé plusieurs pays et plusieurs mers et d’autres sont venus en avion avec un visa. Ceux qui ont vécu l’horreur côtoient les étudiants venus passer quelque temps ici. Pour la plupart je ne connais rien de leur histoire, tout juste leur pays d’origine. Notre rapport n’est pas celui des préfectures, des formulaires, des attentes de RSA, de CMU et des problèmes d’hébergement. Je ne suis pas là pour leur trouver des papiers ou un travail, et je crois qu’eux comme moi apprécions ces moments de répit dans le tourbillon de leurs vies parfois si difficiles.

Bien sûr, au fil du temps on apprend à se connaître, à s’apprécier. On forme maintenant une vraie petite classe où nous accueillons les nouveaux avec entrain. Je regarde avec joie et un certain attendrissement les maliens, tchadiens et congolais qui sont au cours depuis longtemps dialoguer (en français !) pleins de curiosité avec les mexicains, colombiens et brésiliens qui viennent d’arriver. Pour chacun, je fais régulièrement un CV, j’appelle la CAF, je trouve une chambre, j’apporte des livres. Une relation simple, amicale dans une salle de classe qui est un peu notre sanctuaire, notre « safe place ».

Au dernier cours, je leur ai lu le poème de Paul Eluard, « Liberté ». Ils ont adoré.

Elisa CHAPPEY, qui a eu connaissance de ce texte avant sa publication, en a fait le commentaire suivant :
Magnifique texte !!! Chère Zélie, je ne te connais pas, mais toutes mes félicitations pour la qualité du contenu et de l’écriture !!!
Ton texte me touche d’autant plus que moi aussi j’étais professeur de Fle, en Argentine, où j’ai longtemps vécu… 
A te lire je me suis dit que “ton” Fle était beaucoup plus utile que le mien, sans pour cela, bien entendu, dénigrer le Fle que j’ai pratiqué avec tous  types d’élèves  qui avaient en commun, et pour différentes raisons personnelles ou professionnelles, leur intérêt pour la langue et la culture françaises…
Mais le tien ouvre des portes, rassure, redonne une identité perdue en chemin, rappelle la dignité de chacun…
BRAVO!!!

Et voici la réponse de Zélie :
Elisa, tes compliments me touchent ! Merci. Contente de partager ça avec cette grande famille !

Nous serions très heureux de recevoir vos témoignages sur ce merveilleux sujet – et vos commentaires sur le texte de Zélie – et vos photos.