les enseignes de pélerinage

une exposition au musée de Cluny jusqu’au 8 septembre 1997 – extrait du Trait d’Uniopn n° 15 
A cette occasion, l’Abbé Mouzon m’a appris que Tante Colette était une éminente voire la spécialiste de Saint Michel.

Tante Colette et Saint Michel 
Caroline voudrait savoir pourquoi je me suis depuis longtemps intéressée à Saint Michel. C’est un sujet de thèse que j’avais choisi avec mon professeur André Grabar en 1938. Je n’ai jamais fait cette thèse mais j’ai écrit divers articles évoquant Saint Michel.

Récemment le sujet est devenu d’actualité avec la passionnante exposition qui se tient au Musée de Cluny actuellement sur les « Insignes et souvenirs de Pèlerins.

 

les enseignes du Mont Saint Michel
voici quelques extraits d’un opuscule rédigé par Tante Colette en 1971 sur les enseignes de pèlerinage du Mont Saint Michel à l’occasion du millénaire monastique du Mont Saint Michel. J’espère que cela vous donnera envie d’en lire davantage.

«… La plupart des pièces ont été exécutées en plomb, matière fragile. C’est l’eau où elles ont été le plus souvent recueillies qui les a sauvées.

… Il s’agit de souvenirs conçus pour les pèlerins, donc mobiles par destination, et le lieu de la découverte ne nous renseigne pas toujours sur leur origine.

… L’industrie du plomb ne remonte guère au-delà du XIII ème siècle. Son utilisation dans une intention religieuse est exceptionnelle. Autrefois les Chrétiens le redoutaient, lui attribuant quelque lien avec la magie. En outre, ce « plomb vil » était considéré comme une pauvre matière.

… Il peut paraître paradoxal de s’arrêter à l’étude de pièces si menues et de si peu de valeur à l’époque. Mais elles permettent d’imaginer ce qu’étaient autrefois les enseignes de bronze, d’argent, d’or, d’émail, de jais destinées aux rois, aux princes et aux seigneurs. De ces dernières, il ne reste presque rien ce qui donne plus de prix encore aux précieux souvenirs de plomb parvenus jusqu’à nous.

Quelle est l’origine des enseignes ? De bonne heure, les pèlerins ont cherché à se procurer l’objet-témoin qui attesterait de manière concrète la réalisation de leur voyage et serait pour eux une divine protection.

Les pèlerins emportaient comme des reliques les pierres de la basilique de l’archange. C’est après l’interdiction qui leur en a été faite qu’ils auraient eu pour habitude de ramasser des coquilles sur la grève. … Les savants se perdent en conjectures sur l’origine de la coquille. Les pèlerins de Saint Jacques l’ont adoptée depuis le XII è siècle.

Ceux qui se mettaient en marche vers Saint Jacques de Compostelle ont utilisé la coquille avant ceux qui se rendaient au Mont Saint Michel. Si elle est devenue l’emblème du pèlerin par excellence, n’y a t-il pas là une origine plus terre à terre ? Il était bien commode de posséder une coupe pour boire aux sources fraîches trouvées sur la route.

Au Mont Saint Michel, les grandes pérégrinations ne commencent qu’au XlVè siècle, sous Philippe VI et se terminent partiellement à la mort de Louis XI, aussi a t-on coutume de considérer l’archange Michel comme le saint des Valois.

C’est l’iconographie qui permet d’identifier les enseignes. Celle de Saint Michel est d’une richesse considérable mais relativement stable.  L’archange est particulièrement aisé à reconnaître car il est représenté terrassant le dragon. Ce thème de l’archange combattant est l’illustration d’un verset de l’Apocalypse XII 7,8 : « Et il y eut guerre dans le ciel, Michel et ses anges combattirent le dragon ». ..Sur son bouclier la croix est constante. …

A partir du XVè siècle, il figure le plus souvent en tenue de soldat ou de chevalier tenant la lance ou l’épée et un bouclier orné d’une croix. Lorsqu’il terrasse le dragon il est à pied ou dans les airs, et est rarement confondu avec Saint Georges généralement campé sur un cheval et ayant à ses côtés la jeune princesse. »

les enseignes de pélerinage – par Denis Bruna – extrait du Trait d’Union n° 21

Colette Lamy-Lassalle a laissé son nom au patrimoine du faubourg Saint Germain. Le professeur Jacquart aimait dire : « Colette connaît les hôtels particuliers du 7ème arrondissement de la cave au grenier ! ». Il est vrai qu’elle connaissait tout de ces demeures patriciennes : l’architecture, le décor, ses premiers habitants, un grand nombre d’anecdotes, etc… Cependant, Colette Lamy- Lassalle fut tout d’abord une médiéviste. A la Sorbonne, elle fut l’élève d’Henri Focillon – qu’elle appréciait beaucoup -, de Jean Hubert et d’André Grabar. Avec ses amies de l’université (May Vieillard-Troiekouroff, Denise Fossard et Élisabeth Chatel), elle s’intéressa d’abord à l’architecture et au décor des édifices religieux du haut Moyen Age. Avec elles, elle publia notamment un ouvrage sur Les églises suburbaines de Paris (1960).

Un jour, André Grabar, professeur d’histoire de l’art byzantin, lui présenta l’ouvrage de Paul Perdrizet Le calendrier parisien à la fin du Moyen Age. A plusieurs reprises, pour illustrer les vies des saints abordés, Perdrizet avait choisi des gravures d’enseignes de pèlerinage à l’image du saint correspondant. Grabar conseilla à Colette d’entreprendre une étude sur ces objets qui sont en fait des broches de plomb et d’étain achetées aux abords des sanctuaires par les pèlerins du XIIème au XVIème siècle. Avec l’énergie que nous lui avons tous connu, Colette prit son bâton de pèlerin et partit à la recherche d’informations en France comme à l’étranger sur ces petits objets négligés par les historiens depuis qu’un archéologue – Arthur Forgeais – leur avait consacré sa vie au milieu du XIXème siècle. Consciente d’étudier un matériel archéologique sur lequel il fallait attirer l’attention de ses confrères, elle publia de nombreux articles de référence sur le sujet. Elle travailla d’abord sur des enseignes découvertes à Rouen et conservées au musée des antiquités et dans une collection particulière à Lucerne. Elle dressa ensuite le catalogue des enseignes du musée des arts décoratifs de Lyon.

A l’occasion du millénaire monastique du Mont- Saint-Michel, Colette publia un article riche d’informations et incontournable sur les enseignes à l’effigie du saint archange. Cette publication marque le début d’une série d’études sur des groupes iconographiques et thématiques : saint Jean-Baptiste (1973), les enseignes à miroir (1973), saint Mathurin de Larchant (1988) et saint Léonard de Noblat (1990). Au cours de ces années de recherche, elle fut inquiète de ne trouver aucun jeune chercheur pour «reprendre le flambeau ou l’enseigne» – comme elle aimait le dire. Un professeur de l’École des Chartes lui recommanda un jour une de ses étudiantes, mais celle-ci ne fut pas séduite par les enseignes.

En 1989, j’envisageais d’entreprendre des recherches sur le sujet. Je découvris dans le fichier de la bibliothèque du musée de Cluny le nom : «Colette Lamy-Lassalle». Les avis des conservateurs confirmaient le fichier : « c’est la spécialiste incontestée des enseignes de pèlerinage». Je fus inquiet que cette historienne me reproche de vouloir marcher sur ses plates-bandes scientifiques. L’inquiétude fut de courte durée. Notre première rencontre – un jour de juillet 1989 – fut inoubliable. Bien sûr elle m’encouragea et quelques années plus tard me laissa «reprendre l’enseigne».

Avec les années, nos relations de maître à élève ont forgé des liens d’amitié extraordinaires. Certes, nous parlions toujours d’enseignes de pèlerinage Colette a relu tous mes articles, ma thèse, assisté à sa soutenance, à l’inauguration et à plusieurs visites de l’exposition que je fis au musée de Cluny -, mais nous parlions aussi de beaucoup d’autres choses, de la vie surtout, et Colette était aussi maître en ce domaine. Quel plaisir inoubliable de voir son sourire et ses yeux pétillants de joie et de tendresse en disant jusqu’au bout, telle une devise, : «la vie est belle».