la langue picarde

de la rédaction : le titre est provocant, nous le savons, mais les picards le ressentent ainsi !

sommaire :
– à propos du picard
– le picard dans la langue d’oil
– quelques repères
– quelques remarques
– quelques adresses
– une grande traite
– réputations
– ech’ cricri
– la bistouille

 

à propos du picard – par Laure Garnier –  extrait du Trait d’Union n° 6

Grâce à Laure (merci à elle), qui habite près de Beauvais, terre picarde, la rédaction du T U a eu connaissance d’un journal local largement consacré au « picard, langue d’hier et d’aujourd’hui ». Ce journal comportait l’indication d’une bibliographie : la rédaction a chargé l’un de ses envoyés spéciaux d’aller consulter les ouvrages cités et d’approfondir le choix du français comme langue juridique, au détriment du picard, par l’ordonnance royale de Villers Cotterêts en 1539.

Certains de nos lecteurs assidus, en effet, avaient pris pour de la provocation la mention, dans les commentaires sous la traduction du « pèlerinage  » parue dans le numéro 4, que le picard aurait pu être choisi comme langue nationale.

Le picard constituait l’un des dialectes de la langue d’oïl (celle du Nord de ce qui est devenu la France, par opposition à la langue d’oc, celle du Sud), au même titre que le normand, ou le « françois ». Ce dernier dialecte était celui parlé en Ile de France. Il a été appelé, par les linguistes du XIXème siècle : le « francien », pour le distinguer de ce qui est devenu notre langue nationale.

Les pratiquants des divers dialectes arrivaient bien à se comprendre : « on reconnaissait un picard à Paris comme on reconnaissait un Galiléen à Jérusalem » au début de notre ère. Saint Thomas d’Aquin, en 1256, indique qu’il existe des variantes des langages : « c’est évidemment le cas en France, en Picardie, en Bourgogne et pourtant il s’agit d’une seule et même langue ». On notera l’emploi du mot France pour désigner une région… Au Moyen-Age, les étudiants de l’Université (de Paris) étaient répartis en quatre « nations » : la française, la normande, l’anglaise et la picarde.

Précédée d’autres actes (notamment une ordonnance de 1510 et une déclaration royale de 1533), l’ordonnance de Villers Cotterêts, en août 1593, sur « le fait de la justice » a pour premier objet d’abolir l’emploi du latin dans les documents juridiques, et notamment dans les arrêts. Les articles 110 et 111 (l’ordonnance comporte 192 articles !) stipule nous voulions et ordonnons qu’ilz (les arrêts) soient faictz et escriptz si clerement qu’il n’y ayt ne puisse avoir aucune ambiguité ou incertitude, ne lieu à en demander interprétation. Et pour ce que de telles choses sont souventes fois advenues sur l’intelligence des motz latins contenus esd. arrête, … »

Quel « langaige », alors, employer ? Les actes précédents préconisaient le « vulgaire et langage du pals » ou « la langue vulgaire des contractons », ce qui permettait le recours aux dialectes locaux, bien compris des plaideurs et des parties.

L’ordonnance de Villers Cotterêts va plus loin, en imposant le dialecte de l’Ile de France, la « langue du Roi », « le langage maternel françois et non autrement ». Alors que ce « françois » n’était, pour une grande majorité de sujets du royaume, pas moins une langue savante que le latin … !

Il faut voir là le souci d’unifier la langue, et, partant, la justice, l’administration et donc le royaume. On dirait, aujourd’hui qu’il s’agit d’une manifestation de nationalisme. Il ne faut quand même pas regretter que notre France actuelle ait pu se constituer !

Ainsi le picard s’est vu préférer un autre dialecte pour une simple raison géographique : il n’était pas celui de la région où habitait le roi. On a même pu écrire « la Picardie a été la mauvaise conscience de l’espace national qui s’est constitué dans son ombre pour lui voler ensuite le jour ».

L’ordonnance de Villers Cotterêts a été très rapidement prise en considération dans les actes juridiques : décisions des tribunaux, actes notariés, etc … L’usage du latin n’a persisté que dans L’Eglise. Les effets de l’ordonnance ont été renforcés, s’il en était besoin, par la Révolution Française, qui « tenait les dialectes et patois pour responsables d’une mauvaise diffusion du catéchisme nouveau » (rapport de l’abbé Grégoire,1773).

Mais les parlers locaux ont persisté jusqu’à nos jours.

Le picard était encore, en 1939, le parler courant des habitants de Vignacourt. Notre cher aïeul Alfred, né natif de ce beau village, a très certainement parlé picard avant de parler français. Sans doute il a, par la suite, abandonné le picard : on peut même s’étonner de ce que, à l’instar de nombreux picards, il l’ait totalement répudié : il n’a jamais parlé picard à ses petites-filles, même sur place à Vignacourt.

On retrouve ici la gêne, pour ne pas dire la honte, éprouvée à parler un dialecte, alors que le « régionalisme », pour ne pas dire le particularisme, renaît partout. Mais seules certaines régions remettent à l’honneur leur parler : la Bretagne, la Corse, notamment. Après la dernière guerre, l’université d’Amiens avait institué une licence de picard : elle l’a supprimée en 1980 !

Consolons-nous, dans l’immédiat, en rappelant que de nombreux picardismes sont passés dans le français : bourgeron, caillou, cloque, essieu, fabliau, rescapé, vergue …

Rappelons que La Fontaine termine sa fable XVI du livre quatrième : « le loup, la mère et l’enfant », par un dicton picard :

Biaux chires leups, n’écoutez mie
mère tenchent chen fieux qui crie.
(beaux sires loups, n’écoutez pas une mère tançant son fils qui crie).

 

le picard dans la langue d’oil

Notre picard n’est qu’une des variantes de la langue d’oil.

Les picardophones (cela doit bien se dire..) se sont toujours fait comprendre des normands, orléanais, et de tous les autres voisins (différents des bretons, des flamands, des lorrains, des alsaciens, et, bien sur, des pratiquants de la langue d’oc).

A telle enseigne, en ce qui concerne les normands, que les linguistes parlent parfois du  »normando-picard » – vous trouverez, dans l’église d’Evreux, un pilier orné d’un « maqueu d’soup » (paysan mangeur de soupe), expression que les picards estiment typique de leur parler.

D’autant que les linguistes, encore eux, ont constaté un phénomène de continuité : il n’y a pas rupture quand on passe d’un pays à un autre, de la Picardie à la Normandie par exemple – d’ailleurs, les limites géographiques sont imprécises : elles ne sont pas matérialisées sur le terrain – on se comprend toujours entre proches – nous avons déjà indiqué, dans une livraison antérieure du Trait d’Union, qu’il existait de très nombreux pariers picards : en voici une illustration.

 

quelques repères – de Philippe Delmas – extrait du Trait d’Union n° 22

      – pour les amoureux du gothique :  les « carnets » de Villard de Honnecourt (1225 – 1250) sont rédigés en picard.

      – à propos de la langue picarde :  le site Internet http.7Zwww.multimania.com/lanquepicarde comprend de fort intéressantes informations sur la langue picarde, son histoire, sa géographie, son statut, et des éléments de linguistique et de littérature.

      – dictionnaire picard : les amateurs peuvent désormais disposer d’un dictionnaire picard sur le site  http://www.multimania.com/chti/frame.htm

      – de l’influence du picard sur la langue anglaise : « I n’én o gramint d’mots inglais qu’i viénn’té d’éch picard, preuve qu’o n’a point bsoin d’imprunteu : « rluqueu » a donné « to look » – « wigneu » (se lamenter) a donné « to whine » – « ahotcheu » (accrocher) a donné « to hook »,   (extrait de « ch’lanchron », numéro de Janvier 1999).

      –  de la culture de la vigne à Vignacourt – extrait de « vivre en Picardie au Moyen Age » par Claude Vaquette : « Le vin est aussi répandu que la bière. Les vignobles plantés autour de la ville d’Amiens donnent une quantité importante de raisin, ce qui nous semble incroyable et c’est pourtant exact. La vendange occupe autant de monde que la moisson

      – petite étude liguistique extrait du Trait d’Union n n° 4 – omme on peut le voir (ou plutôt l’entendre : le picard est une langue parlée : il faut le lire à haute voix), le picard n’est qu’une déformation du français (ou : le français n’est qu’une déformation du picard).

Plus précisément, et plus exactement, c’est le français qui est une déformation du picard, lequel ressemble fort à « l’ancien » français (ce dernier mot se prononçait : françois). .

Le picard a failli devenir le vrai français. CALVIN prêchait en picard à Genève.

Quelques mots singuliers :
– tiot, souvent orthographié tchot (la prononciation réelle se situe entre les deux, quoiqu’il existe autant d’intonations que de villages…) se retrouve dans : petiote; en dehors de ses acceptions premières, de petite dimension, ou d’enfant, le mot peut avoir une connotation affective = ma chère (c’est le cas ici)
– rataïon n’existe pas en français- blanc bonnet (= épouse) est une expression imagée, comme il en existe beaucoup dans les parlers locaux; une lucarne d’une maison se dit ; eune belle voisangue (= voisine) : c’est tout un programme !
– erbeyer (= regarder) n’existe pas en français – ou bien c’est une déformation de « revoir », avec le changement, fréquent, du « re » en « er » (voyez le formaggio italien, qui est resté la fourme auvergnate, mais qui, pour l’essentiel, est devenu le fromage) et du « v » en « b », mais je ne sais pas..
– moufter (= parler, presque toujours employé négativement) n’existe pas dans le Littré, ni dans le Larousse, mais figure dans le dictionnaire de l’argot moderne (par Sandry et Carrère, commissaires divisionnaires à la Sûreté Nationale) avec le sens : ne pas protester
– muché (= caché) existe dans le Larousse Lexis (vient du gaulois, 1159 : familier et dialectique)
– déberlinguer n’existe pas en français (mais le mot est expressif)
– mie (= pas) figure dans le Littré : particule explétive qui renforce la négation, et qui n’est plus guère usitée
– s’rameinteuvouer (= se souvenir) n’existe pas en français
– tertous = tous; je ne sais d’où vient le préfixe ampliatif !
– parlache existe sous la forme : parler

 

quelques remarques :

– de  Philippe Chappey
Le nom du boulanger vient d’un ancien nom picard : « Boulenc » qui désigne le pain rond, la boule, seule forme de pain jusqu’au XVIIème siècle.
Cette information figurait sur le papier entourant une baguette de pain récemment achetée par Philippe Chappey.

– de Pierre Delmas
Le fleuron de la traite picarde – par Thierry Bruneau
Chez les Godard, on naît dans les copeaux depuis que Joseph, en 1885. a commencé à réaliser des traites de Vignacourt, du nom de son village situé à une dizaine de kilomètres au nord d’Amiens. Le petit-fils. Gérard, perpétue cette production avec son fils Philippe. Cette traite (buffet) de Vignacourt constitue le plus beau fleuron du mobilier picard ; datée de 1850, inspirée du style Louis XV, c’est la plus finement sculptée, avec sa marguerite, ses boutons d’églantines et le cœur, en symbole du mariage, qui était l’occasion d’acheter la traite. En merisier ou en chêne, Gérard et Philippe réalisent des modèles qui vont de 1,80 mètre à 3,30 mètres de long, ce qui représente entre 140 et 200 heures de travail… et un siècle et demi d’histoire du mobilier. ® Philippe et Gérard Godard, 114, chemin des Huys, lotissement Le Vert Galant, 80650 Vignacourt. Tél. : 03 22 51 33 08.
les amateurs peuvent désormais disposer d’un dictionnaire picard sur le site : http://www.multimania.com/chti/frame.htm

 

quelques adresses

Office de tourisme, 6 bis, rue Dusevel. Tél. : 03 22 71 60 50. www.amiens.com/tourisme. Visite des tours de la cathédrale, de 14 heures à 18 heures l’été.

Maison des hortillonnages, 54. boulevard Beauvillé. Tél. : 03 22 92 12 18. Visite en barque d’avril à octobre, tous les jours à partir de 14 heures.

Musée de Picardie, 48, rue de la République. Tél. : 03 22 97 14 00. Collections d’anti­quités et d’archéologie, du Moyen Age et de peintures du XIVe au XXe siècle.

Musée de l’Hôtel de Berny, 36, rue Victor-Hugo. Tél. : 03 22 97 14 00.

Musée d’histoire picarde et locale, bâtiment du XVIIe siècle, jardin à la française.

Domaine de Samara, site préhistorique reconstitué, jardin botanique, artisans et expositions – 80310 La Chaussée-Tirancourt (15 km à l’ouest d’Amiens). Tél. : 03 22 51 82 83 –  www.samara.fr     

 

une grande traite picardeextrait du Trait d’Union n° 19

50 000 F. Grande traite picarde en chêne mouluré et sculpté de pampres et de fleurs, ouvrant en partie inférieure à quatre portes séparées de dormants, simulant trois tiroirs et en partie supérieure à trois portes vitrées (petite restauration au centre de la traverse du haut) (Toulouse, 21 septembre. Étude Arnauné et Prim).       

La traite est le meuble picard par excellence. Servant à ranger la vaisselle et le linge de table, la traite aux proportions parfois étonnantes prenait place dans la pièce, qui servait à la fois de cuisiné et de salle de séjour. Les plus recherchées sont celles réalisées dans la région de Vignacourt pour la qua­lité et l’exubérance de leur décor : oiseaux, paniers fleuris, frises de pampres et de vigne rappelant le nom de la ville.

 

réputations – de Philippe Delmas  → extrait du Trait d’Union n° 18 – 1999

Je lis dans une revue picarde quelques réputations du temps passé ; « ches beudets d’Fléchelle » – « chés mulets de St Vast » – « Ailly, ché un poéy ed’bandits » – à St Sauveur, village d’usines «y o pu ed’putains qu’ed voleux » – « chés conterbaindiers de Wignacourt … o n’o qu’à n’alla à Vignacourt  pour treuver feux témoin » – « chés tchots allapins blancs éd Vignacourt ».

Je connaissais le surnom des habitants de Flesselles (village situé à 5 km de Vignacourt) : ces gens-là sont tous des ânes, des baudets – ceux-ci ricanent, ce sont des ricaneux, ou, en abrégé, des caneux : ce dernier terme était le surnom du tenancier du Café du Parc à Vignacourt, car ce tenancier était originaire de Flesselles.

Par contre, je n’avais jamais entendu parler des petits lapins blancs de Vignacourt : quelles délicates allégations cette définition pouvait-elle masquer ? Pour en savoir plus, j’ai écrit à la revue : voici la réponse : « Après la guerre de 14-18 et ses horreurs (voir le cimetière de Vignacourt), les habitants se sont lancés dans les plaisirs de la paix revenue : fêtes des écoles, fête locale – un jour une association a fait du théâtre : on a fait danser les petits enfants déguisés en lapins blancs – à l’époque les marchands de toute sorte entre autres les « coconiers » (ou « coquetiers »: collecteurs d’œufs, de poules, de lapins) passaient régulièrement, et, en picard, faisaient l’éloge de leurs fêtes – quand un coconier pouvait avoir des lapins blancs, nous avions droit à « si oz’avouêt vu chés tchos allapins blancs éd Vignacourt », et c’était reparti.

 

ech’cricri  : une fable à la sauce picarde

Nous avons retrouvé, dans les archives de la famille Thuillier, une fable qu’a du apprendre notre aîeul Alfred

nous vous suggerons de monter le son de votre haut-parleur pour bien entendre la récitation de la fable.

 

une recette : la bistouille (ou bistoule)

Tante Colette se souvient avoir souvent entendu Granny parler de la bistouille.

J’ai donc demandé à notre spécialiste de la Picardie, ses us et coutumes, à savoir Philippe Delmas, de nous en donner la recette.

Voici ce qu’il nous indique :

« C’est, en Picardie, un café chaud arrosé d’eau de vie.

Pou fouaire eun boèn bistoule :
Oz’ prindez eun tiote tasse ed câfé
Oz’fouaites un tiot treu
pi oz’i varsé eun goutte ed’din

Pour faire une bonne bistouille :
vous prenez une petite tasse de café (pas un bol – et, sous-entendu : chaud)
vous faites un petit trou (en en buvant une gorgée)
puis vous y versez une goutte (d’alcool) – en fait : un peu plus qu’une goutte !

Quel alcool ? celui que vous avez sous la main : du genièvre (c’est souvent rude), de la prunelle = fruit du prunellier ou gravinchon (c’est toujours très rude), de l’eau de vie, ou du cognac.

A la vôtre