Arcachon

souvenirs de Catherine LAMY-SPALTER

→ extrait du Trait d’Union n°7 – 1995

C’était l’été 1939. L’enfant insouciante que j’étais passait des vacances paisibles à Hardelot puis à Vignacourt avec ses chers cousins, Marc et Bamy.

Cependant, sentant venir une guerre imminente, mes parents faisaient déjà des projets pour nous éloigner de Paris à la rentrée. Grâce à l’aide de Monsieur Georges Weulersse, beau-père de Tante Madeleine, qui possédait une villa au Moulleau et qui se mit en quête d’une autre villa pour les Lamy, nous passâmes toute l’année 1939-40 au Pyla, près d’Arcachon. Les deux sœurs, Madeleine et Colette avaient en effet décidé de se rapprocher dans l’adversité. Elles n’étaient plus qu’à cinq minutes à bicyclette l’une de l’autre et purent ainsi se soutenir moralement pendant cette période.

Sol Y Luna, cette villa où nous nous installâmes dès la déclaration de guerre, était un petit bijou dont je me souviens encore avec émotion. Un jardin de mimosas à droite, un bois de pins à gauche, une fôret en face.

Au lieu de commencer ma 6è au lycée Victor Duruy et d’aller à pied en classe en suivant le morne boulevard des Invalides, je fus inscrite au lycée d’Arcachon où je me rendais à bicyclette. Ce lycée avait été installé, pour les besoins de la guerre dans une superbe villa de la ville d’hiver, lycée où deux entrées avaient été aménagées, l’une pour les garçons, l’autre pour les filles car cette mixité extrêmement rare pour l’époque devait être contrôlée avec vigilance.

Didier se rendait chaque jour dans une école primaire tout près de Sol Y Luna. Son institutrice, venue du nord, avait un accent picard qui contrastait étonnament avec celui des autochtones.

Jusqu’au 10 mai 1940, fin de la « drôle de guerre », nous eûmes une vie paisible. Miss Ena, notre gouvernante écossaise, promue chef de cuisine mais qui restait « nurse » pour s’occuper de Florence âgée de quelques mois à peine, nous emmenait cueillir des champignons ou ramasser les copeaux qui provenaient des saignées faites dans les troncs des pins pour en recueillir la résine. Cette affaire de champignons ne plaisait guère à mon père pour des raisons à la fois gustatives et médicales. Au cours d’une de ses permissions, pour le tranquilliser, je lui dis qu’il n’y avait pas lieu de s’inquiéter puisque tout était soigneusement vérifié dans le dictionnaire !

Nous allions souvent à la villa Moune. Nos cousins Weulersse, qui n’étaient que deux à l’époque, étaient très jeunes : quelques mois pour Michel, une année de plus pour Odile.

Il n’était donc pas question de jouer avec eux mais nous étions convoqués pour les distraire pendant les repas car ils avaient peu d’appétit. Curieuse méthode dont j’ignore encore si elle fut efficace !

Georges Weulersse, « Papa Jo » pour ses petits-enfants était prof d’Histoire-Géo à ce fameux lycée d’Arcachon. Il avait repris du service pour remplacer ses collègues mobilisés et faisait 4 fois par jour le trajet entre Moune et le lycée. Cela faisait mon admiration mais certainement pas mon envie. En fait, ma plus grande inquiétude était de l’avoir comme professeur. J’avais peur que, m’ayant comme élève, il ne découvrit mon inintérêt pour l’histoire et la géographie et qu’il ne le révelât à ma famille. Mes craintes furent heureusement vite dissipées. J’eus un autre professeur dont je ne garde aucun souvenir !

Puis la « drôle de guerre » prit fin. La panique s’installa. L’exode commença. Nos cousins Lamy qui s’étaient installés à Cabourg, en Normandie, débarquèrent un beau jour avec automobiles, remorques, matelas et même leurs vêtements du dimanche. Outre mon oncle et ma tante et leurs trois enfants, il y avait deux domestiques. Il fallut caser tout ce monde là dans notre petite demeure. Ma mère le fit avec son sens de l’hospitalité bien connu. Pour nous, ce fut encore la belle vie avec ces cousins tombés du ciel de Normandie qui avaient juste notre âge. Deuxième bienfait, le lycée ne fonctionnait plus qu’à mi-temps.

Cette période d’exode nous amena également Jean-Pierre Lassalle qui vint s’installer à Moune à la demande de son père. Jean-Pierre avait peut-être quatorze ou quinze ans. Il était en seconde et on le scolarisa dans le même lycée que moi. Je me souviens toujours de ces quelques cahiers qu’il tenait avec désinvolture sous le bras et le prestige de cet ainé très indépendant qui, en plus, subissait la redoutable épreuve d’avoir « Papa Jo » comme professeur.

Puis ce fut Bamy qui se trouva un jour propulsé dans un home d’enfants à Arcachon. On lui avait appris à fabriquer des pipeaux de différentes tailles, des graves et des aigus. Lorsque nous allions lui rendre visite, il nous jouait des airs à notre grand étonnement et notre non moins grande admiration.

Nous étions donc en mai, ou en juin. Tout commençai à tourner au vinaigre. Les Allemands s’approchaient et, une nuit, Miss Ena dut partir précipitamment car ses compatriotes qui avaient recensé tous les britanniques restés en France, l’embarquèrent immédiatement pour l’Angleterre. Nous n’eûmes plus de ses nouvelles pendant cinq ans.

Petit à petit, les mobilisés revinrent et puisque c’était l’été, ils restèrent au Moulleau. Un jour, tante Madeleine eut l’idée de faire un pique-nique dans les Landes avec mes parents et un de ses beaux-frères. Il s’agissait de partir à bicyclette dans la forêt, d’y dîner et de rentrer avant la nuit. Hélas, cette famille de géographes avait oublié la boussole et nos quatre pique-niqueurs se perdirent. Il se mit à pleuvoir. Ce ne fut que le lendemain à midi que je retrouvai enfin mes parents que je croyais disparus à tout jamais me laissant la charge de ce petit bébé d’un an que je gardais sur mes genoux dans une attente angoissée. Je suis souvent retournée au Moulleau depuis cette année 39/40 grâce à la gentillesse de tante Mad qui m’y a souvent invitée et à Laurette qui m’a même accompagnée jusqu’à mon lycée 50 ans plus tard ! Mais ce ne fut jamais pareil.