Triel

souvenirs de Philippe CHAPPEY – extrait du Trait d’Union n° 3 – 1994

Les bons souvenirs de jeunesse restent à jamais gravés dans notre mémoire. Ceux dont je voudrais vous entretenir remontent à 1943/1944 et sont situés à Triel où Tante Colette avait la gentillesse de recevoir ses neveux, grands adolescents, Jean-Pierre (Lassalle) et moi-même, pendant les petites vacances scolaires.

Nous nous y rendions en prenant un des rares trains (seul moyen de transport disponible à la fin de la guerre) à la gare Saint Lazare et descendions en gare de Verneuil-Vernouillet sur l’autre rive de la Seine. Puis nous faisions 2 à 3 kilomètres à pied pour rejoindre la propriété par une route située, au milieu des champs après avoir traversé la Seine sur le pont de Triel, resté intact malgré plusieurs bombardements alliés. (Depuis cette plaine est très urbanisée alors qu’à l’époque il n’y avait en vis à vis de la maison que la Seine et les champs à perte de vue).

La propriété est à l’écart de l’agglomération dans une zone d’autres propriétés et d’habitations individuelles. Elle est au bord de la Seine dont elle n’est séparée que par un chemin de halage et comporte un quai privé avec un anneau d’amarrage. Mes souvenirs ne sont peut-être pas d’une précision exemplaire, mais c’est comme cela que je revois maintenant le site. La maison est orientée nord-sud.

Le rez-de-chaussée, très surélevé (probablement par craintes des crues) comportait, outre la cuisine et une salle de rangement, une grande salle de séjour éclairée des deux côtés, au sol carrelé, dans laquelle se trouvait une grande cheminée et sur la droite l’escalier menant à l’unique étage. Cinq ou six chambres et une salle de bains occupaient tout l’étage.

Les occupants en étaient, outre Tante Colette et nous deux, Catherine avec parfois une amie et Didier avec parfois un camarade et le dimanche, Oncle Maurice.

Je me rappelle des merveilleuses soirées passées devant la cheminée à bavarder, à lire ou occupés à quelques jeux de société. Nous y faisions provision de chaleur car, si mes souvenirs ne me trompent pas, la maison était bien équipée d’un chauffage central mais celui-ci ne pouvait être utilisé faute de charbon, nous étions en pleine guerre.

Bien des marchandises étaient fort rares à cette époque et le rationnement alimentaire existait. Mais ce qui ne manquait pas c’était la Suze. Cette liqueur au subtil parfum de gentiane faisait nos délices. Oncle Maurice qui soignait les familles propriétaires de ce merveilleux élixir recevait régulièrement non pas une bouteille mais une caisse, je suppose, car malgré notre consommation il en restait toujours. Tante Colette souhaitait nous limiter à deux verres à liqueur par soirée mais celle-ci se prolongeant et la fraîcheur des rives du fleuve se faisant plus vive, nous avions droit à plusieurs dégustations supplémentaires.

Dans cette grande pièce se trouvait aussi la grande table en bois sur laquelle avait dansé, avait assuré l’antiquaire, la belle Otero. Je savais qui était la belle Otero, mais ce nom n’évoquait pas pour moi une irrésistible beauté car j’avais vu une photo d’elle, par Nadar, je crois. Le sens de la beauté est parfois une question de mode. Ah, si l’on m’avait dit que Danièle Darrieux ou Martine Carol avaient dansé sur cette table, c’eût été beaucoup plus évocateur pour moi.

J’étais par contre beaucoup plus intéressé, ainsi que Jean-Pierre, je suppose, par nos voisines. Il s’agissait de deux jeunes filles dans nos âges, d’un aspect charmant et habitant la grande propriété voisine. C’eût été parfait pour nous deux. Mais voilà. Nous avions beau essayer d’attirer leur attention, ces demoiselles semblaient ne pas nous voir.

Nous croisions en bateau devant leur grand jardin, sans résultat aucun. Tante Colette a du s’apercevoir de cet intérêt car elle déclara un jour pour stopper nos essais « ce ne sont pas des gens bien ».

Le bateau qui appartenait à nos hôtes était un « chat ». Ce bateau à voile, entièrement en bois et ponté avait été dessiné pour la mer. Il était un peu lourd pour la navigation fluviale. Mais nous le trouvions magnifique et étions si heureux de naviguer à son bord. Il devait mesurer dans les 5 mètres de longueur. Son mât devait culminer à 5/6 mètres. La grand-voile et le foc étaient immenses et lourds (le dacron n’était pas employé encore pour leur confection).

Notre grande occupation, matin et après-midi, était de faire du bateau, qu’il pleuve ou non. La Seine en cet endroit est très large. Nous tirions des bords d’une rive à l’autre en bordant le plus possible les voiles pour giter. Quelle ivresse de filer à x nœuds, l’eau venant frôler le bord du pont.

D’autres fois, par vent arrière, nous remontions le fleuve parallèlement au bord dans un silence total troublé seulement par les clapots de l’eau sur l’étrave ou le plongeon de quelque rat d’eau. Nous avancions ainsi pendant une bonne heure pour atteindre Médan où je croyais apercevoir la maison de Zola que j’imaginais recevant ses nombreux amis sur sa terrasse.

Catherine venait parfois à bord seule ou avec une amie. Nous la mettions alors à contribution pour les manœuvres. « Borde ton foc » hurlait le barreur, Jean-Pierre le plus souvent. Cela ne devait lui plaire qu’a moitié de se voir ainsi apostrophée. Aussi ne venait-elle pas souvent avec nous. C’était bien triste car sa compagnie était charmante.

Mais nous nous faisions une raison car elle représentait un poids supplémentaire. Et comme chacun sait, en navigation, le poids c’est l’ennemi.

Je m’en excuse aujourd’hui auprès d’elle car c’était quand même un peu beaucoup « son » bateau.

A la fin du séjour, nous devions rapporter le bateau au chantier naval où il était gardienné et éventuellement mis en cale sèche pour l’hiver. Le patron de ce chantier était un énorme personnage régnant sur un désordre indescriptible de bateaux de toutes tailles, de tous âges, de piles de bois, de ferrailles, de moteurs en réparation. Il devait être très compétent. En tous cas il employait un tas de mots touchant à la technique navale dont j’ignorais complétement le sens. Nous le respections car il entretenait bien notre chat.

Voilà quelques souvenirs merveilleux que je dois à Tante Colette et à mes cousins Lamy. Qu’elle et ils en soient ici encore une fois remerciés.

 

souvenirs de Philippe Delmas

Ma tante Colette, ma marraine, très généreuse comme à son habitude (.. jusqu’à l’inconscience pour ce qui me concerne) me prétait son bateau à voile, un monotype « chat », amarré près de sa propriété.

Je me souviens de mon effroi, quand, voulant franchir le cable reliant les deux rives, sur lequel glissait une poulie liée à un bac (qui, à l’époque, suppliéait au pont démoli), je me suis aperçu que le mat ne passait pas sous le cable – au dernier moment, une risée salvatrice a fait giter le bateau, qui est passé ! la chance des innovcents !

Et d’un autre effroi quand j’ai voulu aller sur le bassin de Meulan, où s’ébattaient de très nombreux voiliers, qui, eux, connaissaient bien les règles de priorité (babord amures, ou quelque chose comme ça ?) – je me suis empressé d’en sortir

J’ai noté l’irréalisme des règlements : j’avais appris que tout bateau à voile avait priorité sur les bateaux à moteurs : allez exliquer cela à une péniche avalante !

 

souvenir – anonyme

on peut faire du dériveur en restant élégant.