François PARMENTIER – dit FRAPAR
AUTOPORTRAIT – extrait du Trait d’Union n° 6 – 1995
Comment devient-on dessinateur humoristique ?
Puisque le titre de ce bulletin y invite, je vais vous dire d’abord quel genre de lien me rattache, comme un wagon, à la famille Chappey. Françoise Chappey, épouse Bastid, a eu, comme chacun sait, quatre enfants et je suis l’époux de l’un d’entre eux, Anne, puisque c’est la seule fille – et l’aînée – des Bastidiens de Marnes-la-Coquette. Pièce rapportée, je suis une sorte de fou du roi, un dessinateur-humoristique, dont vous avez pu voir les hiéroglyphes accompagnés de phylactères, dans ces pages.
Je me suis baptisé Frapar en 1974, il y a vingt ans, quand j’ai commencé, sérieusement si je puis dire, dans la carrière de gribouilleur professionnel.
Beaucoup de gens m’ont demandé et me demanderont encore comment je suis devenu dessinateur humoristique. Vous ne me le demanderez plus ….
A la vérité, j’ai eu de la chance (ou la main heureuse) de tomber dans une famille qui avait le culte de l’image. Mon grand-père maternel faisait beaucoup de photos et de la peinture du dimanche. Ma mère alla à l’école des Beaux-Arts de Reims puis à l’Ecole des Métiers d’Art de Paris et se spécialisa dans le vitrail. Pas étonnant que l’on vît, dans les années 50, mon frère aîné et moi-même passer des journées entières à dessiner, sous cet arbre généalogique-là. En réalité, mon frère m’incita vers l’âge de 5 ans à le suivre dans la réalisation de dizaines de petits personnages filiformes en mouvement, comme ceci :
Vers l’adolescence, il abandonna le dessin d’humour pour se tourner vers l’écriture. Mon plus jeune frère, lui, s’adonna à la musique et s’il n’eût pas de goût pour les hanches galbées du violoncelle, en eût pour les anches de la clarinette. Moi, pendant ce temps, j’ai fait du dessin, plus classique, et de la peinture. Tout en m’inscrivant aux cours du soir des Beaux-Arts, je me lançais, parallèlement et en particulier pendant les cours de sciences et de mathématiques au lycée, au dessin d’humour, la vocation m’étant venue à la lecture de Tintin. J’avais 16 ans. Un an plus tard, j’allais, sur les traces des Monnet, Van Gogh et consorts, peindre avec un ami d’origine espagnole, sur le site, c’est-à-dire dans la campagne environnant Clermont-Ferrand où j’habitais alors. Je potassais longuement, par passion, les bouquins d’art : Delacroix, Géricault, Manet et les peintres de la Renaissance. A la même époque, je m’abreuvais à « Charlie Hebdo » et admirais Sempé.
Je caricaturais mes camarades de classe, mes professeurs, relatais des évènements de la vie du lycée, dont les séances de plein-air du samedi matin. Mes premiers dessins humoristiques échangés contre pièces sonnantes et trébuchantes furent des caricatures de mon professeur de Français, sorte de Père Goriot du XXème siècle. Ces caricatures réalisées sur quelques centimètres carrés étaient coloriées et collées sur des boîtes d’allumettes que je « dealais » à des copains de classe …. pour la somme dérisoire de 1 franc pièce !
Le destin avait-il sonné au timbre des pièces tombées dans ma poche ? Pas encore. Après le baccalauréat A, je m’inscrivis aux Beaux-Arts où trois matières retinrent mon attention : la gravure, la sculpture et l’histoire de l’art. La deuxième année, je séchais une partie des cours pour faire du théâtre. D’abord quelques affiches, puis des décors. J’ai aussi « travaillé » un rôle dans « Les Justes » de Camus – le rôle de Voinov, le terroriste terrorisé. Et j’ai joué le rôle de régisseur, en fin de compte : éclairages et son. En 1973, je suis venu à Paris à l’école Claude-Bernard, près du Parc des Princes pour passer des examens aux fins d’obtenir un professorat de dessin que je ne postulais pas vraiment(c’était mon « alibi » pour aller aux Beaux-Arts de Clermont-Ferrand). J’obtins néanmoins un certificat de dessin et un autre d’histoire de l’art.
Je fus ensuite appelé sous les drapeaux, en Allemagne, à Fribourg. Bizarrement, c’est là-bas que j’eus ma première commande sérieuse, pour un dessin romantico-surréalistico-symboliste, commande passée par une française habitant Fribourg. Je fis même de grands dessins (1,50 mètre x 5 mètres ou 4 x 4 mètres) pour décorer les bals des officiers – des dessins « classiques », j’entends. Parallèlement, je me défoulais en caricaturant les appelés et les gradés et mon meilleur public n’était autre que mon adjudant-chef, pour lequel je n’avais pourtant pas la mine tendre !
En automne 1974, j’échouais à Paris, chez ma grand-mère paternelle. Je démarchais des éditeurs pour leur proposer des dessins documentaires ou des illustrations. En vain. Ma grand-mère supportait de moins en moins bien ce jeune homme qui restait des jours entiers à la maison, à enfumer son appartement avec les volutes de ses cigarettes à l’eucalyptus (pour soigner une affection des voies respiratoires passagère)… et qui ne faisait pas un travail sérieux ! Alors, j’ai pris le mors aux dents et réalisais en quinze jours un dossier de dessins d’humour et allais frapper aux portes. Je fis quelques dessins pour une association de chantiers de jeunesse puis je fus engagé un jour par « Le Journal du Dimanche ». Un bon pied à l’étrier pour un cavalier inexpérimenté ! Une planche de dessin de salut ! Quand je revois rétrospectivement les dessins que je faisais à l’époque, je me dis qu’ils ont été sympas de me donner ainsi l’opportunité d’apprendre mon boulot sur le tas !
Je n’avais presque plus le temps pour les « œuvres sérieuses » et d’autre part, je découvrais au fur et à mesure toutes les possibilités du dessin d’humour en tant que moyen de communication. En quelques années, j’ai travaillé pour un bon nombre de journaux et de périodiques, jusqu’en 1984, où j’ai même eu, pendant un an, ma carte de presse. Mais je n’en tirais aucune vanité, car, contrairement à la plupart de mes collègues, je ne me considère pas comme un journaliste. Je préfère la catégorie des artistes et aucun de mes meilleurs amis n’est dans ma profession. Je suis plutôt attiré par les musiciens, les comédiens, les décorateurs, les écrivains et plutôt par les « artisans » que par les intellectuels.
Récemment je me suis remis à peindre, exclusivement à l’aquarelle, parce que c’est frais, léger, spontané et difficile.
Je dessine aujourd’hui pour la presse spécialisée, les journaux d’entreprises, l’édition, dessine pour des plaquettes, affiches, booklets, dépliants, diaporamas etc. Depuis cinq, six ans j’ai réussi à concilier mon goût pour le théâtre – ou plutôt le spectacle – et le dessin : je réalise des dessins en direct lors de conventions d’entreprises ou d’associations et ces dessins apparaissent sur écran géant en temps réel. Et j’ai la sanction immédiate du public ! C’est vital dans ce métier où l’on est finalement très esseulé et où le seul public, ce sont les éditeurs, les rédacteurs en chef, les directeurs artistiques et ici ou là, par hasard, un de vos amis qui a vu un de vos dessins quelque part… A la télévision (j’ai fait quelques émissions, dont un « Droit de Réponse » avec Michel Polac en 1986), on n’a pas ce privilège de voir immédiatement la réaction du public. Mais dans une salle, avec 200, 500 ou deux mille personnes, on le sent le public ! Et ce n’est jamais acquis d’avance, c’est un challenge constant, un risque sur le fil, on ne sait jamais d’avance si on va être bon, passable ou médiocre … ou carrément bon pour recevoir une cagette de tomates trop mûres ! Ce n’est pas encore arrivé, je touche du bois … de cagette !
Je dois vous avouer que me considère comme un privilégié, sachant que c’est avec mes petits dessins rigolos que je fais vivre depuis de longues années une famille de cinq personnes ! Au fait, je vous les présente : Anne, ma femme, qui m’aide beaucoup dans mon travail sur le plan administratif et relations publiques – et sans qui je ne serais pas capable de tenir un rythme de production parfois effréné – et ensuite : Charles (12 ans), Isabelle (10 ans) et Alexis (5 ans) …
Et en fait, je ne devrais jamais dire : « Je travaille », car ce n’est pas un emploi, un effort ou une tâche – même si ce n’est pas toujours facile – mais plutôt dire : « Je m’amuse ». J’envie les acteurs qui, comme les enfants, ont le droit de dire : « Je joue! ».
Eh bien, en fait, je peux le dire : « Je joue … en amusant les autres » !
p.s. : il y a quelques années, j’ai fait, pendant plusieurs numéros, des dessins pour la revue « REFLET » (Editions Hatier – Alliance Française) avant de découvrir qu’un membre de la famille Chappey y travaillait aussi : Elisa Chappey, chargée, elle, de réaliser les cassettes audio qui accompagnaient cette revue de français langue étrangère …