Berthe LASSALLE (THUILLIER-)

sommaire :
– sa vie
– voyage à Paris pour assister à la noce
– un lycée de jeunes filles à la fin du siècle dernier : le lycée LAMARTINE
– un dessin
– le témoignage de sa petite-fille Nicole LASSALLE-SABBAGH

 

sa vie – par sa fille Colette LASSALLE-LAMY) – extrait du Trait d’Union n° 5 – 1994

 Berthe Lassalle, née Thuillier, ma mère, est née le 12 juin 1875 à Paris et est décédée le 22 août 1948 dans cette même ville.

Maman représente bien la jeune fille accomplie de la fin du XIXème siècle bien que sa famille soit très anticléricale. Berthe vit dans une ambiance austère, surtout en ce qui concerne l’éducation des jeunes filles. En présence de ces demoiselles, on surveille avec beaucoup d’attention les sujets de conversation et le langage : ainsi, à la table d’Alfred Thuillier, son père, un ami parle d’une femme « enceinte » : « Ce monsieur ne remettra jamais les pieds chez nous » précise Alfred Thuillier le lendemain.

En 1891, Berthe entre au Lycée Lamartine au moment de sa création (voir annexe). En 1895, à l’âge de 20 ans, alors qu’elle n’est jamais sortie seule, elle épouse civilement et en « grande pompe », à la mairie du Xème arrondissement, Lucien LASSALLE, camarade de l’Ecole Centrale de son frère Léon. Il est alors décidé que les deux beaux-frères dirigeront conjointement la maison THUILLIER FILS & LASSALLE. Malheureusement, à l’âge de 28 ans, Léon décède laissant une jeune épouse, Lasthénie et un bébé, Ella. Berthe pleure son frère auquel elle était très attachée et qu’elle voyait souvent puisqu’il venait tous les jours rendre visite à sa mère, Granny !

Mais mon propos est de parler de Maman, la mère de cinq enfants : Germaine, Simone, Jean, Colette, Madeleine et dont je suis la seule survivante.

Maman est une mère très attentive mais, comme souvent à l’époque, elle ne s’occupe guère de ses enfants, ayant à son service nurse, gouvernante, femme de chambre …. Elle ne vient nous voir que lorsque nous sommes malades. Elle met alors une blouse blanche et s’installe chez nous à l’étage au-dessus et Papa de dire : « Berthe est heureuse, la voilà garde-malade ! ».

Entre 1914 et 1918, Maman prend la place de Papa au Bureau (maison Lassalle) où elle fait un excellent travail. Le jour de son retour de la guerre, Papa prie son épouse, qui s’est avérée une très bonne gestionnaire, de reprendre sa place à la maison. Elle accepte immédiatement, sans réclamation, sans même songer qu’elle mérite mieux que de faire salon tous les jours avec sa mère et sa sœur.

Elle ne s’occupe pas du tout de nos devoirs mais en revanche, elle suit de très près nos progrès en piano. Maman était très musicienne. Elle jouait du piano et fort bien. Nous étions tous heureux de l’entendre, surtout quand elle chantait « Le Roi des Aulnes ».

Les familles Lassalle et Landry réunies formaient un orchestre qui exécutait « Le Carnaval des Animaux » de Saint-Saêns. Maman était au piano, Lucie (épouse Landry) au violon, Lala au violoncelle, Paul (Landry) à la flûte, Madeleine et moi tenions le triangle.

Des liens étroits unissaient ces deux familles à tel point qu’elles se retrouvaient tous les dimanches soirs, soit chez les Lassalle, boulevard Flandrin, soit chez les Landry installés à la Villa Montmorency. Une domestique devait rester un dimanche sur deux pour servir le dîner qui ne comptait pas moins d’une douzaine de convives. Les deux beaux-frères, Lucien Lassalle et Adolphe Landry bien que très différents de caractère, d’intérêt et de profession, s’entendaient à merveille.

Mes souvenirs de Maman me reviennent. Elle avait des goûts simples et aimait rester chez elle alors que Papa n’envisageait pas de passer un samedi soir à la maison. Papa aurait beaucoup voulu que Maman s’habillât chez les grands couturiers de l’époque : Doucet, Lelong, Lanvin, alors qu’elle adorait sa petite couturière de la rue Pixérécourt ! Elle n’avait pas non plus le goût de son mari pour le bridge. La cuisine l’intéressait fort peu. Un ami de la famille disait : « Quel dommage que les Lassalle n’aiment pas la bonne chère. Ils pourraient se permettre de nous offrir tant de bons plats ! ». En fait Maman s’en remettait à la cuisinière, Henriette, qui faisait presque tous les menus. Mon mari, Maurice Lamy, a été lui-même victime de l’adoration d’Henriette pour les rognons qu’il détestait tant qu’il a été fiancé !

Maman consacra une grande partie de sa vie aux fondations charitables laïques de la mairie du XVIè et au Syndicat de Garantie (œuvre sociale du bâtiment) que mon père présidait, sans oublier son rôle auprès des anciennes élèves du Lycée Lamartine. Presque tous les après-midis, elle se rendait à l’ouvroir de la mairie où elle taillait des vêtements destinés aux nécessiteux du quartier. Sa nature altruiste et sa grande gentillesse l’ont toujours portée à venir en aide aux familles défavorisées.

Les petits-enfants Chappey, Lassalle, Lamy, Weulersse, qui l’ont côtoyée de près, « Grand-Maman » pour les uns, « Mamine » pour les autres, ont certainement gardé le souvenir d’une grand-mère très calme, très douce, très artiste, très attachante. 

 

                                   

                                  

 

 

 

 

 

voyage à Paris pour assister à la noce de Melle Berthe THUILLIER et de Lucien LASSALLE – célébrée le 9 décembre 1896 – par Madame Achille LEFEVRE  (d’un ménage ami) – extrait du Trait d’Union n°6

Nous sommes partis Clément, Achille, Anne et moi le 8 décembre 1896 en exprès ; nous étions très bien tous les quatre ensemble dans notre compartiment. A Paris le soir, Mme et Mlles Thuillier nous attendaient à la gare. On nous a conduit à l’hôtel en face la gare de l’Est ; nous avions une chambre à deux lits et une à un lit pour nos chers enfants ; c’est Mr. Thuillier qui les a loué ; Melle Lucie4est restée avec nous à l’hôtel, Mme Thuillier et Melle Berthe sont parties à leur maison de commerce, recevoir les compliments et la magnifique corbeille de fleurs naturelles offerte par les employés. Nous allons dîner chez Mr. Thuillier, Bd Magenta 66 la nouvelle habitation. Le lendemain matin, nous y retournons prendre le chocolat. Nous allons tous les quatre au Louvre acheter nos cadeaux de noce. On rentre déjeuner ; on retourne à l’hôtel s’habiller. Une voiture vient nous chercher et nous conduit à la mairie du lOème arr.

Dans la rue il y avait une multitude de curieux, arrêtés pour voir la noce ; les trottoirs avaient au moins quatre rangées de monde ; il y avait une équipe de sergent de ville pour maintenir l’ordre. Les futurs époux sont arrivés les derniers; M. Léon Thuillier a appelé les invitées ; mon cavalier était Mr. Irénée Lestienne ; on est monté en rangs, c’était très imposant ! La Mariée était pavoisée ; de la verdure et des fleurs partout, c’était superbe. En entrant dans la salle où était Mr. le Maire et les adjoints, la musique a joué la marche nuptiale ; les orphéonistes ont chanté un chœur ; Mr et Mme Carembat ont joué un morceau de piano et violon ; un Mr a chanté un solo. Mr. le Maire s’est levé et a marié les jeunes époux ; il leur a fait un discours aussi remarquable que celui improvisé par son Adjoint, Mr. Fabre. Les témoins de la marié étaient Mr. Brisson, Président de la Chambre des Députés et Mr. Eugène Thuillier, son oncle. Ceux du marié Mr. Degaille, ingénieur et Mr. Lasserre son beau- frère. Chaque comité de Mr. Thuillier a offert une corbeille de fleurs et eu un discours. Tous ces compliments n’étaient pas exagérés ; ils disaient la vérité et c’était bien tourné. Mr et Mme Thuillier devaient être bien heureux ! On a joué beaucoup de morceaux de musique et pendant ce temps les demoiselles d’honneur accompagnées de leur cavalier on fait la quête ; il y avait Melle Lucie et Mr Landry ; Mr Léon et Melle Aron et trois autres couples. Melle Mélanie Bloch était du nombre. Mr. le Maire a invité les mariés et leurs parents à passer dans un salon où toute la noce est allée deux par deux serrer la main et embrasser les mariés ; la famille se groupait et restait ; nous étions parmi eux ; nous avons vu défiler à peu près quinze cents personnes et Mr. Thuillier leur a dit leur nom à tous à cinq ou six près ! Il y avait quatre invitations, une pour la mairie, une pour le lunch, une pour le dîner et une pour le bal. On est remonté en voiture pour aller chez Mr et Mme Thuillier où un lunch était servi. On y a mangé et bu de très bonnes choses et on pouvait admirer les belles toilettes. Nous avions chaque famille invitée, une voiture à notre disposition ; la nôtre nous a conduit chez un coiffeur où j’ai écrit en attendant mon tour à Mme Bizet pour la prévenir que nous acceptions d’aller dîner le lendemain chez elle. Ma chère fille s’est ennuyée d’attendre et la voiture l’a reconduite à l’hôtel où elle s’est coiffée seule. En sortant de chez le coiffeur, la voiture était de retour pour moi. Elle nous a repris tous les quatre pour nous conduire dîner à l’hôtel Continental. Cet hôtel, un des plus beaux de Paris, est magnifique ! grandiose ! On est servi par des domestiques en gants blancs. J’ai conservé le menu. Tout y était exquis ! On était 56 personnes à table. Mon cavalier était Mr. Ernest Lestienne. Après le champagne, on est allé dans un autre salon prendre le café ; ensuite on a ouvert le bal ; on était à peu près 110 personnes. Mrs Carette et Bourgeois m’ont fait danser ; ces Mrs Lestienne et Achille aussi. J’avais ma robe de satin à traîne qui ne m’a pas gênée. Je faisais société avec Mme Hamet, ma chère fille, Mme Anglade, qui était très bien coiffée et avait un beau corsage à grand col. J’ai remarqué au bal trois jeunes filles très brunes ayant un air imposant ; ce sont les Demoiselles Landry ; il y a deux jumelles. Melle Datat, une belle personne portant de beaux diamants et une très belle toilette très décolletée. De nombreuses jeunes filles et dames dont j’ignore les noms, toutes bien habillées ; Mme Carand une toilette superbe ; Mme Lestienne était comme une Duchesse ! Madame Thuillier était très bien et constamment occupée de tous les invités et Mr Thuillier aussi. Le buffet se trouvait dans le salon dissimilé derrière de la verdure et très bien composé de bouillon, chocolat, café, punch, champagne, glaces, sandwiches et une infinité de petits fours excellents. On a dansé jusque trois heures du matin. Les jeunes mariés étaient très gentils ; ils ont quitté vers minuit. Nous ne les avons pas revu le lendemain, ils sont partis en voyage.

Après le chocolat, j’ai aidé Mme Thuillier à faire son lit ; elle m’a confié un secret qui se saura plus tard.

Au déjeuner, il y avait Mr. Lasserre beau-frère de Mr. Lassalle ; après le déjeuner mon cher Achille est parti pour Vignacourt et nous a laissés. Mr. Thuillier m’a conduit chez Blazy frères pour prendre des renseignements pour mon canapé ; il a donné rendez-vous à Clément et à Anna aux Folies-Bergères. Ce qui m’a le plus amusé, c’est l’incomparable Little Tich avec ses grands pieds et la pantomime d’habits et l’orchestre dans le jardin composé de dames en uniforme jouant du violon, l’alto, le violoncelle, le tambour, la grosse caisse et le piano. Il y avait aussi quelques … {blanc) qui jouent. En sortant, nous sommes allées au bazar de l’Hôtel de Ville et en voiture dîner chez les Bizet rue Ruty, qui nous a fait un très chic dîner ; nous avons passé avec elle et Marthe quelques heures bien agréables. Le lendemain matin, Marguerite Anglade m’a accompagnée chez Blazy pour acheter des laines et canevas pour le canapé. En rentrant on était à table. Après le déjeuner nous avons repris l’express et nous sommes rentrés ici à 5 h.3/4 enchantés et conservant un excellent souvenir.

 

un lycée de jeunes filles à la fin du siècle dernier : le lycée LAMARTINE, 121 faubourg Poissonnière, Paris IXè.

Installé dans une « folie » du XVIIe en 1891, le lycée recrute parmi les enfants de la bourgeoisie industrielle et commerçante du quartier, les familles républicaines et laïques, les familles juives et protestantes. Les Catholiques vont au couvent.

La scolarité est payante et le restera jusqu’en 1930 environ.

Le but de l’enseignement dispensé par ce lycée est de former des femmes et des mères cultivées. La possibilité de se présenter aux épreuves du baccalauréat n’est pas envisagée, sauf pour quelques pionnières.

Les élèves portent un tablier noir, une robe longue, des bottines, un chignon. Le tutoiement est interdit. L’entrée et la sortie du lycée doivent se faire dans une tenue correcte : gants et chapeau obligatoire jusqu’en 1940. Le maquillage et le port du pantalon sont interdits. La montée en classe s’effectue au sifflet.

Si nous nou référons ainsi au lycée Lamartine, c’est en raison du rôle qu’y a joué Berthe Thuillier, future Berthe Lassalle. En effet, Berthe Thuillier a fréquenté ce lycée de 1891 à 1895, date de la sortie de la première promotion et de la fondation de l’association des Anciennes Elèves, les « Alphonsines », en souvenir d’Alphonse de Lamartine. Berthe en devient la présidente en 1918 et conservera ce titre jusqu’en 1932, date approximative de l’institution de la gratuité.

 

un dessin à Menton – extrait du Trait d’Union n° 8

le témoignage de sa petite-fille Nicole LASSALLE-SABBAGH

Mamine et Grand-Papa, deux « belles personnes » dont le nom que nous leur donnions résonne encore dans ma mémoire !

Ils sont associés au « boulevard Flandrin », l’un des lieux de mon enfance, théâtre des rencontres familiales avec les cousins.

Née en janvier, j’avais l’honneur de participer aux goûters d’anniversaires annuels, organisés dans la grande salle à manger, une grande et belle fenêtre donnait sur le boulevard, je la vois encore !

Un escalier en colimaçon montait depuis une très grand pièce, assez sombre dans mon souvenir, mais illuminée par le fameux tableau de Caro-Delvaille !

Grand papa, je revois son visage, aussi doux que celui de Mamine, en haut de ce petit escalier, il nous attendait avec son éternel sourire !

Petite fille, comment pouvais-je imaginer l’homme magnifique qu’il fut, connaître ses multiples présidences, tout ce que le Bâtiment lui doit encore aujourd’hui.

Mon père, puis mon frère ont eu la chance de suivre ses traces, de prolonger son œuvre au sein de la Maison Lassalle.

Trois générations d’hommes formidables qui nous manquent encore tant aujourd’hui, mais que nous avons eu la chance d’avoir comme exemples.