les raisons de la défaite de Mai 1940 la déposition complète d'Adolphe LANDRY

N° 2344   

ASSEMBLÉE NATIONALE
PREMIÈRE LÉGISLATURE

 SESSION DE 1947 

  RAPPORT AU NOM DE LA COMMISSION CHARGÉE D’ENQUÊTE
SUR
 LES EVENEMENTS SURVENUS EN FRANCE
de 1933 à 1945

Par M. Charles SERRE
Rapporteur général,
Député,

ANNEXES
(Dépositions.)

TOME VIII
EXTRAIT

IMPRIMERIE DE L’ASSEMBLEE NATIONALE
 1951

— page 2431 —

Séance du jeudi 14 décembre 1950.

Présidence de M. Gérard JAQUET, président.

Auditions de MM. LANDRY et Georges BORIS.

Audition de M. LANDRY,

Ancien Ministre.

La séance est ouverte à 10 heures.

M. le Président. — Monsieur Landry, vous avez indiqué à différentes reprises que vous aviez des informations importantes à communiquer à notre Commission. Nous vous remer­cions d’avoir accepté de venir devant nous.
Avant de vous donner la parole, je vous prie de vouloir bien prêter serment.
M. Landry. — Je jure de dire la vérité, rien que la vérité.
M. le Président. — Vous avez la parole.

M. Landry. — Je dois tout d’abord vous remercier, Monsieur le Président, et remercier la Commission d’avoir bien voulu me convoquer, conformément au désir que j’avais exprimé. D’autre part, je sollicite un peu votre indulgence, comme étant légèrement indisposé en ce moment.

Je vais avoir à évoquer des faits et des événements sinistres, qui se situent dans les mois de mai et juin 1940, et je suivrai ma règle qui est de regarder toujours la vérité en face, même quand elle est affreuse.

Mon exposé s’organisera autour de deux affaires : l’affaire Prételat et l’affaire Huntziger.

Je connais l’affaire Prételat par M. Jacques Parisot, doyen de la Faculté de médecine de Nancy, qui est une grande autorité pour tout ce qui concerne la santé publique et l’hygiène, et qui est. par ailleurs, un homme d’une très haute valeur morale. M. Parisot a été déporté, comme tant d’autres. Quand il est revenu, dans les premiers jours de novembre 1944, il était visible qu’il avait beaucoup souffert; mais depuis son retour il a pu revenir à la santé, et récupérer les dons et les facultés qui faisaient de lui un homme tout à fait éminent.

Prételat, à la veille de la guerre, était gouverneur militaire de Paris. On le retrouve un peu plus tard commandant le groupe des quatre armées de l’Ëst, à savoir les armées Bourret, Condé, Garchery et Laure.

Or, un beau jour, Pretelat disparaît. Il a quitté son poste, il a abandonné ses généraux d’armée sans rien leur dire. On lance des appels téléphoniques dans toutes les directions.

Où a-t-il pu passer ? A-t-on de ses nouvelles ? L’a-t-on vu ? L’a-t-on entendu? Les réponses sont négatives partout, sauf de Dijon, où on l’aurait vu. Mais il y est arrivé et il est reparti tout de suite en direction du Midi.

Que vont faire les quatre armées ? Il faut d’abord qu’elles aient un chef commun, comme était Prételat. Ce sera Condé, étant le plus ancien des généraux d’armée. Après cela, on cherche si Prételat n’aurait pas laissé d’instructions écrites. Il en avait laissé. On les trouve. Les instructions écrites de Prételat disaient : « Les quatre armées s’installeront dans le massif vosgien, et là, elles résisteront jusqu’au dernier homme >.

Ces armées avaient la possibilité, partiellement tout au moins, de glisser le long des frontières, et d’échapper ainsi à l’emprise de l’ennemi. Mais les instructions écrites de Prételat étaient formelles. On s’y est conformé. Résultat : 500.000 prisonniers livrés à l’ennemi, les quatre armées de l’Est intégralement, avec les quatre généraux d’armée.

L’ennemi a-t-il eu de grands efforts à faire pour ramasser ce filet colossal ? Pas beaucoup.

L’armée Bourret a livré quelques combats honorables.

Dans le secteur de l’armée Laure, il s’est passé des choses curieuses et qui méritent d’être mentionnées.

J’avais là-bas un grand ami, que je considère même comme étant un peu mon parent. Il était chef de bataillon et il commandait la place de Neuf-Brisach. Cette place était très sérieusement fortifiée. Un jour, la garnison de Neuf-Brisach constate, avec étonnement, que toute l’artillerie a été enlevée, pour être expédiée on ne savait pas vers quelle destination. Le lendemain, les Allemands franchissent le Rhin et s’emparent de Neuf-Brisach. Cet ami que j’avais là-bas, ce chef de bataillon s’était déjà battu très vaillamment dans les Vosges en 1918. Cette fois-ci, il a livré à nouveau des combats très durs et il est rentré grièvement blessé. On l’a fait commandeur de la Légion d’honneur; il l’a largement mérité.

Et les généraux, qu’en dirai-je?

Il y a un des généraux d’armée qui est rentré très vite : c’est Laure. Il est rentré très vite pour être un des favoris du régime nouveau, comme vous le savez tous. Et Prételat? Prételat, après avoir traversé Dijon, était allé à Vichy. Vichy lui avait décerné une citation splendide, et l’avait mis à la tête d’une commission chargée de statuer sur les cas de retrait de la natio­nalité française : vous comprenez qu’il s’agissait de ceux qui étaient partis pour aller en Angleterre, aux Etats-Unis, au Canada. Après quoi, Prételat s’éclipse complètement.

Il m’a été dit que, sous l’occupation, un sien fils avait gagné de l’argent en fournissant l’armée allemande en lacets de souliers.

Après neuf années de silence, Prételat considère qu’il peut se « dédouaner s, comme on dit trivialement dans le langage d’aujeurd’hui. Pendant l’été de 1949, un journal annonce que Prételat figurera dans une cérémonie organisée en ccmmémoration de Gouraud. Et tout der­nièrement, il y a de cela deux ou trois semaines, on a vu Prételat présider une cérémonie patriotique dans la chapelle des Invalides. Il y avait au Luxembourg quelques-uns de mes collègues sénateurs qui n’étaient pas sans avoir une idée un peu vague de ce que Prételat avait pu faire. On a essayé, par quelques démarches, d’empêcher ce qui allait être un scandale. Le scandale a eu lieu.

Et moi, qu’ai-je fait au sujet de cette affaire Prételat? Quand je l’ai connue, je suis allé tout de suite chez le directeur de la justice militaire, M. Turpault, qui est un homme de devoir. Il s’est empressé d’établir une note qu’il a envoyée à son ministre, Après cela, rien n’est venu.

Un jour, dans les couloirs de ce Palais-Bourbon, je rencontre un ministre de la Guerre. Je m’abstiendrai de prononcer le nom, qu’il est inutile de citer. Je pose deux questions au ministre de la Guerre :

1° « Connaissez-vous une affaire Prételat? » — Réponse : « Certainement ».

2° « Et où en est-elle? » — Réponse : « Elle suit son cours ».

La deuxième réponse, si on l’enchaîne à la première, apparaît évidemment comme n’étant pas conforme à la vérité.

Et un jour, il m’est arrivé de retrouver M. Turpault quelque part en ville, dans une réunion
amicale il y avait des magistrats, des avocats. Je lui ai fait part de cette question qui était toujours dans mon esprit : « Comment se fait-il qu’une affaire comme celle-là reste au point : je – est, c’est-à-dire au point mort? » Et M. Turpault s’est ouvert à moi. Il m’a dit : c Des faits du même genre que celui de Prételat, à tous les degrés de la hiérarchie militaire, il s’en est produit beaucoup ». On est conduit ici à penser qu’à un moment donné, la question s’est P ssee au Gouvernement de savoir si, pour les faits dont il s’agit, il fallait entrer dans la voie de la répression. Et on peut croire que le gouvernement ne s’est pas prononcé pour une poli­tique de répression, pour des considérations qui lui auront paru graves

Je passe maintenant à Huntzîger et, ici, je prends le calendrier de l’année 1940.

Le vendredi 10 mai, l’offensive allemande est déclenchée. Ce jour-là, je sors de chez moi, à Ajaccio, de bonne heure, et je rencontre un ami qui, ayant pris les nouvelles à la radio, m’annonce l’événement.

Quatre jours après, le mardi 14, je “me trouve au siège de l’Alliance nationale contre la dépopulation, où il y avait une réunion du conseil d’administration, et là se trouvait le com­mandant Damour, de la Ligue maritime et coloniale française. Hors séance, le commandant Damour nous fait savoir qu’il a la communication téléphonique constante avec le grand quartier général. Et que dit-il, le grand quartier général? Eh bien, il dit que la bataille qui vient de s’engager est celle-là même que Gamelin, depuis quarante ans peut-être, a prévue, a étudiée, a préparée. Conclusion : on est aux anges !

Voilà donc la formule dont on s’est servi, le mardi 14. Et le surlendemain, le jeudi 16, un émoi violent se manifeste dans le Palais-Bourbon. On en était à penser que peut-être le soir de ce même jour, les Allemands seraient arrivés à Paris. Tout le monde s’en souvient.

Et puis, le mardi 21, la scène se transporte au Sénat. M. Paul Reynau’d est à la tribune comme président du Conseil. Il va s’expliquer sur le désastre que l’on a subi.

Dans l’exposé du président du Conseil, je regrette de trouver une énorme erreur : c’est l’incrimination du général Corap, sur qui on fait peser toutes les responsabilités. On savait cependant que la percée avait été faite à Sedan, et que Sedan était tenu — ou censé plutôt être tenu — par l’armée Huntziger. La percée a été faite à Sedan, après quoi les troupes allemandes d’invasion se sont tournées vers la droite et sont tombées de la sorte sur l’armée Corap, laquelle, prise à revers, a été facilement démontée.

J’ai noté qu’il avait été fait contre Corap toute une campagne. A Bordeaux, on imprimait dans Le Petit Parisien que Corap avait été traduit devant un conseil de guerre qui l’avait innocenté. Or, il n’a pas comparu devant un conseil de guerre. Il n’a cessé, à Bordeaux, de réclamer sa comparution devant un conseil de guerre afin de pouvoir s’expliquer. Il n’a pas eu satisfaction.

Et que n’entendait-on pas quand on était à Bordeaux ! Quelqu’un glisse à mon oreille qu’au moment le plus critique, lorsque la grande bataille des frontières devait s’engager, Corap s’était établi dans la demeure somptueuse d’un maître de forges richissisme et que, là, il avait installé une maîtresse pour se donner du bon temps.

J’arrive maintenant à deux témoignages que je veux produire, et auxquels j’attache beau- csa; d’importance.

Le premier témoignage est celui de M. Cuneo, chirurgien en renom, et de Mme Cuneo, ‘ est de Sedan. Je les ai vus, je les connais. Ils m’ont dit que des instructions avaient existé c .~.c ruant la défense de Sedan, mais qu’elles avaient été très imparfaitement appliquées. De la – des éléments ennemis avaient pu traverser nos lignes dès le mercredi soir 15 mai, et davantage sans doute le jeudi matin 16, puisqu’on a pu craindre un moment l’arrivée des Alle­mands à Paris dès ce jeudi 16.

Le deuxième témoignage que je veux évoquer est celui de mon très regretté collègue et ami Léonei de Mouslier, qui est mort en déportation ainsi que l’un de ses fils. Moustier était chef de bataillon. So i bataillon avait été poussé tout d’abord vers le Nord, jusqu’à Bois-le-Duc, dans le Brabant hollandais. Après quoi, de jour en jour, l’ordre sera de se replier vers le Midi. Moustier se met en marche avec son bataillon. Il rencontre une division anglaise. Il va saluer le général anglais. Celui-ci demande à Moustier s’il vient pour boucher l’hiatus de quelques quinze kilomètres qui s’était créé un moment — chacun se le rappelle — entre nos forces engagées dans le Nord et la masse principale des armées françaises. Et le général anglais ajoute : « Votre effectif est bien réduit ; il ne peut aucunement suffire pour le but visé ». Alors, le général anglais demande la permission de passer dans une pièce avoisinante. Là, il prend contact par téléphone avec Gort, et il revient chez Moustier pour dire à celui-ci : « Je peux vous annoncer maintenant de la part de Gort que l’armée britannique va être réem­barquée à Dunkerque ».

Et Moustier reprend sa route. Il rencontre cette fois une division française, dont il va saluer le général. On le questionne. Réponse : « L’ennemi est indiqué comme pouvant se trouver à quelque 80 kilomètres de là, en direction du nord-est. Nous attendrons les événe­ments ; le moment venu, nous ferons notre devoir ».

Moustier et son bataillon se remettent en marche une fois de plus. Au bout d’un, instant, d’une petite éminence où il se trouve, il aperçoit le spectacle des blindés allemands entrant à la promenade !

Ici, je crois devoir faire état encore d’une brochure qui a été publiée dans le début de l’automne 1950, une brochure jaune de 80 pages environ portant le titre : L’affaire Corap, dont l’auteur était Paul Allard, journaliste au Petit Parisien. Il y a beaucoup de remplissage dans cette brochure. Après quelques quarante pages, on rencontre pour la première fois le nom de Huntziger. L’auteur de la brochure profite alors de l’occasion pour faire la présen­tation des magnifiques états de service de Huntziger. Après quoi on s’achemine péniblement vers la conclusion. La conclusion, quelle sera-t-elle ? L’armement n’était pas suffisant, les dispositions prises par le haut commandement n’ont peut-être pas été tout à fuit heureuses. Ce qui est arrivé de’ait arriver. Il n’v a pas d’affaire Corap, et entre parenthèses, j’ajoute, encore moins d’affaire Huntziger.

Il était visible, pour quelqu’un qui avait eu celte brochure en mains, qui l’avait lue comme je l’ai fait, attentivement, que la brochure avait été inspirée et même faite pour Huntziger, par Huntziger.

Je vous ai donc parlé des affaires Prételat et Huntziger, et maintenant je voudrais rapide­ment m’essayer à un peu de synthèse.

Ce qu’ont fait Prételat et Huntziger, l’ont-ils fait sponte sua ?

Je me pose la question, et je suis porté à croire que Huntziger et Préletat n’onl pas agi comme ils l’ont fait sans avoir pris préalablement l’accord des grands chefs, c’est-à-dire de Pétain et de Weygand. Quels étaient 1rs objectifs de Pétain et de Weygand, d’après moi? Renverser la République. Et le moyen, c’était de faire subir à la France une grande défaite.

Une petite anecdote éclairera ce que je viens de dire. Un de mes amis, homme très sérieux, qui appartient au Conseil d’Etat, se trouvait à Bordeaux, un jour, seul dans une pièce avec Alibeit, qui était le secrétaire général du gouvernement Pétain. Mon ami a vu Alibert exploser. 11 frappait des coups de poings violents sur son bureau, et que criait-il ? Il criait : « Ce pour quoi j’ai travaillé pendant si longtemps sans jamais avoir pu y arriver, nous y sommes, maintenant ». C’étaient des cris de triomphe.

J’arrive ainsi à la fin de mon exposé, espérant n’avoir pas abusé de votre patience.

Informé donc comme je l’étais, à quoi pouvais-je me résoudre ?

J’ai rédigé deux notes, une sur Prételat, l’autre sur Huntziger, et j’ai porté ces deux notes au 12 de la rue Guénégaud. C’est là que siège la Commission Caron, chargée de faire l’histoire de la guerre. Mes notes sont allées dans une énorme armoire de fer, avec la perspective sans doute que ces papiers sortiraient un jour, au bout de 20 ans, ou au bout de 50 ans. Mais aujourd’hui que votre commission est au travail, on peut avoir une vue générale de ce qii s’est passé quant à la question que j’ai étudiée de mon mieux. Et l’on peut, je crois, proclamer ce que je considère comme la vérité, à savoir que la France a été victime d’un complot de trahison où sont entrés beaucoup de militaires, malheureusement, et beaucoup de civils aussi. Mas nous avons la satisfaction de pouvoir dire — c’est par là que je terminerai — que la nation, dans son Immense majorité, est restée parfaitement saine, et fidèle au culte de la patrie.

M.. le Président. — Monsieur Landry, la Commission vous remercie pour les infor­mations
que vous avez apportées. Certains membres ont peut-être des questions à vous poser.

M. Michel Clemenceau. — Je voudrais demander à M. Landry s’il a con naissance du procès-verbal Baudouin établi au cours du Comité de guerre dans lequel il est question de l’attitude de M. Campinchi, Ministre de la Marine.
M. Landry. — Mon gendre Campinchi, dans ces débats si vifs qui ont eu lieu au sein du gouvernement en juin 1940, a toujours défendu avec la vigueur qui était la sienne, avec son talent et aussi sa passion patriotique, la cause française.
M. le Président. — Vous n’avez pas d’information sur ce procès-verbal lui-même ?
M. Landry. — Non.
M. Dhers. — Vous venez de parler des débats qui ont eu lieu au mois de juin ; mais la réunion dont parle M. Clmenceau est du mois de mai, le 25 mai exactement. C’est une réunion du Comité de guerre dans laquelle a été évoqué l’ensemble des perspectives qui pouvaient être envisagées d’après la situation militaire. Vous n’avez pas souvenir d’ure conversation avec M. Campinchi, à cette époque, dans laquelle M. Campinchi vous aurait informé de ce qui avait été dit à ce comité ?
M. Landry. — J’avais de rares rencontres avec mon gendre, car nous étions séparés.
M. le Président. — Et vous n’avez absolument aucun souvenir de conversations avec M. Campinchi où il vous aurait rapporté certaines déclarations qu’il avait pu faire à cette réunion du Comité de guerre ?
M. Landry. — Non, je n’ai pas souvenir. Mais ma fille, Mme Campinchi, doit avoir ces renseignements. 
M. Emile Kahn. — Peut-être faut-il ajouter, pour l’édification de M. Landry, que tous les témoins que nous avons entendus qui étaient ministres en même temps que M. Campinchi, et M. Paul Reynaud le premier, opposent un démenti absolu et formel aux déclarations prêtées à M. Campinchi par le pseudo procès-verbal de M. Baudouin.
M. Charles Serre. — Est-ce que M. Landry pourrait nous préciser s’il a eu connais­sance de la date des instructions écrites que le général Prételat aurait laissées à son quartier général avant de disparaître. Cette date à son importance, puisque ces instructions ordonnaient aux armées de l’Est de se faire tuer sur place, et ne leur prescrivaient pas du tout une manœuvre leur permettant de correspondre à un plan général de défense du pays.
M Landry. — Je ne peux pas vous indiquer la date précise de la disparition de Prételat quand il a abandonné son commandement du groupe des quatre armées de l’Est. On pourrait obtenir cette précision en s’adressant à M. Parisot, car lui était avec les quatre généraux d’armée au moment où l’on téléphonait dans toutes les directions pour chercher à joindre Pretelat. Il devrait pouvoir dire, puisqu’il y était, à quel moment, quel jour, Prételat s’est évanoui.
M le Président. — Puisque vous êtes très lié avec M. Parisot, pourriez-vous lui demander de vouloir bien préciser à la Commission, par lettre, la date du départ de Prételat.
M. Landry. — Certainement (1).

(1) M. Landry a répondu dans la lettre suivante, du 26 décembre 1950.
Monsieur le Président,
Quand je me suis présenté, le 14 de ce mois, devant la Commission d’enquête, il m’a été demandé si je pouvais préciser la date où le général Prételat a abandonné son poste de commandant, du groupe des quatre armées de l’Est.

M. Jean-Albert Sorel. — Quelles étaient les fonctions de M. Parisot, son grade et son affectation dans le groupe d’armées Prételat ?
M. Landry. — Il était médecin-colon-1 ou peut-être médecin-général au quartier général de Prételat.
M Jean-Albert Sorel. — Je voudrais poser à M. Landry une question que j’avais posée à M. Albert Lebrun quand il est venu déposer devant la Commission, et qui le con­cerne personnellement :
Dans la brochure intitulée Toute la vérité sur un mois dramatique de notre histoire, très largement diffusée pendant l’occupation par les services de documentation du gouvernement, Jean Montigny, qui se fit d’ailleurs le thuriféfaire de Pierre Laval, relate la volonté manifestée par le président Albert Lebrun, au cours de ces journées critiques, de gagner l’Afrique du Nord pour y poursuivre la guerre, et toutes les démarches de Laval pour parvenir à l’en dissuader. M. Montigny relate en particulier que le 21 juin une délégation parlementaire composée de MM. Marquet, Piétri, Georges Bonnet, Portmann, Gérente, Bergery, Landry, etc., se rendit sous la conduite de Laval auprès du président de la République et l’adjura de demeurer en France. 11 ressort du récit de M. Montigny que Laval aurait pris la parole seul, et exprimé en termes d’une véhémence extrême l’opinion de la délégation. M. Landry sait-il si tous les parlementaires composant la délégation étaient d’accord avec Laval ?

D’après l’ouvrage de Kammerer La vérité sur l’armistice, et certains renseignements qui nous ont été donnés, M. Landry aurait été d’un avis diamétralement opposé à celui des autres membres de la délégation. Cette opposition de M. Landry a-t-elle été portée à la connaissance de M. le président Lebrun? Au cours de l’entretien, M. Landry en a-t-il fait part lui-même au chef de l’Etat ? A-t-il pu prendre et a t-il pris la parole, ou Pierre Laval seul a-t-il conduit la conversation, et caché au Président Lebrun l’absence d’unanimité de la délégation ?

Et je vous donne tout de suite lecture de la réponse du Président Lebrun à ces mêmes questions :
Le Président Lebrun commence par relater la véritable diatribe à laquelle se livra Laval devant lui et il ajoute :
Parmi les parlementaires présents se trouvait M. Landry. J’étais surpris de le voir là. J’avais pour cet ancien collègue au Parlement une grande sympathie. Je l’avais apprécié notamment au Conseil d’administration de la Caisse autonome d’amortissement, que je présidais, et où il représentait la Chambre des Députés. Il fit en sorte de sortir le dernier et il me prit les deux mains, me les serra cordialement, voulant marquer sans doute que bien que présent il ne s’associait pas à la discussion qui venait d’avoir lieu, et il me dit en propres termes : « Monsieur le Président, faites ce qu’en votre âme et conscience vous croyez devoir faire. Ce que vous ferez sera bien fait ». J’ai gardé de cette scène, on le comprendra, un douloureux souvenir.
Je voulais vous demander si vous pouviez donner quelques précisions supplémentaires.
M. Landry. — Je peux m’expliquer de la façon la plus précise.
Je suis arrivé à Bordeaux avec ma femme, conduisant, elle et moi, une petite voiture. Nous sommes arrivés le jeudi 20 juin, sous la pluie, à 20 h. 1/2, dans la nuit. En faisant route vers Bordeaux, je m’étais arrêté dans un petit village du canton de Ruffec qui s’appelle Aizecq, et qui est le pays d’origine de mon beau-frère Pichon : il a là la maison de ses ancêtres. C’est là que je suis allé écouter la radio de Londres à 9 h. 1/4, le 18 juin, chez le maire, M. de Saluce, et c’est là que j’ai entendu l’appel du général de Gaulle.
Nous voilà donc le surlendemain à Bordeaux. Il a fallu se mettre en quête d’une chambre pour passer la nuit. Nous étions arrivés à Bordeaux avec du retard, trop tard de quelques heures, sinon je me serais embarqué avec ma femme sur la Massilia comme avaient fait mon

Par le professeur Parisot, je suis à même, aujourd’hui, de satisfaire votre curiosité.
Prételat a abandonné son poste le 14 de juin 1940.
A partir du 16 juin, le groupe Prételat est devenu le groupe Coudé. Le général Condé avait été appelé à commander le groupe, comme étant le plus ancien des quatre généraux d’armée.
Croyez-moi, Monsieur le Président et cher collègue, bien cordialement à vous. 
Landry.      Sénateur.

gendre et ma fille. A la préfecture, en me dit: « Derrière cette porte vitrée se trouve le ministre de l’Intérieur,  M. Pomaret ; il vous procurera la chambre que vous cherchez ». J’entre chez M. Pommaret. Il me dit trois mots de la situation. L’amiral Dumesnil tenait les feuilles pour l’embarquement sur la Massilia. J’ai immédiatement rempli deux feuilles pour moi et pour ma femme. On nous dit qu’à 10 heures, gare Saint-Louis, il y aura un train spécial pour nous conduire  au Verdon. Nous allons à la gare Saint-Louis, dans des conditions difficiles. Le train spécial éytait là. Nous attendons, rien ne vient. Je m’adresse au chef de gare, qui me dit : « Je reçois à l’instant l’ordre d’arrêter le départ de ce train spécial ». Et je n’ai pas pu partir.

Alors, le lendemain matin commencent pour moi les réunions parlementaires que Laval Cela se passait, je crois, à la mairie de Bordeaux. Je m’informe; je demande qui Jr- /affaire. On me dit : « c’est Laval ». Je réponds : « Je n’y vais pas ». On insiste : Vous ara tort, c’est très important : il faut être présent ». Alors, le vendredi malin, j’y vais.

Au cours de cette réunion que présidait Laval, Bergery présente un vaste plan de politique aérienne destinée à la F rance. A la fin Laval nous, dit : « Cet après-midi, il faut aller chez A Président de la République pour lui intimer l’ordre de ne pas quitter la France, de ne pas partir pour l’Afrique du Nord. Il faut former une délégation pour aller chez le Président de la République ». Et il prononce des noms. Il y met le mien. Je réponds : « Mais vous avez vu quelle était mon attitude. Vous avez vu que je vous ai interrompu violemment à plusieurs reprises ». En réalité, d’après ce que j’avais noté des mouvements divers des parlementaires qui étaient là, l’immense majorité était contre Laval, mais nous n’avons été que trois à mani­fester : moi-même, Sérot, et un troisième que je n’ai pas identifié, probablement Crutel.
Après mon premier refus, Laval revient à la charge. Il y revient encore une troisième fois, en ajoutant : « J’y mets Landry, il pourra représenter la minorité ».
Ayant entendu cela, j’ai décidé d’entrer dans la délégation afin que quelqu’un pût dire à M. Lebrun que la réunion parlementaire du matin n’avait pas été unanime. Et je n’ai pas quitté la pièce où nous étions avec le Président de la République sans lui avoir serré les mains très affectueusement, car j’avais une très grande estime et beaucoup d’amitié pour lui.
M. Benoit. — Vous nous avez dit ce qui se serait passé à Sedan d’après le professeur Cuneo et Mme Cuneo. Or, nous avons entendu ici le général Lacaille, chef d’état-major de Huntziger, lequel nous a affirmé que tous les ponts de Sedan avaient sauté.
M. Landry. — J’ai rencontré M. et Mme Cuneo. Je ne suis pas parmi leurs relations, mais je les ai connus au mariage d’un jeune ami, chirurgien déjà arrivé et celui-ci m’a présenté à M. et Mme Cuneo : j’ai relaté de mon mieux ce que j’ai entendu de ces derniers.
M. Benoit. — Ils étaient à Sedan au moment de l’entrée des Allemands à Sedan ?
M. Landry. — Je l’ai compris ainsi.
M. Benoit.— Alors que le général Lacaille nous a affirmé que tous les ponts avaient sauté.
M. Landry. — Cela provient d’une source Huntziger.
M. Benoit. — C’était le chef d’état-major de Huntziger.
M. Dhers. — Au sujet de la réunion qui a eu lieu le 21 juin à Bordeaux, et dont vous venez de parler, vous avez dit que d’après les mouvements qui s’étaient manifestés au cours de cette réunion, la majorité des parlementaires était contre Laval, et vous avez ajouté — je n’ai pas bien compris ce passage de votre déposition >— que vous n’aviez été que trois, vous- même, Sérot et un troisième, à manifester votre sentiment. Il semble que les autres aient été un peu couards.
M. Landry. — 11 existait une atmosphère, à Bordeaux, qui n’était pas gaie. C’était tout à fait sinistre pour tout ce qu’on voyait, ce qu’on entendait ou ce qu’on faisait. Et le complot de trahison dont j’ai parlé a été confirmé par le fait de tant de collaborateurs qui se sont mani­festés comme tels, une fois les Allemands devenus maîtres chez nous.

M. le Président. — La commission vous remercie.

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