les incidents d’Ajaccio en 1815 rapport à l'Empereur

                    rapport à sa Majesté l’Empereur sur les incidents survenus à Ajaccio           à l’occasion de son retour de l’Ile d’ELBE

texte reproduit depuis un document dactylographié
(dont nous avons respecté l’orthographe)
   lui-même certainement transcrit depuis un document manuscrit
   dont nous ne disposons pas
 

ce rapport, daté du 4 mai 1815, est postérieur au débarquement
de l’Empereur 
à Golfe Juan, le 1er mars
Napoléon n’a pas fait escale en Corse

Sire

Je répondrais mal aux bontés dont V.M. (Votre Majesté) a daigné me combler et à la confiance dont elle m’a honoré, si je lui laissais ignorer les événements qui se sont passés à Ajaccio, depuis le départ de V.M. de l’Isle d’Elbe et dont j’ai été à même de m’informer exactement pendant mon court séjour dans cette ville;

Ce fut la nuit du 7 au 8 Mars que le Général BRUNY et le Préfet MONTEREUX reçurent la nouvelle que V.M. était partie de Portoferraio.
Ils firent aussitôt renforcer tous les postes et distribuer des cartouches aux Soldats.

Un bruit confus annonça le lendemain aux citoyens de la Ville, la nouvelle du Départ, de V.M. Mais on ne savait encore rien de positif.
n attendant le Général BRUNY continua à se fortifier et prit toutes les mesures de Défense comme s’il devait soutenir un siège long et régulier.

Le jour suivant, le Général BRUNY fit prier plusieurs personnel de se rendre chez lui à 5 heures de rélevé.
Il leur dit que les émissaires étaient débarqués en Corse, comme des brûlots, pour y exciter les habitants à la révolte et à l’insurrection au nom le Bonaparte: que c’était là le cadeau que V.M. fesait à son pays. Il donna les noms de ceux qui étaient débarqués. Il ajouta que l’on venait de désarmer un détachement en Fiumorbo et ne parla du départ de V.M. que comme d’une chose douteuse. S’adressant ensuite à M. le Pre­mier Président CASTELLI, il lui demanda < quelles seraient les mesures qu’il aurait à proposer dans une circonstance semblable.
M. CASTELLI répondit qu’il pensait qu’il conve­nait de détruire sans délai, ce commencement d’insurrection et qu’il ne voyait d’autres moyens pour y parvenir que la force. Que si le Général n’en avait pas suffisamment dans les Troupes qui étaient sous ses ordres, il aurait pu s’en procu­rer en organisant des compagnies corses. S’étant adressé en­suite à M. Fabiano CUNEO; Substitut du Procureur Général, le Baron de BRUMY lui demanda ce qu’il en pensait; M. CUNEO dit que son opinion était diamétralement opposée à celle de M. le Premier Président. Qu’il reprocherait toujours au Général MONTRESOR d’avoir voulu allumer la Guerre Civile en Corse et mettre le feu aux quatre coins de l’isle en armant les Corses contre les Corses. Qu’il espérait que le Général BRUNY ne se mettrait jamais dans le cas de mériter de semblables reproches, que son avis était qu’il fallait se borner à faire une simple Proclamation dans laquelle on ferait connaître aux habitants de l’intérieur, l’intérêt qu’ils devraient prendre au maintien du bon ordre et la tranquillité publique. Mr MARTINENGHI, in­terrogé à son tour, dit quelques mots sans rien conclure, après quoi Mr le procureur Général COLONNA, ayant été invité de di­re son opinion, observa qu’une proclamation était une chose insignifiante lorsqu’elle n’était pas soutenue par la force et que suivant lui, l’avis de Mr le Premier Président était le seul qui convint à la circonstance. Mr GAFFORI repartit à son tour que les proclamations qui n’étaient pas soutenues par la force dénotaient la faiblesse d’un Gouvernement et qu’il se rangeait comme Mr COLONA de l’avis de Mr le Premier Prési­dent. Mr Cecco PERALDI proposa de lever seulement deux Compa­gnies que l’on ferait résider à Vivario et à Bocognano afin de s’assurer des communications. Quelqu’un répondit que c’était une mesure inutile et que le gouvernement pouvait s’y prendre d’avance pour les établir par mer.

Le Général BRUNY dit alors qu’il n’aurait formé qu’une seule compagnie qui serait demeurée à Bocognano et qu’il n’au­rait payée qu’autant qu’eue aurait fait le service. Il pria M.M. CASTELLI Premier Président, COLONNA Procureur Géné­ral et CECCO PERALDI de se réunir chez le Premier Président pour s’occuper d’une Proclamation. Elle fut faite cette Proclamation et eue se terminait par l’invitation que l’on fesait aux Corses de s’armer et d’opposer la force à la force.

Le 10 Mars arrivèrent à Ajaccio les Décrets Impé­riaux du 26 février. Mr GAFFORI, membre de la Junte, ayant reçu le Premier son paquet, s’empressa d’aller le montrer au Général BRUNY. Mr Pascal COSTA partit aussitôt pour Bastetica (sans doute : Bastelica ?). M.M. CECCALDI et CUNEO restèrent à Ajaccio. J’ai appris que ce dernier avait fait répandre dans la troupe un grand nombre de copies de la Proclamation de V.M. et qu’il avait même fait distribuer l’argent à des marins et à des bouchers de la Ville pour qu’ils emmenassent boire dans des caves des sous-officiers et soldats et les engageassent à se déclarer pour la cause nationale en arborant le Pavillon tricolore à la Citadelle.

Il y eut le matin du 12, une réunion chez Mr BRACCINI (ajout manuscrit : Famille d’Ajaccio, aujourd’hui éteinte, qui se déclara toujours par ses sentiments bonapartistes, prit part au rétablissement de l’Empire en 1852 et dont le dernier représentant était aussi le Maire d’Ajaccio à la fin du Second Empire) dans laquelle il avait été convenu de surprendre le Général BRUNY qui devait se rendre à l’Eglise vers les 5 heures du soir pour la bénédiction des Drapeaux. On devait s’assurer des deux portes de l’Eglise, des hommes résolus devaient péné­trer dans son intérieur tandis que Mr CUNEO serait monté en chaire pour parler à la troupe et lire la proclamation de V.M.
Mr CUNEO fut arrêté à deux ou trois heures, avant que ce projet pût être mis à exécution.

J’ai été informé que Mr le Procureur Général COLONNA ayant appris que Mr CUNEO avait remis à quelqu’un une copie de la Proclamation de V.M. il le fit connaître au Général BRUNY par le Canal de M.M. André BACIOCCHI et Pierre DURAZZO Conseiller à la Cour d’Ajaccio.
Toute la ville montra le plus grand enthousiasme à la nouvelle de votre départ pour le Continent. Tous les marins surtout y prirent une part très active, et sans la tirannie que le Général BRUNY et le Préfet MONTEREUX exerçaient contre les habitants de la ville ils n’auraient pas attendu l’exemple de l’intérieur de la Corse pour prendre la cocarde nationale et arborer le Pavillon tricolore sur les clochers et aux fenêtres de toutes les maisons.

C’est avec peine que je dois à la vérité de faire connaître à V.M. que tout ce qui était ancien cittadin d’Ajaccio, à l’exception des familles CUNEO et PONTI, s’est montré tellement contraire au succès de la bonne cause que les napoléonistes se sont trouvés à Ajaccio, sous la plus sévère inquisition, exposés à des vexations inouïes.
L’on a pas craint de descendre au vil métier de dé­lateur et de mouchard, et je suis forcé de nommer à V.M. com­me ceux qui ont été le fléau de notre pauvre ville M.M. Jean STEFANOPOLI et son fils Georges, Cecco PERALDI, Alexandre COLONNA, Procureur Général, DURAZZO Conseiller, les frèresJules et Antoine PERALDI,  François COLONNA, Paul Félix PERALDI, Susinl et CITADELLA Membres du Tribunal de 1ère Ins­tance, André BACIOCCHI, MARTINENGHI et Horace COLONNA, enfin François BACIOCCHI homme sans moyens mais qui a tenu les dis­cours les plus scandaleux.

Mr CUNEO étant parvenu à se sauver se rendit au Camp de Stiletto et delà à Venaco où allait se réunir la Junte de Gouvernement dont V.M. l’avait nommé Membre. Alors les ar­restations se multiplièrent. M.M. François LEVIE, ancien Maire, son fils, François Marie LEVIE, de Jean Pierre, Antoine BRACCINI, Etienne PO, Jean CUNEO et d’autres furent arrêtés successivement. Roch DONZELLA, Hilaire Félix UCCIANI, Capitai­ne du port, Etienne COSTA, Capitaine du Lazaret, et deux au­tres frères CUNEO sortirent de la ville de crainte d’être arrêtés et se rendirent au Camp de Stiletto.

Le 19, un Sergent de la garnison se rendit au Camp, il y fut bien reçu. Le lendemain plusieurs militaires s’y ren­dirent encore et revinrent en criant *Vive l’Empereur », alors le Général BRUNY consigna la troupe dans la ville pendant la journée du 21, le 22 quatre cents nommes environ de trou­pes de la garnison allèrent à Aspreto sous prétexte d’enle­ver les canons qui étaient dans la redoute. Arrivés sur les lieux le Colonel STILLER fit avancer sa troupe du côté des Molini où il n’y avait qu’un petit nombre de paysans. Ceux-ci se tinrent tranquilles se contentant de crier « Vive l’Empereur ».  Alors le Colonel STILLER fit marcher la troupe du côté de Stiletto; étant arrivé à l’endroit où les paysans avaient arboré la veille le Pavillon Tricolore; il y fit arborer un Pavillon blanc.

Aussitôt nos paysans tirèrent dessus et l’affaire s’engagea. Il y mourut un paysan et 7 à 8 militaires dont un officier. Après cette affaire, il fut très facile d’exaspérer la troupe contre les habitants de l’Intérieur. Malheureusement on avait maltraité et désarmé à Zicavo un détachement, un au­tre détachement avait aussi été désarmé à Bocognano, et les soldats de ces détachements ne contribuaient pas peu par leurs récits à irriter encore davantage la troupe de la garnison. Le Général BRUNY et le Colonel STILER avaient gagné les maîtres d’armes ainsi que quelques soldats qu’ils soulaient et à qui ils fesaient crier « Vive le Roi » et tenir les propos les plus outrageants pour les paysans de l’intérieur et les Habitants de la Ville qu’il menaçait de réduire en poussière au premier mouvement qu’elle ferait.

Les paysans réunis au Camp de Stiletto n’avaient pas jusqu’alors commis le moindre dégât; ils avaient même payé quelques fruits qu’ils avaient pris dans des jardins, mais dans une nuit des premiers jours d’Avril, on mit le feu aux maisons de campagne de M.M. MARTINENGHI et STETANOPOLI; Les maisons de campagne de M.M. CONTI, PERALDI, et Alexandre COLONNA Procureur Général allaient aussi être brûlées si on ne l’avait empêché. On fit croire au Général BRUNY que M. TERNANO, qui était au Camp, avait fait connaître (ajout manuscrit : commettre) ces incendies et aussitôt sa maison à Ajaccio fut rasée par les soldats de la garnison et sa vigne coupée.

La maison CUNEO où l’on avait tenu jusqu’alors dix gendarmes devait être aussi rasée, et l’aurait été si le peu­ple n’eut menacé de prendre les armes, et si les carabiniers soutenus pas des officiers n’eussent dit qu’ils ne voulaient plus faire ce métier là. Mr MICHEL-ANGE 0RNANO alla trouver le Général BRUKY à qii il parla avec caractère et avec toute l’énergie qu’il devait mettre dans une semblable circonstance.
On sait que les maisons MARTINETTI, BRACCINI et SARI devaient être aussi démolies.

Le 17 Avril, l’adjudant Général MORINI eut une confé­rence au Pont des Cannes sur l’avenue d’Ajaccio, avec le Colonel STILER, mais elle resta sans fruits. Les lettres de la Junte au Général BRUNY étaient restées sans réponse. Ce Général ne voulut pas faire arborer le pavillon tricolore, malgré qu’il en eut reçu l’ordre du Ministre et qu’on lui eut transmis les bulletins des lois. D’après cela M.M. PERETTI et CUNEO, Délé­gués de la Junte à Alata, prononcèrent la destitution du général BRUNY. Le Colonel STILER alla se concerter avec le Général FIORELLA et il fut décidé que malgré la résistance du Général BRUNY, on aurait arboré le Pavillon tricolore des le lendemain 22 à la pointe du jour.

Il serait impossible de peindre la joie et l’enthousiasme des habitants de la ville d’Ajaccio. Grands et petits, nommes et femmes se rendirent en nombre au Camp de Stiletto avec des cocardes et des pavillons tricolores, mais peu s’en fallut que la joie publique ne fut troublée par un événement facheux.
Mr CONTI qui s’était rendu aux moulins avec une Députation de la ville pour complimenter Mr TAVERA et les braves Habitants de l’intérieur, faillit y être massacré. Mr le Procureur Général COLONNA s’y était aussi rendu la veille, mais il fut obligé de se retirer de suite.

Le 1er Mai, il y a eu à Ajaccio un dîner auquel ont assisté tous ceux qui s’étaient rendus au Camp ou qui avalent été mis en prison. On l’appelait le diner des brigands. Il y avait à ce diner M.M. Michel Ange ORNANO qui avait été prié en considération des services qu’il avait rendus à ceux du Camp.
On y voyait figurer M.M. BERTORA les quatre frères CUNEO, Hilaire Felix UCCIANI, Etienne COSTA, Roch DONZELLA, Pascal COSTA, URTOLI et TAVERA.

En sortant du diner il y eut une farandole qui se termina par des coups de pierres aux croisées de ROY et STILER qui n’avaient pas mis les lumières aux fenêtres. La maison CONTI courut le danger d’être attaquée et elle doit beaucoup à Mr FABIANI CUNEO qui sortit dehors, dès qu’il apprit que l’on venait de commettre des désordres, et parvint à dissoudre la farandole. On ne saurait trop louer la conduite de la famille CUNEO. Elle s’est rendue extrêmement populaire, s’est attirée la haine des anciens cittadins et l’amour du peuple.

Tout ce qui formait à Ajaccio, l’ancien parti Bonaparte s’est réuni unanimement et à manifesté toute l’énergie avec laquelle on s’était toujours démontré pour votre Auguste Famille.

Le 3, les batiments sur lesquels s’étalent embarqués les troupes de la garnison sont rentrés dans le port, mais les troupes ont refusé de descendre à terre, malgré les ordres du Duc de Padoue. Bien au contraire, le Colonel STILER étant des­cendu, est allé voir le Général FIORELLA pour lui déclarer de la manière la plus violente qu’il n’avait pas d’ordres à recevoir du Duc de Padoue. Il s’est rendu ensuite à la Citadelle où étaient restés environ cent nommes de son régiment et les a forcés d’abandonner les postes et de le suivre à bord malgré l’opposition du Commandant de la Place qui a été traité d’une manière indigne.

Le Service se fait actuellement par la Garde Nationale.

      Ajaccio, le 4 Mai, mil huit cent quinze.                 Tomaso SARI