factrice une belle activité

Zélie ALCHAMI 

L’été dernier, j’ai enfin compris : après 32 ans de vie parisienne, mon cœur était en Corse et voulait y rester.
Une année passée à chercher, me chercher, et après une tentative ratée de retour à la capitale je suis rentrée définitivement sur les terres Landry.
Mais que faire sur cette île ? La réponse est arrivée d’elle-même : début mai, je croise à Calvi notre factrice, Christiane, qui loue chez Marie-Claude. On recrute à la Poste. Factrice ? Pourquoi pas ! Je pose mon CV – 2 jours plus tard je suis en entretien au bureau de l’île-Rousse, en crise de personnel, et le lundi suivant me voici à la Poste.

Affectation : tournée T01, celle de Santa Reparata. Je vais suivre Isabelle, ma formatrice et prédécesseure, native du coin et aguerrie depuis plus d’un an. Nous sommes 10, dont 3 garçons, sur tout le secteur.
La journée commence à 8h15 avec l’arrivée du camion, transportant lettres et colis depuis Bastia. Il est plein à craquer. Tout est réparti entre les tournées, et le tri commence. Un casier plus ou moins précis pour organiser le courrier, un « plan de vol » pour mettre les colis et courriers recommandés dans l’ordre. Je découvre la difficulté : d’une part les adresses – aléatoires, lieux-dits, numéros et route départementale 13 s’enchaînent sans logique, d’autre part les patronymes – 250 Martelli, tous cousins, voisins et à couteaux tirés. Pour chaque adresse, une case de tri, 6 prénoms et gare aux erreurs ! Marylise Martelli est voisine de Marie-Lise Martelli, mais ennemies héréditaires et chaque lettre mal distribuée sera perdue pour la postérité…
Nous partons sur les routes. Une fière camionnette jaune aux couleurs de la Poste, on enchaîne les lotissements, les résidences, les HLM (oui il y en a), la mairie de Santa Reparata. Puis direction les villages, Occigglioni, Palmento, route de Muro, autant de lieux dont je n’avais même jamais entendu le nom, et autant de ruelles par lesquelles je n’aurais jamais dans mes rêves les plus fous osé m’aventurer en voiture.
Une semaine à observer la tournée, et me voici seule au volant.
J’ai trié avec soin le courrier en veillant aux prénoms. J’ai classé dans l’ordre les 80 colis que je dois distribuer. Accroché à mon tableau de bord telle une ancre, mon cahier de tournée, un oeil sur le courrier un autres sur les recommandés, je pars vers l’inconnu.
Ma première journée va durer 10h. Il fait une chaleur à crever. Je tourne 2h dans Santa Reparata : pourquoi le numéro 28 n’est pas entre le 27 et le 29 ? Pourquoi arrive-t-on au 75 après le 36 pour repartir au 74 ? Certains villages ont l’amabilité de posséder des numéros, d’autres non. Sans compter les boîtes à lettres sans rien inscrit dessus : le facteur connaît – pas de problème ! Et je passe tous les Savelli, et Raffe, et Francesci (à ne pas confondre avec Francischi) qui habite sous le même toit mais avec plusieurs boîtes et qui ne savent pas se sentir.
Je découvre une autre Balagne, intime et quotidienne. Le maire de Santa reçoit en caleçon. Monsieur Guitini est toujours en peignoir. À toute heure on est reçu comme une reine, avec des sourires et des encouragements, il faut dire que je suis la 7e personne formée pour le poste, et la seule qui sois restée après 2 jours.
Serais-je encore là l’année prochaine ? Je ferais partie des anciens ? Je l’espère, en tous cas. J’ai vécu une chose que de mémoire de facteur on n’avait encore jamais vu : dans la nuit de mardi à mercredi dernier, la boîte à lettres commune du village de Feliceto a été dérobée, avec son contenu. La région est indignée et en effervescence. Le coupable ? On attend que le maire visionne les caméras de surveillance – vendredi ce n’était toujours pas fait car, je le cite, « il fait trop chaud ». Affaire à suivre donc.
 
 
note : les noms ont été  modifiés