Vignacourt – don du chateau à la Mairie – 1958

Discours du Professeur Maurice Lamy, le 8 juillet 1958, date de la remise du château à la municipalité.

Monsieur le Maire,

Messieurs les Conseillers Municipaux,

Mesdames, Messieurs,

C’est sans nul doute ma qualité de picard qui me vaut cette délégation, le privilège de vous remettre officiellement cette maison et l’honneur d’évoquer la présence de quelques-uns des hommes qui y ont vécu.

Alfred Thuillier fut à la fois le bâtisseur de ces murs et le fondateur de notre grande famille. Né à Vignacourt il y a 120 ans, sa puissance de travail, la vigueur de sa volonté, la qualité de son intelligence, firent de lui le chef d’une maison parisienne florissante à la prospérité de laquelle – préoccupé de philanthropie – il tint à associer ses collaborateurs, employés et ouvriers. Républicain résolu, démocrate sincère mais sans sectarisme ni virulence, patriote intransigeant aussi, il appartenait à la famille spirituelle des Gambetta et des Jules Ferry. Comme eux, il pensait qu’une philosophie politique devait être faite, avant tout, d’action. Président du Conseil Général et Sénateur de la Seine, il combattit pour que fut donnée aux vieillards l’assistance et aux jeunes, l’instruction.

La fille aînée d’Alfred Thuillier avait épousé Lucien Lassalle dont la mort vient de plonger dans le deuil non seulement ses enfants mais aussi les amis innombrables qu’au cours d’une longue existence il avait rassemblés autour de lui. Vous savez les charges qui furent les siennes, les honneurs qu’il rendit, tout au long d’une carrière exceptionnellement active, tant à la présidence de la Fédération Nationale du Bâtiment qu’à la Chambre de Commerce et d’industrie de Paris. Mais ces tâches administratives, si lourdes qu’elles aient été, ne l’ont pas écarté des préoccupations sociales. Nous n’oublions pas la part qu’il a prise à la mise en place des allocations familiales, comme au développement des écoles d’apprentissage et des centres d’enseignement.

Que vous dirai-je, Messieurs, d’Adolphe Landry que vous ne connaissiez déjà ? Normalien à 19 ans, philosophe, économiste, professeur, Adolphe Landry pensa comme son beau-père, Alfred Thuillier, qu’il ne pourrait mieux servir son pays que dans l’action politique. Nous savons tous quel grand parlementaire il a été, avec quelle rigueur, quel sens élevé du devoir, il a dirigé plusieurs départements ministériels, et nous nous rappelons avec fierté qu’aux jours sombres, il a refusé son vote à un gouvernement d’abandon. Mais c’est son oeuvre de démographe qui perpétue le nom d’Adolphe Landry.

Si la natalité française, naguère déclinante, s’est relevée d’une aussi merveilleuse façon, c’est à coup sûr à l’élaboration et à l’utilisation du code de la famille que nous le devons. Ici, à côté des noms d’Edouard Daladier et de Paul Reynaud, celui d’Adolphe Landry doit être cité au premier rang.

César Campinchi a animé la place où nous sommes de sa parole éblouissante. Avocat prestigieux parvenu au faîte de la plus belle carrière, il estima lui aussi qu’il servirait mieux encore son pays dans les Assemblées et les Conseils du Gouvernement. Ministre de la Marine en 1940, il fut de ceux qui ne désespérèrent jamais du Salut de la Patrie. Pourquoi une mort stupide nous a ravi cet homme exceptionnel avant la victoire dont jamais il n’avait douté ?

Mesdames et Messieurs, cette maison pour nous est toute sonore de souvenirs, souvenirs heureux, souvenirs mélancoliques aussi. Ce que nous aimions à évoquer surtout, c’est la présence de nos enfants, groupés dans une famille unie autour de Madame Alfred Thuillier, de Madame Lassalle et de Madame Landry, ces femmes de cœur ont laissé soixante-quinze descendants et c’est en leur nom que je parle aujourd’hui. Ces enfants appartenant à quatre générations, ont joué sur ces pelouses et nous serons heureux de voir les vôtres, chers compatriotes, éclairer ces murs et ces jardins de leur jeune gaîté. Vous vous rappellerez les vers que, dans « L’Art d’être Grand-Père », le poète leur a consacrés :

« Les bouches des petits sont de murmures pleines »

« Ils sont de vermeils, ils ont de plus riches haleines »

« que n’en ont les roses de mai dans leurs ravins »

« Et l’aurore frissonne en leurs cheveux divins ».

Ces enfants, c’est notre avenir, l’avenir de notre pays. Que pouvons-nous faire de mieux que de vous aider à les soigner, à les instruire et à les préparer à la vie.

C’est dans cet esprit que nous vous remettons cette maison, Monsieur le Maire.