le clair-obscur

de Philippe Delmas

Compte tenu de mon vieil intérêt pour le clair-obscur, et de la constatation que les définitions disponibles me semblaient affreusement absconses, j’ai inséré une phrase explicative dans la principale source : WIKIPEDIA : on me l’a vite supprimée – j’étais furieux !

Mais j’ai découvert quelques semaines plus tard qu’on avait modifié la définition, dans le bon sens  (pour moi) : voir plus loin : j’étais ravi !

Reprenons les éléments du débat.

historique

A l’origine, au 16ème siècle, l’expression italienne était « chiaro e oscuro » – « le clair et l’obscur » – ce qui signifiait bien qu’on considérait deux éléments distincts.

L’agglutination (mais oui : c’est le terme idoine) en un seul mot n’est venue qu’après. Pourquoi s’y est-on lancé ?

dernière définition de WIKIPEDIA 

« Le clair-obscur, dans une peinture ou une estampe, est le contraste entre zones claires et zones sombres. Dans une œuvre figurative, il suggère le relief en imitant par les valeurs l’effet de la lumière sur les volumes. On dit qu’un tableau est « en clair-obscur » quand ce contraste est important; »

Les deux mots essentiels sont : contraste et important.
contraste : c’est un mot courant, aisément compréhensible (quoique vulgaire diraient les spécialistes) qui implique qu’on utilise plusieurs couleurs. Aussi bien, on ne concoit pas de tableau unicoloré (sauf ceux en « outrenoir » de Pierre SOULAGES, et celui, tout blanc, de la pièce de théatre « Art » de Yasmina REZA);
important : il faut que les couleurs soient assez différentes, opposées, pour bien attirer l’attention.
D’où la question : à partir de quelle différence de teintes peut-on affirmer qu’il y a bien clair-obscur ? des caractères noirs sur un fond blanc constituent-ils un clair-obscur ? je n’ai pas de réponse ! mais, quand on voit un tableau du Caravage, ou de Rembrand, on apprécie peut-être mieux la différence avec des tableaux impressionistes.

autres définitions 

– du LAROUSSE :
     – Lumière douce, tamisée, pénombre : le clair-obscur d’une chambre.
     – Dans un tableau, une gravure, un dessin, effet consistant à moduler la lumière sur un fond d’ombre, suggérant ainsi le relief et la profondeur.

     – Gravure sur bois tirée en deux ou plusieurs tons rapprochés (plus éventuellement le noir et les blancs) afin de créer un effet de camaïeu. (Italie, XVIe s.)
 
– le mot contraste n’y est pas – la première définition est contradictoire avec les deux autres !

– de WIKIPEDIA : j’ai retrouvé l’ancienne définition sur un autre site :  « Le clair–obscur, sur une image bidimensionnelle, comme un mur, un panneau, une toile, une épreuve photographique sur papier, donne l’illusion du relief, des volumes en imitant les effets que produit la lumière sur ces volumes dans l’espace réel. » – le mot « contraste » n’y figure pas !

– d’un docte ouvrage : « gravure en clair-obscur » (page 12) : « le clair-obscur est une esthétique qui dialogue avec la couleur mais qui refuse d’utiliser la valeur illusioniste ou réaliste de celle-ci pour nous livrer un monde dans une teinte arbitraire se suffisant à elle-même » – lumineux, n’est-ce pas ! Molière n’a-t-il pas traité du pédantisme ? Je sais que chaque spécialité revendique son langage, mais quand même !

– du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, attaché au CNRS :
     – « Imitation de l’effet que produit la lumière en éclairant les surfaces qu’elle frappe et en laissant dans l’ombre celles qu’elle ne frappe pas. L’art, la science du clair-obscur. Des clairs-obscurs. Les clairs-obscurs sont bien traités dans ce tableau. Peinture, dessin en clair-obscur, de clair-obscur, Tableau, dessin fait sans mélange d’autres couleurs que du blanc et du noir, ou du blanc avec une seule couleur, comme les camaïeux. Il se dit quelquefois des effets mêmes de la lumière sur les corps qu’elle frappe. Un sculpteur, un architecte doivent avoir égard aux effets du clair-obscur. Il signifie aussi Parties d’un dessin, d’une peinture où l’on voit à travers l’ombre les formes et les couleurs » – le mot contraste n’y figure pas !
     – autre définition du CNRTL :  « Art de distribuer dans un tableau les nuances de la lumière contrastant avec un fond sombre.. » – le mot « contrastant » y figure ! même si la définition est un peu ampoulée.

et dans la littérature ?

L’agglutination a fait de gros dégats, entrainant des définitions aberrantes, constituant une déviation majeure aux yeux des amateurs puristes de peinture : 

« Quelque chose de vague, de fuyant, d’indécis, de clair-obscur et de clairsemé, composait cette vue et ce moment; .. »  -,Sainte-BeuveVolupté,t. 1, 1834, p. 197.

« Ce silence, ce clair-obscur, cette solitude faisaient du bien à l’âme qui pouvait s’y livrer à une seule pensée, comme dans un cloître où l’on se recueille, ou comme dans la coite maison où l’on s’aime. » BalzacSur Catherine de Médicis,La Confidence des Ruggieri, 1837, p. 303.

« Dans son état d’esprit, la joie de vivre lui semblait grossière; elle cherchait le clair-obscur mélancolique de l’âme, et elle se figurait qu’elle l’aimait. Il faisait trop jour en Christophe. » R. RollandJean-Christophe,Les Amies, 1910, p. 1116.
 
« Tout ce que Joubert dit sur la poésie est incomparable. Il faudra pour retrouver cette familiarité avec la ligne serpentine de la pensée et avec son clair-obscur attendre Mallarmé et Valéry. « A. ThibaudetHist. de la litt. fr. de 1789 à nos jours,1936, p. 70.
 
regrets
 

Il y a déjà une dizaine d’années, sur le sujet du clair-obscur, j’ai missionné une conférencière du Musée d’Orsay : je n’ai vraiment pas appris grand chose. Et j’ai été désarçonné par son explication, à l’occasion d’un passage devant l’Angélus de Millet : « là on voit l’église » – merci, j’avais deviné – « là, on voit deux paysans qui prient » – merci encore, j’avais deviné – « et là, sur la brouette, on voit la récolte de pommes de terre de la journée » – je n’ai pas pu me retenir de dire, par réflèxe « ah non ! pour toute une journée de travail, la récolte serait plutôt d’un tombereau ». J’étais chagriné, non pas par la faiblesse de la compétence agricole de la conférencière, qui n’avait sans doute pas récolté de pommes de terre dans sa jeunesse, mais par le fait qu’elle affirmait sans bien savoir – ce qui jetait un doute sérieux sur toutes les autres affirmations de sa part.

La nouvelle définition de WIKIPEDIA comporte une phrase centrale qui n’est pas bien compréhensible, et qui est inutile ! ils n’ont pas pu s’empécher ! si c’est le prix à payer pour voir les deux autres phrases : bon !

Je serais heureux que toutes les autres publications sur le sujet adoptent la même clarté que WIKIPEDIA – mais je crains que ce ne soit aujourd’hui un vœu pieux – peut-être demain – ou après-demain.

Pour ce qui est de la littérature, je ne vois pas bien comment agir – qu’en pensez-vous ?