Adolphe LANDRY : de nouveaux documents
nous continuons à dépouiller les cartons d’archives concernant notre aïeul – lequel, toujours fort universel, avait écrit les deux articles suivants (que nous avons eu la chance de pouvoir nous procurer dans leur édition d’origine !).
voici d’abord un article prémonitoire, extrait du Petit Journal daté du 31 juillet 1917 – donc en pleine guerre – nous nous sommes permis de souligner un passage qui nous a frappé
pour la reconstitution de la France
La Chambre, ces jours derniers, a consacré deux séances à discuter des interpellations sur la reconstitution des régions libérées. Des exposés qui ont été apportés par les interpellateurs, et par le ministre du Travail lui-même, il résulte que cette reconstitution, jusqu’ici, ne s’est pas opérée avec la rapidité que souhaitent nos vœux unanimes et ardents. On a été d’accord pour reconnaître que la cause en était dans le défaut de coordination des efforts, dans la dispersion des responsabilités, dans les conflits d’attributions — positifs et négatifs — qui surgissent à tout instant entre les multiples administrations intéressées. On a voté un ordre du jour proclamant que, pour accélérer le rythme de la reprise de la vie dans les malheureuses régions dévastées par l’ennemi, il fallait créer l’unité d’action. Et le gouvernement répondant à l’appel du Parlement, a annoncé qu’il instituait une organisation nouvelle s’inspirant de cette pensée.
La reconstitution des régions qui ont été libérées hier, celle des régions qui seront libérées demain, si importante soit-elle, n’est qu’une partie d’une œuvre beaucoup plus vaste qui doit nous préoccuper. C’est la France tout entière, peut-on dire, qui devra être reconstituée.
Il faudra adapter notre pays aux conditions nouvelles qui vont lui être faites après la guerre. Et ces conditions créeront, pour le déploiement de l’activité nationale, des difficultés plus grandes, à bien des égards, que celles qui existaient avant la guerre. Les dépenses publiques, par exemple, se trouveront formidablement accrues : elles pèseront sur nous tous d’un poids accablant, si nous ne réussissons pas, grâce à une politique économique appropriée, à augmenter dans une mesure importante la production du pays.
Dès que les hostilités prendront fin, toute une série de problèmes surgiront, qu’il faudra résoudre sur l’heure, et bien résoudre, si l’on veut éviter des dangers redoutables : la .démobilisation des armées; la démobilisation de l’industrie — occupée en grande partie, aujourd’hui, à travailler pour les besoins de la guerre, et qui devra se remettre aux productions de la paix — le réapprovisionnement du pays en denrées alimentaires, en matières premières, en outillage; bien d’autres encore.
Tous ces problèmes que j’indique, ou auxquels je fais allusion, doivent être étudiés : dès maintenant, il est nécessaire d’en préparer les solutions. Pour les choses de la guerre, on doit agir toujours comme si la guerre devait être éternelle; pour les choses de la paix, en revanche, on doit agir toujours comme si la paix devait survenir à l’instant.
Mais ces études, cette préparation indispensables, peut-on compter, pour les faire, sur nos administrations, fonctionnant comme elles fonctionnent actuellement ? Ce serait se bercer d’une illusion. Je n’en veux donner qu’une raison, parmi plusieurs que je pourrais invoquer : c’est que la plupart des problèmes dont il s’agit chevauchent sur la compétence de plusieurs administrations. Prenons le problème de la démobilisation proprement dite : dans quel ordre nos soldats seront-ils renvoyés chez eux ? Dans quelles conditions rentreront-ils au foyer ? Pour en décider, les ministères de la Guerre et de la Marine, ceux du Travail, du Commerce, de l’Agriculture, celui des Finances sont compétents à la fois, et d’autres encore le sont. Dès lors, laisser aller les choses, c’est se condamner à retrouver partout les retards, les lenteurs, les erreurs que nous avons constatées dans la reconstitution des régions libérées.
L’Allemagne, en instituant son « commissariat impérial pour l’économie de transition », l’Angleterre, en créant sa « commission de reconstruction », et, tout dernièrement, son « ministère de Reconstruction », nous ont donné des exemples qui sont à méditer. Chez nous- mêmes, d’ailleurs, l’opinion commence à s’émouvoir. Dans notre Parlement, des manifestations significatives se produisent. Au Sénat, M. Flandin a déposé l’autre jour une motion invitant le gouvernement à instituer un commissariat général pour la réorganisation économique. A la Chambre, la conférence des commissions économiques a adopté, il y a un mois environ, une note que je lui avais soumise, et qui, sans indiquer une conclusion aussi précise, s’inspirait des mêmes préoccupations.
Je ne discuterai pas ici les diverses formules entre lesquelles il est permis d’hésiter, et entre lesquelles il faut choisir. Mais à quelque parti que l’on doive s’arrêter, il est nécessaire de se hâter. Espérons que le gouvernement mettra à profit le loisir — relatif — que la séparation imminente des Chambres va lui faire pour prendre les mesures d’organisation qui s’imposent dans l’intérêt du relèvement économique de notre pays. Adolphe LANDRY, député
Le problème de l’habitation et les classes moyennes
article publié dans « Le Petit Journal » du 25 juin 1926 – nous constatons encore une fois les idées sociales généreuses d’Adolphe LANDRY (voir par ailleurs sa thèse et ses engagements politiques), au profit, ici, des classes moyennes.
La crise du logement n’existe pas seulement pour la classe populaire. Elle a un caractère général.
Appliquons à cette marchandise qu’est le logement la grande loi économique de l’offre et de la demande. Du côté de la demande, nous constatons que la population est en augmentation, tout au moins dans beaucoup de villes et dans la plupart des régions industrielles; que le relèvement du taux de nuptialité française multiplie les foyers; que beaucoup de Français aspirent à se loger mieux, le goût du confort s’étant développé chez eux; que le jeu de la législation des loyers incite beaucoup de gens à conserver des maisons ou des appartements en égard à leurs besoins ou à leur situation actuelle.
Du côté de l’offre, tout le monde peut noter que la construction, presque complètement arrêtée pendant la guerre, est très loin d’avoir retrouvé une activité normale. A Paris par exemple, en fait d’immeubles destinés à l’habitation collective, il ne se bâtit guère — en laissant de côté les habitations à bon marché — qu’un assez petit nombre de maisons contenant des appartements à vendre, et un tout petit nombre de maisons contenant des appartements à louer; il est d’ailleurs à souligner que la plupart de ces maisons sont faites pour la classe riche ou aisée. Et pourquoi bâtit-on si peu de maisons de rapport ? La construction est devenue très chère. Si l’on tient compte, en outre, du taux d’intérêt qui se pratique aujourd’hui, on arrive, pour les maisons neuves, à des loyers très élevés. Les personnes en quête d’appartements reculent devant ces loyers, vu surtout l’espoir qu’elles ont d’arriver à se loger dans les immeubles anciens, où la loi détermine des prix-limites qui leur sont beaucoup plus avantageux.
Les pouvoirs publics n’ont pas de raison de se soucier des conditions plus ou moins onéreuses dans lesquelles arriveront à se loger les gens fortunés. Mais, se préoccupant du logement de la classe populaire, ne doivent-ils pas penser aussi à ce qu’on appelle les classes moyennes.
Le sort des classes moyennes
Dans ces classes moyennes entrent les catégories sociales qui ont été le plus durement éprouvées par la dévalorisation de la monnaie. Les ouvriers, les tout petits fonctionnaires ont obtenu des augmentations qui ont permis à leurs revenus de suivre – souvent, il est vrai, avec des retards – la hausse du coût de la vie. Mais par le nivellement des traitements où l’on tend, la situation des fonctionnaires moyens et surtout supérieurs se trouve abaissée: celle des pensionnés, des retraités, des rentiers est comme passée sans cesse sous un implacable laminoir. Combien ne sont-elles pas intéressantes, cependant, ces classes moyennes si cruellement maltraitées par le bouleversement social qui s’effectue sous nos yeux ! Là se trouvent les éléments qui constituent l’armature de l’Etat; là se trouvent aussi, représentés par les professeurs de tous ordres, par les travailleurs intellectuels, les éléments par lesquels est conservée, transmise, enrichie et embellie, cette culture qui est à la fois le soutien et la parure de toute notre civilisation.
Qu’a-t-on donc fait, sinon pour résoudre, du moins pour atténuer la crise du logement en tant qu’elle éprouve les classes moyennes ? Dans toute notre législation, on ne trouve à citer qu’une disposition temporaire exonérant les constructions nouvelles de l’impôt foncier et des autres impôts réels pour une durée de quinze années. Et si cette mesure n’est pas sans intérêt, pour souligner combien elle est insuffisante, on n’a qu’à noter les résultats de l’expérience faite récemment par la Ville de Paris. Dans les immeubles dits à loyer modérés dont celle-ci a provoqué la construction sur l’emplacement des fortifications démolies, et pour lesquels elle a cédé gratuitement les terrains, on a, par exemple, des appartements de 5 pièces dont les prix de location vont jusqu’à 9.980 francs, et il s’agit de pièces tellement exiguës qu’elles sont quasiment inhabitables !
Il faudrait faire bénéficier d’exemptions fiscales plus étendues la construction des habitations destinées aux classes moyennes. Dans ce sens, des textes fort intéressants ont été votés par la Chambre, à deux reprises, lors de la discussion de la loi de finances de 1924 : le Sénat les a disjoints, D’autres propositions, intéressantes également, se sont fait jour au moment de l’élaboration de la dernière loi des loyers : elles n’ont pas abouti. Pourquoi ces insuccès ? s
On craint que les avantages constitués par les exemptions fiscales ne bénéficient aux constructeurs des immeubles, à ceux qui fournissent les capitaux, non pas aux locataires. C’est oublier que l’industrie de la construction est soumise au régime de la concurrence, et que tout ce qui abaisse le coût de revient abaissera le prix de vente – ou de location – profitant en définitive à l’acquéreur – ou au locataire.
On parle également des pertes que les exemptions fiscales entraînent pour le Trésor. La perte directe apparaît bien faible, puisque l’activité de la construction est très ralentie. Veut-on y ajouter une perte indirecte, en représentant que les capitaux, attirés vers la construction par les exemptions fiscales, se seraient investis, sans celles-ci, dans d’autres placements qui auraient provoqué des perceptions d’impôts ? C’est entrer là dans des considérations quelque peu hasardeuses, sur lesquelles on ne pourrait baser que des estimations tout à fait incertaines.
Les mesures à prendre
Au reste, il y a lieu d’envisager résolument, et d’une manière suffisamment large, l’idée de sacrifices à consentir pour favoriser l’habitation des classes moyennes. Ce seront tout d’abord des sacrifices négatifs, si l’on peut ainsi parler, c’est-à-dire des manques à gagner, représentés par les exonérations fiscales. Mais ce devront être aussi des sacrifices positifs, représentés par des prêts à taux d’intérêt réduit, des subventions en capital ou des subsides couvrant l’intérêt des capitaux.
En somme, les mesures à prendre, en matière de logement, à l’avantage des classes moyennes, sont tout à fait du même ordre que celles qui sont inscrites dans la législation des habitations à bon marché. Et la matière a été étudiée de la façon la plus approfondie. De nombreuses initiatives gouvernementales ou parlementaires se sont produites ; des commissions ont rédigé des rapports remarquables. Il s’agirait maintenant de passer – enfin – aux réalisations. Le groupe de l’habitation qui vient de se fonder à la Chambre s’emploiera de son mieux à les hâter.
Parlant, dans un précédent article, du problème du logement populaire, j’indiquais combien l’heureuse solution de ce problème intéressait la santé physique et morale de la classe ouvrière. S’agissant des classes moyennes, les mêmes considérations jouent peut-être à un degré moindre. Mais combien n’importe-t-il pas à tous d’avoir, dans ce logement où notre vie est attachée, l’espace et le confort ! Une condition essentielle du bonheur réside là. Et il ne s’agit pas seulement du bonheur individuel : le logement est nécessaire pour la constitution des ménages, et les commodités qu’on y peut trouver règlent souvent la multiplication de la famille. En même temps qu’une question sociale, le logement est une question nationale au premier chef. Nous ne saurions trop nous en occuper, si, au milieu des difficultés de l’heure, nous pensons à l’avenir de la nation, dont nous avons avant tout le devoir l’assurer la perpétuité et la croissance. Adolphe Landry, député, ancien ministre.
vocabulaire : en 1950, la législation sur les habitations à bon marché – HBM – a été remplacée par celle sur les habitations à loyer modéré – HLM -.