a-Hélène LANDRY-CAMPINCHI biographie plus complète - établie par Michel BUSSIÈRE, magistrat

rappel du sommaire des articles concernant Hélène :
    1 – biographie établie au vu des documents dont nous avons hérité (avril 2020) : cliquez ici
     2 – biographie plus complète (septembre 2024) : voir ci-dessous
     3 – attribution de son nom à la plus grande salle de la Cour d’Appel de BASTIA : à venir

Hélène Landry, devenue Hélène Campinchi par son mariage, naquit le 10 mai 1898 à Paris (9ème arrondissement), fille d’Adolphe Landry (1874-1956) et de Lucie Thuillier (1877-1956).
Sa mère s’occupa plus spécialement des trois enfants issus du mariage, Hélène, la première, Letizia née en 1900, puis le dernier, Paul, Jean, né en 1901.
Son père, né le 29 septembre 1874 à Ajaccio, était démographe et économiste, considéré notamment comme le père de la politique familiale française 1. Il avait posé en 1901 le problème du quantum de capitalisation nécessaire à une création de richesse conforme à l’intérêt social, mais il est surtout reconnu par son œuvre démographique. À la suite de Charles Andler, il fut l’un des défenseurs du socialisme éthique.
Il exerça une longue carrière politique en Corse, au Conseil régional puis comme député – pendant la Troisième République, de 1910 à.1942. Il devint ministre de la Marine en 1920 et 1921, puis président de l’Académie de Marine en 1922-1923 et en 1931-1932. Il fut aussi ministre de l’Instruction publique, des Beaux-arts et de l’Enseignement technique en juin 1924, puis ministre du Travail et de la Prévoyance sociale en 1931 et 1932.
Après la Guerre et sous la Quatrième République, Adolphe Landry retrouva son siège de député de la Corse de 1945 à 1951 et termina sa carrière comme sénateur du 8 décembre 1946 au 18 juin 1955. Il mourut le 28 aout 1956 à Paris.
Adolphe Landry était officier de la Légion d’Honneur.

Sa fille aînée, prénommée Lasthénie, Blanche, Hélène, fit toutes ses études à Paris (où résidaient principalement ses parents, qui avaient gardé une autre résidence en Corse). Après de brillantes études à l’Université de Paris, Hélène Landry obtint en 1920, une licence de philosophie et une licence en droit.
Quand son père devint ministre de la Marine au cours de la même année, elle fut la première femme à occuper un poste dans un cabinet ministériel, en qualité de cheffe adjointe du cabinet civil. Elle était âgée de 22 ans. L’année suivante, elle fut admise comme avocate à la cour d’appel et inscrite au barreau de Paris. Elle rejoignit encore son père quand il fut nommé ministre de l’Instruction publique en juin 1924. A chaque fois, sa fille Hélène Landry le suivait dans son cabinet ministériel et elle fut la première femme à occuper ainsi un poste dans un cabinet ministériel. L’entrée des femmes dans les administrations centrales des ministères était une des revendications des féministes de l’époque, parmi lesquelles figuraient sa première tante, Marguerite Pichon Landry.
Le 27 juin 1925, elle épousa à Paris (16ème arrondissement) Sampiero, César, Auguste, Napoléon, Jérôme Campinchi, né le 4 mai 1882 dans le petit village de Calcatoggio au nord d’Ajaccio. Ce mariage, avec un éminent avocat à la cour, fut annoncé dans le journal Le Gaulois du 28 avril 1925, en rappelant que le père de la future mariée était député de la Corse et ancien ministre de la Marine.
Le même journal, daté du 1er juillet 1925, précisa que le mariage avait été célébré dans l’intimité et que le bâtonnier Chenu et Me Fernand Payen, avocat à la cour, étaient les témoins de la mariée, tandis que le marié était assisté de M. Alexandre Millerand, ancien Président de la République, et du bâtonnier Henri Robert, membre de l’Académie française.
Son mari était avocat au barreau de Paris depuis 1907 et il avait fait son stage au cabinet de Me Clunet puis d’Alexandre Millerand, avocat et homme politique. Il avait aussi été pris en amitié par le Bâtonnier Henri Robert et fut aussi secrétaire de la Conférence du stage en 1910.
Il rédigea la chronique judiciaire dans les journaux Gil-Blas, L’Evénement et le Temps.                
La Première Guerre mondiale interrompit ses activités diverses et, bien que réformé de la classe1902 pour cause de myopie, il participa à la défense de son pays. Pour être sûr de partir tout de suite, il s’engagea volontairement le 22 août 1914 à la mairie du 5e arrondissement de Paris et fut affecté au 17e régiment d’Infanterie à Epinal. Arrivé au corps le 3 septembre, il fut placé au dépôt mais demanda par deux fois à partir au feu, sans succès jusqu’en novembre 1914, où il se retrouva aux tranchées de Liévin et put mener la vie de tous les camarades, effectuant plusieurs patrouilles de nuit.
Il fut alors blessé le 17 décembre 1914 à Notre-Dame-de-Lorette lors d’une attaque de jour : une balle «presque à bout portant» lui coupa le triceps et lui enleva une partie de l’humérus. «C’est insensé les ravages que cela fait … et j’ai un trou où je pourrais passer le poing» écrivait il au Bâtonnier de Paris. Soigné à Amiens jusqu’au 12 mars – il subit deux opérations «dont une sans chloroforme», avant d’être transféré à l’hôpital 123 de Paris.
Après cette blessure bien soignée, il repartit le 22 septembre 1916 au 8Ie régiment d’artillerie lourde puis au 86e régiment d’artillerie lourde, avant d’être déclaré définitivement inapte aux armées combattantes le 23 février 1917. Toutefois, il poursuivit son engagement volontaire à la 4e section d’infirmiers, avant d’intégrer la 20e section des secrétaires d’état-major, le 3 novembre 1917. Démobilisé le 19 mars 1919, il reprit son activité d’avocat au palais de justice de Paris, en plaidant des causes retentissantes. Il fut aussi membre du Conseil de l’Ordre des avocats à la fin des années 1920.

Hélène Campinchi, quand son père devint ministre du Travail pendant un an en 1931 et1932, fut chargée de mission dans ce ministère.
Son mari, élu au Conseil général de Corse en 1928 à Bocognano, son village natal, fut aussi élu député de la Corse en mai 1932, réélu en 1936 jusqu’en 1941. Il fut aussi désigné comme ministre de la Marine de juin 1937 à janvier 1938 dans le troisième cabinet de Camille Chautemps; puis Garde des Sceaux, ministre de la Justice de janvier à mars 1938 (4e cabinet de Camille Chautemps) et encore ministre de la Marine Militaire de mars 1938 au 16 juin 1940.
Son épouse Hélène fut également chargée de mission pour lui, mais uniquement au ministère de la Marine.
Sur proposition du ministère de la Justice, il avait été nommé chevalier de la Légion d’honneur par décret du 12 janvier 1929, en qualité d’avocat à la cour d’appel de Paris et membre du Conseil de l’Ordre.

Le 14 juin 1940, alors que l’armée allemande entrait dans Paris, le Gouvernement de Paul Reynaud se replia à Bordeaux. Hélène Campinchi suivit son mari, ministre de la Marine Mi1ilitaire. Après le dernier conseil des ministres tenu sous la présidence de Paul Reynaud dans le grand salon de l’hôtel de Nesmond à Bordeaux le dimanche 16 juin 1940 dans l’après-midi, le Gouvernement démissionna pour céder le pouvoir· au Maréchal Pétain.
Ce voyage est présenté selon l’essai de Pierre Fourneret, fils de Georges Fourneret, Directeur des services de Sécurité du Protectorat du Maroc à Casablanca depuis le 6 octobre 1937. Auparavant il était sous-préfet à Bar-sur-Aube .                                                                                                                                                                                                                                       

le Massilia, paquebot de ligne de la Compagnie de l’Atlantique-Sud

Vendredi 14 juin 1940 : le Président de la République Albert Lebrun et le Gouvernement de la France se réfugièrent à Bordeaux et; en ce même jour, les troupes allemandes entrèrent dans Paris.
Dimanche 16 juin 1940 : l’État se trouvait en déshérence et à 22 heures, lors du troisième Conseil des ministres de la journée, Paul Reynaud, dernier président du Conseil des Ministres de la Troisième République, démissionna. Le Maréchal Pétain présenta son gouvernement qui fut accepté par le Président de la République, lequel signa le décret de nomination vers 23 heures 30.
Edouard Daladier, Georges Mandel et César Campinchi n’étaient plus ministres, mais ils redevenaient députés et ils devaient partir sur le paquebot Massilia, réquisitionné pour l’évacuation des parlementaires. Ils furent accompagnés notamment de Léon Lévy-Alphandéry, 78ans, Yvon Delbos, Jean Zay, Paul Bastid, Pierre Vienot et Pierre Mendès-France, âgé de 33 ans. La gauche était majoritaire avec douze députés radicaux. Le général Michel, commandant militaire de la Chambre des députés et son ordonnance, les accompagnaient.
Lundi 17 juin 1940 : le Gouvernement du Maréchal Pétain demanda l’armistice à l’Allemagne et le Général de Gaulle partit en Algérie.
Mardi 18 juin 1940: l’Amiral Darlan annonçait dans un télégramme que le départ du Massilia se ferait le 20 juin 1940 depuis l’estuaire de la Gironde.  Ce navire, réquisitionné pour le transport des troupes, était désigné pour transférer officiellement les Chambres législatives en Afrique du Nord et il était prêt à partir. Le départ était annoncé pour le 20 juin. Des cabines étaient prévues pour 600 passagers.
Mercredi 19 juin : vers 11 heures au Verdon, le bateau de transport Mexique sauta sur une mine déposée la veille par deux avions allemands. Le même jour la gare maritime fut bombardée, sans grands dégâts, mais l’attaque allemande provoqua un grand énervement parmi les marins. L’embouchure du Verdon était minée et le départ de Pauillac, pourtant plus proche de Bordeaux, fut reporté à l’embouchure de la Gironde.
Jeudi 20 juin: : le Maréchal Pétain, après avoir reçu des assurances de la part des Allemands, suspendit le départ. Les quelques parlementaires candidats au voyage étaient déjà sur le navire depuis la veille mais l’information ne leur parvint pas.
A l’embarquement, M Campinchi, qui était encore quatre jours auparavant ministre de la Marine, fût reconnu à la lorgnette par le commandant Ferbos qui vit approcher une embarcation de police-navigation avec un civil ressemblant singulièrement à une personnalité connue.
Au commandant qui s’informait du nombre de parlementaires pour une destination inconnue, l’ex-ministre répondit : « Quarante ou six cents ».
Mais le départ  ne pouvait pas avoir lieu car le personnel de bord était en grève !
Au début de l’après-midi, le commandant Ferbos ne quitta pas sa passerelle. L’équipage qui croyait pouvoir débarquer demanda des explications.
Le commandant fit désigner un porte-parole pour mettre fin au chahut, puis il déclara : « Je ne vous reconnais pas le droit de discuter de la qualité des passagers. Le navire est réquisitionné par la marine militaire … tout refus d’obéissance vous mettrait dans un cas extrêmement grave. »
Il se rendit ensuite auprès de M. Campinchi, qui s’installait dans une grande cabine et l’accueillit avec le sourire :
     – Vous voyez commandant, tout va bien !
     – Non, Monsieur le ministre, tout va mal. L’équipage est près de se mutiner».
Après une heure de discussion, l’ancien ministre serra les mains des délégués qui restèrent rébarbatifs.
L’Amirauté fit monter à bord quatre-vingts hommes de la marine de guerre, fusiliers-marins en armes et apprentis mécaniciens de Lorient bien encadrés. Ils seront là pour protéger les personnalités en cas d’incidents et éventuellement remplacer les civils récalcitrants de l’équipage. Il y avait également deux canons et deux mitrailleuses.
L’embarquement ne se fit pas le jour prévu, il fut reporté au lendemain.
Il y avait à bord de nombreux députés, d’anciens ministres, mais aussi des écrivains, des
artistes et des personnes plus mondaines. La liste des passagers fut établie par la Compagnie maritime mais aussi par l’ Ambassadeur d’Espagne José-Félix de Léqueria.
Vendredi 21 juin : A 13h30, le Massifia prenait enfin la mer depuis le port du Verdon avec seulement vingt-sept parlementaires, dont deux députés d’Algérie et un du Sénégal, César Campinchi et son épouse Hélène. Il y avait aussi environ deux-cents familles juives fuyant les nazis. On peut lire dans le Journal de bord : Le Massilia franchit les· passes de la Gironde… au ras de la côte pour éviter les champs de mines... Quelques mines éclatent au large... Le Massifia croise, à quelques encablures, un gros cargo incendié… Heureusement la traversée se poursuit par un temps magnifique... Lheure des repasexcellentsne manque pas de charme…. Les femmes arborent de nouvelles toilettes et sétendent sur le rocking-chair du pont-­promenade ... Papotages mondainsDans les entreponts, les quelques· centaines de soldats et de marins embarqués et rescapés des combats mangent leur· gamelle sans enthousiasme... Des groupes de parlementaires se forment où lon discute avec animation comme dans les couloirs du Palais-Bourbon.
César Campinchi obtint pour lui-même et Georges Mandel la permission de monter sur la passerelle aux côtés du commandant Ferbos. Les deux hommes politiques passeront la plus grande partie de leur temps sur la passerelle. Ils auront avec le commandant de longues conversations. M Mandel est amer et ne désarme pas. M Campinchi est plus objectif, moins hargneux mais aussi résolu.         
Samedi 22 juin : L’armistice avec l’Allemagne étant signé, la traversée se poursuivit et le commandant du Massifia refusa de se dérouter vers l’Angleterre. Marie-Claire Mendès­ France écrira : Sur le Massilia, pendant quelques heures, nous ne savions pas si nous allions à Londres ou à Casablanca.
Dimanche 23 juin : les parlementaires apprirent à bord la signature de l’armistice. Ils rédigèrent un texte demandant leur retour mais le télégramme ne fut pas transmis en raison de l’interruption des services radiophoniques.
Lundi 24 juin : après trois jours de navigation, le Massifia arriva à Casablanca, à 7h45 du matin, au môle du Commerce. A l’accostage, les autorités du port n’ayant pas d’instructions particulières, interdirent le débarquement des civils et des parlementaires reconnus par des membres du P.S.F. qui arrêtèrent les taxis, insultèrent copieusement les trois parlementaires et se livrèrent à des voies de fait sur la personne de Monsieur Jean Zay (sa femme était enceinte), ancien Ministre de l’Education Nationale.
Marie-Claire Servan-Schreiber nota : .. les Français du Maroc nous ont accueilli ·dune façon abominable; Campinchi a été roué de coups et traité de tous les noms·. Maman a eu sa Légion dhonneur arrachée devant moi… Campinchi ex-ministre de la Marine fut agressé par les douaniers.
Vers 19 heures l’arrivée inopinée en avion de Duff Cooper, le ministre britannique de l’Information créa l’incident; l’envoyé de Churchill fut dissuadé de rencontrer les passagers du Massilia, notamment Georges Mandel, qui étaient consignés à bord. Les anciens ministres, d’abord encombrants, devenaient suspects. Pendant la nuit, le bateau fut transféré au quai des phosphates.
Mercredi 26 juin : A l’aube, le Ministre britannique retourna en Angleterre. MM. Daladier, Delbos et Campinchi furent conviés à déjeuner par le général Noguès, Résident général, revenu au Maroc. Selon les consignes du général Noguès, datées du 26 juin 1940 à 12 h 20, transmises par Jean Morize à 1’Amiral d’Harcourt, les membres du Parlement pouvaient descendre à terre et rester au Maroc mais hors de la ville de Casablanca, avec cependant des instructions spéciales pour G. Mandel, P. Mendès-France et E. Daladier.
Le bateau avait été éloigné des quais et transféré dans la rade de Casablanca vers 7h puis ramené vers 20h dans le bassin Delpit en face du quai aux Huiles. Edouard Daladier et César Campinchi passèrent la nuit à bord mais ont exprimé leur émoi par l’intermédiaire du général Michel au sujet de ce transfert du bateau.
Jeudi 27 juin : quatrième jour, le bateau revint au quai des Phosphates vers 11 h et les parlementaires restés à bord débarquèrent. Ils partirent pour se regrouper à Alger, sauf E. Daladier qui s’installa à Casablanca et G. Mandel, assigné à résidence à lfrane.
César Campinchi et son épouse Hélène ont pu rejoindre Alger14 où ils résidèrent à l’hôtel Aletti, jusqu’au 19 juillet 1940, date de leur retour en Métropole en embarquant sur le bateau Florida, selon Pierre Foumeret. Le préfet de Marseille Charles Bouët leur avait précisé qu’ils ne devraient pas quitter cette ville.
D’après le récit de Maître Gérard Boulanger, César Campinchi n’avait pu revenir d’Alger avec son épouse que le 27 juillet 1940 par le courrier régulier, alors que ce même jour, tous les parlementaires revenus d’Alger étaient autorisés à quitter Marseille, sauf MM Campinchi et Delbos.
10 juillet 1940 :  en l’absence des parlementaires partis en Afrique du Nord, l’Assemblée nationale avait accordé les pleins pouvoirs au Maréchal Pétain.

Résidant à Marseille 4 rue Bailly de Suffren et officiellement en retraite, Hélène et César Campinchi purent encore participer à la Résistance. César préparait aussi sa défense, car il s’attendait à être traduit devant la Cour de Justice à Riom.
Cependant des ennuis de santé sérieux (crise d’urémie ou hépatite) nécessitèrent l’admission de César à la clinique Monticelli, 88 rue du commandant Rolland, où il subit une opération chirurgicale au foie. Son état étant fort obéré, il ne put pas résister et mourut le 22 février 1941 à 21 heure.
Les journaux de toutes les régions de France relatèrent le décès de l’ancien ministre, en précisant qu’il était aussi un avocat talentueux.
La levée de corps eut lieu le 24 février 1941 dans l’après-midi et le cercueil fut transporté au port pour être déposé sur le paquebot Sampiero Corso exploité par la Compagnie Frayssinet, afin de se rendre à Ajaccio.
Il fut inhumé le 26 février 1941 à 15 heures dans le tombeau de la famille Landry au cimetière d’Ajaccio.
Le journal L’Aurore du 22 février 1945 rappelait le décès de César Campinchi, survenu quatre ans auparavant.                         

Après la mort de son mari, Hélène Campinchi retourna à Paris et devint pleinement active, sans être seulement la fille de son père ni l’épouse de son mari. Mais elle resta toujours fidèle à César Campinchi, sans se remarier.
Elle entra encore plus dans la Résistance, au sein du Parti radical-socialiste mais aussi de l’Organisation Civile et Militaire. Pierre Mazé était le secrétaire général du Parti radical-socialiste depuis 1937.  Il conserva ce poste lors de la mise en sommeil du parti en 1940 et il continua son action en résistant à l’occupation allemande.
Hélène Campinchi adhéra aussi à l’Organisation Civile et Militaire, un grand mouvement de la Résistance intérieure française, opérant en zone occupée. Cette organisation résulta, en décembre 1940 à Paris, de la fusion entre !’Equipe Française d’Organisation du Redressement (EFOR) de l’industriel Jacques Arthuys et la Confédération des travailleurs intellectuels, animée par Maxime Bloch-Mascart.
Puis l’OCM fut renforcée dès janvier 1941, par des fonctionnaires du ministère des Travaux publics. Elle recruta aussi dans la bourgeoisie, l’industrie, parmi les commerçants, les anciens combattants, les universitaires et les professions libérales dont les avocats et les architectes.
Au début, deux tendances politiques étaient particulièrement représentées, les conservateurs germanophobes et les socialistes. Au cours de la guerre les socialistes l’emportèrent.
La réorganisation par Alfred Touny, avec le colonel Rémy chef du réseau Confrérie Notre-Dame, provoqua un afflux de nouveaux militants, notamment socialistes comme Guy Mollet ou Abel Poulain. L’OCM prit alors une tout autre dimension en 1942-1943, malgré les coups très durs portés par la Gestapo et cette Organisation se maintint activement jusqu’à la Libération.

Hélène Campinchi intervint aussi de manière importante dans la défense des accusés lors du procès de Riom• Edouard Daladier et Georges Mandel s’étaient aussi rendus au Maroc avec le paquebot Massilia, de même que Pierre Mendès-France, Pierre Vienot, Alex Wiltzer et Jean Zay. Ces derniers considérés comme officiers mobilisés avaient été arrêtés à Casablanca et poursuivis devant le tribunal militaire de Clermont-Ferrand.
Edouard Daladier et Georges Mandel, qu’Hélène Campinchi avait connus à bord du Massilia et en Afrique du Nord, devaient comparaître devant la cour de Riom le 19 février 1942, avec Léon Blum, le général Gamelin et Paul Raynaud. On comprend pourquoi Hélène Campinchi s’était sentie concernée par cette poursuite judiciaire effectuée contre des collègues de son mari, lequel avait craint aussi de devoir comparaitre à Riom.

L’activité de résistante fut tellement forte pour Hélène Campinchi que la Gestapo la fit arrêter en juillet 1944, à la bibliothèque des avocats du Palais de justice de Paris. Elle passa trois jours dans une cellule des locaux de la Gestapo avenue Foch. En premier, elle fut interrogée par un magistrat allemand, puis par un français, membre de la Gestapo, qui la conduisit dans un vaste appartement du 17e arrondissement, où elle rencontra Joseph Joanovici, « homme gros et cordial « .
Après cet interrogatoire, Hélène fut reconduite à la Gestapo, puis transféré à la prison de Fresne, dans une cellule d’isolement. Elle dut subir de nombreux interrogatoires mais par chance ne fut jamais torturée.
Finalement, elle fut libérée le 8 août 1944 et évita l’envoi dans un camp de concentration.
Alain Decaux a écrit à propos de Joseph Joanovici : « D’ailleurs, il avait versé une certaine somme (300.000) pour faire sortir de prison Mme Hélène Campinchi ».
De retour dans son appartement situé avenue Kléber dans le 16eme arrondissement, elle découvrait que son logement avait été pillé, probablement par les hommes de la Carlingue29, une officine française dans l’ombre de la Gestapo. Ses bijoux, des meubles et surtout quatorze tableaux de grands maîtres (dont Renoir, Dufy, Monet, Sisley, Boudin), avaient disparus. Mais son avocat mit encore Monsieur Joseph à contribution et ce dernier rapporta lui-même à sa propriétaire, treize des quatorze toiles, désencadrées mais intactes.

Cette belle action dans la Résistance fut récompensée par l’attribution à Hélène Campinchi de la Médaille de la Résistance (décret du 24 avril 1946) et de la Croix du Combattant Volontaire de la Résistance.
Après la fin de la guerre, le procès de Joseph Joanovici était prévu pour le 15 juillet 1949 et HélèneCampinchi envoya une lettre au Président de la Cour de justice pour expliquer que, peut-être, l’intervention du prévenu lui aurait permis de rester en vie. Citée par la défense, elle vint même déposer devant la Cour, en expliquant qu’elle fut libérée et sauvée des mains des Allemands grâce à l’accusé.                                                                                               

  Dès le 3 juin 1944 à Alger, le Général De Gaulle avait constitué le gouvernement provisoire de la République française. Après la Libération de Paris, le 25 août I 944, il fut chargé jusqu’en janvier 1946 de gouverner la France libre et dans son Gouvernement, en septembre 1944, il choisit François de Menthon comme ministre la Justice, qui le demeura jusqu’au 8 mai 1945.  Ce ministre, voulant réformer la justice des mineurs, désigna Hélène Campinchi en qualité de chargée de mission pour présider la Commission qui devait aboutir à la rédaction du projet de l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante.
Hélène Campinchi souhaitait que cette réforme augmente l’expertise des juges, la réinsertion des jeunes et donne un plus grand rôle aux assistants sociaux.
La dernière réforme de la justice des mineurs datait de la loi du 22 juillet 1922, laquelle avait mis en place quatre dispositions importantes :
      – les mineurs de moins de 13 ans, qui n’étaient plus déférés devant le juge pénal mais en chambre du conseil, bénéficiaient de l’irresponsabilité pénale
       – les mineurs âgés entre 13 et 18 ans étaient jugés après instruction par une chambre spéciale du tribunal de première instance;
        – le juge pouvait procéder à une enquête sociale portant sur les conditions de vie familiale du mineur;
        – les sanctions pouvaient être assorties de la liberté surveillée jusqu’à 21 ans. La loi du 24 mars 1921 avait aussi institué un délit de vagabondage des mineurs.
Le député radical César Campinchi avait proposé en 1937 un projet très ambitieux qui ne fut pas retenu, même quand il devint ministre de la Justice.
Ce double projet avait pour objet, en premier lieu, de modifier les règles de comparution des enfants traduits en justice, et en second lieu, d’inviter le gouvernement à déposer un projet de loi en vue d’assurer aux enfants traduits en justice le traitement nécessaire à leur sauvegarde,
leur rééducation et leur redressement.
Le député prônait tour à tour :
        – la systématisation des enquêtes médicales et sociales;
        – l’organisation de centres de triage;
        – la réorganisation de la liberté surveillée, en envisageant de la confier à des professionnels;
        – la réforme des patronages, en augmentant tout à la fois leurs moyens financiers et le contrôle de l’Etat sur leur action;
        – la réforme des colonies pénitentiaires par l’introduction d’un personnel éducatif;
        – la création d’un service autonome de l’Education surveillée.
Et César Campinchi proposait aussi d’améliorer l’organisation-clé la juridiction des enfants et adolescents sur trois points :
        – l’autonomie du tribunal pour enfants et adolescents (TEA), avec des locaux spécifiques
et un greffe spécial;
        – la concentration et la coordination au TEA, de tous les services judiciaires s’occupant
de l’enfance, sur le plan pénal comme en matière civile;
        – une véritable spécialisation du magistrat désigné pour s’occuper de la justice des mineurs.
Il avait écrit: « On ne peut bien juger les enfants si on ne les connaît pas, et on ne s’improvise pas bon juge en une telle matière. La connaissance approfondie des problèmes moraux, sociaux, juridiques à résoudre, des textes législatifs et réglementaires à appliquer, des ressources qu’offrent les œuvres, les services sociaux, les établissements d’Etat, ne peut s’acquérir que progressivement.
Il proposait aussi pour le juge du TEA, un avancement sur place obligeant à envisager une dissociation du grade et de la fonction et il suggérait même de créer un tribunal régional dans les régions où il y avait peu d’affaires concernant les mineurs.
Toutefois, ces projets ambitieux ne connurent pas de transcription législative, même si César Campinchi devint pour un court moment ministre de la Justice, de janvier à mars 1938.
Hélène Campinchi, nommée présidente de la Commission chargée d’écrire le projet de loi réformant et modernisant la justice des mineurs, connaissait parfaitement ce sujet et pouvait agir utilement et efficacement.
Le texte original de l’ordonnance du 2 février 1945 peut être lu sur internet.
Parmi les grandes mesures innovantes, il faut citer :
        – un juge spécialisé est enfin créé pour juger les mineurs, avec la présidence du tribunal pour enfants lorsque le jugement doit être prononcé collégiale Les assesseurs seront choisis parmi les personnes de l’un ou de l’autre sexe, âgés de plus de trente ans, de nationalité française et s’étant signalées par l’intérêt qu’elles portent aux questions concernant l’enfance;
        – l’instruction des affaires impliquant la participation d’un mineur comme auteur d’une infraction est partagée entre le juge des enfants et le juge d’instruction; mais ce dernier reste obligatoirement compétent pour les crimes commis par les mineurs qui comparaitront encore devant la Cour d’assise mais avec une composition spéciale;
        – le juge des enfants peut assurer 1’instruction et le jugement des affaires délictuelles et contraventionnelles impliquant des mineurs;
        – suivant les cas, seront prononcés des mesures de protection, d’assistance, de surveillance, d’éducation, ou de réforme, qui sembleront appropriées et non pas seulement des peines;
         – un juge d’instruction désigné par le premier président, sur la proposition du procureur général, et un magistrat du parquet désigné par le procureur général seront chargés  spécialement des affaires concernant les mineurs;
        – les mineurs ne pourront plus être poursuivis par la procédure de flagrant délit ou par voie de citation directe.
L’ordonnance du 2 février 1945 fut signée par C. De Gaulle et par le Garde des sceaux, ministre de la Justice, François de Menthon, pour le gouvernement provisoire de la République française.
Hélène Campinchi participa activement aux discussions devant permettre l’accès des femmes aux postes de 1a magistrature et défendit un accès équitable des femmes à cette profession, avec les députés Edouard Depreux et Germaine Poinso-Chapuis. Charlotte Béquignon-Lagarde était devenue la première femme magistrate de France par sa nomination à la Cour de cassation selon décret du 10 octobre 1946, pris en vertu d’une disposition pe1n1ettant de nommer un professeur des universités au sein de la haute juridiction.
C’est finalement la loi du 11 avril 1946 qui ouvrit aux dames la possibilité d’accéder à la magistrature :
Article1 : Tout français, de l’un ou de l’autre sexe, répondant aux conditions légales, peut
accéder aux fonctions de la magistrature.
Par le Président du Gouvernement provisoire de la République : Félix Gouin. Le garde des sceaux, ministre de la Justice, Pierre-Henri Teitgen.

Hélène Campinchi écrivit beaucoup sur ce thème de la justice des mineurs qu’elle n’oublia jamais.
On doit citer :
     – l’ordonnance du 2 février 1945 (1946);
     – l’enfance délinquante devant la loi (1946);
     – l’ordonnance de 1945 sur la correction paternelle (1946);
     – le foyer de semi-liberté de La Tutélaire (1950);
     – police et prévention aux Etats-Unis (1954);
     – la correction paternelle (1955);
     – un projet de loi sur l’adoption (1955).

Elle conserva ses fonctions d’administratrice initiées avant la guerre dans plusieurs
associations de protection de l’enfance :
     – le Service social de l’enfance;
     – la Tutélaire;
     – l’Union des sociétés de patronage.

Parallèlement, Hélène Campinchi entama une carrière politique comme :
     – conseillère générale de Sari d’Orcinu et vice-présidente du Conseil général de la Corse (1945-1955);
     –
membre du comité directeur du Rassemblement des femmes républicaines (composante du Rassemblement des gauches républicaines);
     – vice-présidente du Parti radical et radical-socialiste en 1948.
Elle fut aussi nommée dans une délégation française, experte auprès des Nations Unies en 1951, en compagnie de Marcelle Kraemer-Bach et Marie-Hélène Lefaucheux.
Elle avait également gardé un contact avec les Corses de l’Alliance française à Tunis où elle fut reçue le 11 juin 1949 et donna une conférence sur le procès de Madame Lafarge. Me Jean Casanova lui répondit en prononçant une très brillante allocution sur la grande et belle figure de César Campinchi. Le procureur général et le·président·du tribunal de Tunis étaient présents ainsi que le bâtonnier Bismuth et de nombreux avocats.

Comme son père et son mari, elle fut nommée chevalier de la Légion d’honneur.

Elle mourut le 19 février 1962 à Saint-Mandé (Seine).

Gaston Monnerville, président du Sénat, prononça en 1978 une allocution élogieuse à la mémoire de César Campinchi et de son épouse Hélène Landry-Campinchi. voir ici.

En 2016, la 24eme promotion de l’Ecole nationale de protection judiciaire de la jeunesse reçut le nom d’Hélène Landry-Campinchi et la Directrice générale de l’école salua « le choix d’une personnalité singulière, qui s‘est illustrée à travers son humanisme, sa posture éclairée et son esprit pionnier ».

Catherine SULTAN, directrice de la Protection judiciaire de la jeunesse, a rendu hommage à cette<< belle personnalité>>, à cette femme, ayant assumé des responsabilités et joué un rôle d’autorité dans une époque exceptionnelle et troublée.  Hélène CAMPINCHI fait partie de <<ces femmes qui nous ont ouvert la voie >>, a précisé la Directrice à ces futurs professionnels.

Il y a une place César Campinchi à Ajaccio et une rue César Campinchi à Bastia.

Le nom d’Hélène Landry-Campinchi sera donné à une salle de la Cour d’appel de Bastia.

BIBLIOGRAPHIE
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Campinchi (Hélène),<< La majorité pénale>>, in Union des Sociétés de Patronage, Recueil des Bulletins 1941-1943.
Service social de l’enfance en danger moral 1923-1942, rattaché au Tribunal pour enfants et adolescents du département de la Seine. Allocution et rapports de M. Henri Rollet, Mmes Spitzer, Campinchi et M. Paul Strauss, Paris, lmpr. Serre, s. d. [1945], 47 p.µ
Campinchi (Hélène), << Le statut de l’enfance délinquante et la loi du 27 juillet 1942 >> , in Hugueney (Louis), Donnedieu de Vabres (Henri), Ance) (Marc) (dir.), Études de science criminelle, Paris, Sirey, 1945;  »problèmes de l’enfance délinquante », chapitre 2, p. 161-214.
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Campinchi (Hélène),<<L’ordonnance du 1er septembre 1945 >>, Pour l’enfance coupable, n°36, mars/avril 1946, pp. 1-4.
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Campinchi (Hélène),<< Les femmes et l’effort de guerre en France et dans les pays alliés>>, Revue Défense nationale, n°3, mars 1947.