Lala (Létizia LANDRY-DELMAS)

sommaire :
– son parcours
– une rencontre insolite
– ma grand’mère
– 
ma première rencontre
– ma troisième grand-mère
– souvenirs de la guerre de 14-18

– la petite histoire d’un « presque siècle »
– à sa disparition
– courte homélie

 

 

son parcours

Létizia, Berthe, Marguerite LANDRY naît le 31 mars 1900 à Paris (7 rue de Chantilly – 9ème), fille d’Adolphe LANDRY (fils de Thimothée) et de son épouse Lucie THUILLIER (fille d’Alfred) – pour en savoir plus : allez voir notre site de généalogie familiale « Alfredandco » abrité par « My Heritage » – cliquez ici.

Après Hélène (1898) et avant Paul (1901).

Son surnom de Lala lui a été attribué très tôt, sans doute par le fait d’un enfant n’arrivant pas à prononcer « lé–ti-zi-a » » – voyez le bas de la lettre adressée à sa mère, non datée, mais dont l’écriture hésitante est celle d’une jeune enfant :


Ce surnom lui est resté toute sa vie – il a été par la suite décliné en « Tante Lala » et en « Grand’Lala » (ou «Granlala», indifféremment).

Ses parents emménagent au 11 rue Soufflot à Paris (5ème).

La voici à gauche avec son frère Paul et sa soeur Hélène.

Son frère Paul étant de santé fragile, les médecins conseillent un déménagement « à la campagne » : vers 1910, la famille s’installe dans la villa Montmorency, 16ème arrondissement (voir par ailleurs plusieurs articles sur cette villa).

Lala est scolarisée au collège Sévigné à Paris (notes « très bien » en 1906) puis au lycée Molière toujours à Paris (1er prix de dessin, et plusieurs autres prix et mentions, en classe de 3ème en 1916) – … nous n’avons pas d’informations pour les autres années.

Elle participe à un orchestre familial.

 

Elève de l’Ecole des Beaux-Arts : nous avons retrouvé plusieurs carnets de croquis.
Elle peint.

Carte d’accès au Musée du Louvre valable pour l’année 1922.

Elle passe ses vacances à Vignacourt, dans l’ensemble (appelé par les villageois « l’catieu », le château) créé par son arrière-grand-père THUILLIER (voir par ailleurs les nombreux articles sur ce lieu mythique).

A l’occasion, elle y accompagne son cousin Jean LASSALLE pour se déguiser tous deux en mendiants.

Elle habite place de la Concorde, au Ministère de la Marine, quand son père y est ministre, du 20 janvier 1920 au 16 janvier 1921.

En 1922, elle se fiance à Jean DELMAS : 

Elle l’épouse le 8 février 1923 : 

Les témoins de Lala : Alexandre MILLERAND, Président de la République, et Raoul PERET, Président de la Chambre des Députés.

Les jeunes époux s’installent 89 avenue de Wagram (Paris 17ème arrondissement), à l’angle de la rue Théodore-de-Banville, dans l’immeuble construit par le grand-père de Lala, Alfred THUILLIER  → voir l’article sur cet immeuble : cliquez ici.

Y arrivent Dominique, le 9 janvier 1924, et Maxime, le 18 mai 1926.

Quand Philippe s’annonce, l’appartement étant trop petit, la famille s’installe à 500 m, au 1 rue de Chazelles (à l’angle de la rue et du boulevard de Courcelles) – toujours dans le 17ème arrondissement. Philippe y arrive le 2 octobre 1927.

extrait d’une lettre de sa tante Lasthénie LANDRY à sa fille (18 octobre 1927) : « visite aussi chez Lala, vraiment éblouissante de beauté. »  – quant au nouveau-né (philippe Delmas) : « petite figure Landry ».

Voyages en Corse.

 

Vacances à Houlgate, sur la côte normande, dans la villa « Les Lions », boulevard Landry (aucune parenté avec notre famille),  avec une annexe « Les Lionceaux », un garage, un tennis, un potager et une cabine sur la plage – sans compter le chien cocker appelé « top » – au total, le rêve pour des enfants !

A la Toussaint 1937, elle fait délivrer à son mari une citation en divorce – elle en est informée alors qu’elle vient d’arriver avec ses enfants à Houlgate – elle rentre précipitamment à Paris, villa Montmorency, chez ses parents.
Le divorce est prononcé par un
jugement rendu le 13 avril 1938 par le Tribunal de la Seine.

Lala et ses enfants s’installent 13 rue des Perchamps, près de la villa Montmorency.

 1938-1939 : élève à l’Ecole du Louvre.

En 1938, à l’instigation de son beau-frère César CAMPINCHI, alors ministre de la Marine, elle réalise un « carton » représentant la baie d’Ajaccio, qui a été reproduit sur un vase par la Manufacture de Sèvres.
→ de son fils Philippe : je me souviens avoir vu le carton de ce vase – malheureusement, quand j’ai fait des recherches, vers 1980, cette Manufacture n’a pas retrouvé le carton – et le Ministère de la Marine n’a pas retrouvé le vase.

Alertée en 1938 par César CAMPINCHI sur l’imminence d’une guerre possible et probable, Lala entreprend des études d’infirmière (→ de son fils Philippe : j’ai servi de cobaye pour des pansements savants, genre « spicas avec retournés ») – diplôme d’infirmière U.F.F. le 13 Mai 1939.

Le 28 novembre 1938, elle obtient l’extension de son permis de conduire les automobiles (obtenu en 1925) aux véhicules pesant en charge plus de 3000 kg (poids lourds) et aux véhicules affectés à des transports en commun.

A la déclaration de guerre, elle se « replie » avec ses enfants chez ses ex-belle-sœur et beau-frère, Christiane et François DELMAS, au domaine de Franc près d’Agen.
Elle y retrouve les quatre enfants de Rodolphe et Clémence PEUGEOT (sœur de Christiane), et les trois filles d’Alice et Roger DOUBRERE (camarade d’internat et meilleur ami de François).

Après l’armistice, elle revient à Paris, rue des Perchamps.

Pour son cousin Jacques WEULERSSE, en 1940, elle illustre de dessins sa thèse de doctorat.

Pour son cousin Henri BONNET, elle reproduit des préparations histologiques qu’elle voit au microscope.

Elle illustre des « bandes dessinées ».

En 1941-42, elle participe au réseau de résistance « La France Continue » avec son amie Marietta MARTIN (morte en déportation à Ravensbruck) et avec Madame de MONTFORT (morte en déportation au même camp). Elle suspend ces activités compte tenu de l’existence de ses enfants. 

Elle héberge occasionnellement des personnes se cachant, comme Olivier DEBRE, fils du professeur DEBRE.

En 1944 (5 mois, jusqu’à la Libération de Paris) : elle est active dans la Résistance comme agent « P1 » au réseau « COHORS-ASTURIES » des Forces Françaises Combattantes :
– carte d’identité délivrée à Paris le 26 juillet 1944 au nom de BERTON Irène, née à Flesselles (Somme) le 30/4/1902 – … avec la même photo qu’une autre carte, au nom de Létizia LANDRY, délivrée à Rouen le 21 décembre 1943;
– carte de service du Secrétariat Général Permanent de la Défense Passive, en qualité de secouriste – service sanitaire d’urgence;
– carte des Corps francs du Gouvernement provisoire de la République Française;
– carte de combattant volontaire de la résistance n° 117472.

Citation à l’ordre de la division (Croix de Guerre avec étoile d’argent) : « patriote ardente et courageuse qui n’a jamais hésité devant les missions les plus dangereuses. Entrée comme agent de liaison d’ORONTE à la Délégation Générale du Gouvernement provisoire de la République Française, a pénétré dans un local qu’elle savait occupé par la Gestapo et a réussi à en ressortir en emportant des documents qui y étaient restés » signée : A. DIETHELS, ministre de la Guerre, le 10 novembre 1945.

Le 27 août 1944, sur un ordre de mission de la Croix-Rouge Française, elle conduit en voiture Marie-Hélène LEFAUCHEUX pour chercher Pierre, le mari de celle-ci, à Buchenwald – elle traverse ainsi les lignes du front – elle reste à Nancy, où elle reprend Marie-Hélène et son mari, que Marie-Hélène avait pu sauver – elle les reconduit à Paris le 6 septembre.   pour lire un compte-rendu détaillé de ce voyage ahurissant et merveilleux : cliquez ici
– note : Pierre LEFAUCHEUX est devenu par la suite PDG de la Régie Renault.

En septembre 1944, elle s’engage au CAVF (Corps Auxiliaire Volontaire Féminin) dont le siège est à l’hôtel de la Tremoille, rue du même nom à Paris – arme : train.

Voici sa « plaque » d’identité militaire.  En cas de malheur, la partie inférieure, séparable par pliage, était rendue à la famille. 

Brevet militaire numéro 174 – corps affectation : deuxième section (section Ganay, du nom de l’animatrice) des Compagnies Sanitaires d’Armée – SP 75175 – délivré le 16 février 1945.

Fin 1944 et début 1945, elle effectue diverses missions à travers la France.
Un moment, elle sert de conductrice à un jeune et bel officier, devenu par la suite Monseigneur BADRÉ, aumônier général des Armées.

Le 10 février 1945 à Belfort, elle s’engage dans la 1ère Armée comme AFAT au service social – conductrice de poids lourds – campagne Rhin et Danube – carte du combattant n° 674647.

Lala racontait que son camion faisait partie d’une série fabriquée par les usines Renault pour être livrée aux Allemands – et qu’il n’était pas un modèle de fiabilité – ainsi, la descente des Vosges vers la plaine d’Alsace sans freins, avec le seul frein moteur, était sportive !

Citation à l’ordre du régiment : « Conductrice de camion qui a fait preuve de qualité d’endurance physique, de calme et de cran remarquables pendant la campagne de France et la campagne d’Allemagne. A effectué sans relâche des transports pour ravitaillement en vivres, en munitions, le transport des prisonniers, parfois jusqu’à proximité des avant-postes et sur des chemins que les incursions ennemies rendaient peu sûrs » signée : de-Lattre-de-Tassigny, le 29 Juin 1945.

Démobilisée à Paris le 21 Février 1946 – avec une prime de 1.000 francs (anciens).

note de Philippe son fils : « je n’ai jamais pensé que ma mère nous avait abandonnés, ma sœur mon frère et moi,  pendant son séjour aux armées – elles nous savait bien abrités chez notre père – tout au contraire, je l’ai admirée pour son courage – j’étais très fier d’elle ».

Après la guerre, de retour au 13 rue des Perchamps, Lala y créé une activité de tapissière-décoratrice – qu’elle exerce pour quelques clients notables, dont le prince Volkonski – elle travaille aussi pour Paule Marrot, éditrice de tissus.

En 1963, ayant cessé cette activité, elle accueille son fils Philippe, avec sa femme Michèle et leurs trois enfants – elle va habiter villa Montmorency.

Quelques années plus tard, en 1969, elle vend cette villa, pratiquement non partageable entre ses enfants.
Elle acquiert alors, sur plans, un appartement 169 boulevard Murat à Paris, 16ème arrondissement. Elle habite quelques mois rue des Bauches, dans le même arrondissement.

Elle s’adonne à la peinture – elle va souvent aux serres d’Auteuil prendre pour modèles des fleurs exotiques.


Pour les aveugles, elle enregistre des textes sur des cassettes.

Après le guerre, elle se rend souvent en Corse, à Calvi, Ajaccio, et Calenzana, où elle hérite de maisons et de vignes.
→ nous reproduisons la carte où figurent les parcelles concernées, aujourd’hui propriété de ses petits-enfants Marie-Claude et Olivier

Elle se rend souvent à Vignacourt (voir plus haut) – elle s’y fait affecter pour son usage personnel une annexe (qui, en fait, donnait sur la rue principale), baptisée « maison bleue » de la couleur de ses volets (acte de partage avec soulte passé le 24 octobre 1960 devant Maitre Neviaski, notaire à Amiens).  
Elle y accueille généreusement, notamment à l’occasion des vacances scolaires, ses enfants et petits-enfants, qui en gardent de merveilleux souvenirs (voir plus loin ceux de Véronique).

Puis, en 1973, elle vend sa « maison bleue » – elle se rend alors souvent à Haillancourt, sur la commune de Saint-Crépin-Ibouvillers, près de Méru dans l’Oise, où elle occupe, à côté de celle de son fils Philippe, une maison (en fait : une bergerie) qu’elle réhabilite, agrandit et décore.

Jusqu’à la fin de sa vie, elle garde toute sa tête (voyez plus loin ses souvenirs de la guerre de 14-18), et sa santé – sauf, pour cette dernière, pendant une époque où, en suivant des prescriptions médicales trop draconiennes, elle meurt de faim au sens propre du terme – elle recouvre une santé normale en abandonnant, sur les conseils de sa famille, ce régime trop sévère.

Elle nous quitte le 11 juillet 1994 – donc à 94 ans.
Elle repose au cimetière d’Ajaccio, route des Sanguinaires, dans le caveau familial MEURON+LANDRY.

une rencontre insolite

Nous avons eu l’occasion de publier un aperçu de la vie de Lala (Létizia LANDRY-DELMAS, fille d’Adolphe LANDRY et de son épouse Lucie THUILLIER – donc petite-fille de Thimothée LANDRY et, par ailleurs, d’Alfred THUILLIER) – et d’y indiquer qu’elle s’était engagée en 1945 comme AFAT (Auxiliaire Féminine de l’Armée de Terre) – en fait : conductrice de poids lourds – dans la 1ère Armée.

Nous venons de retrouver son agenda de poche : en voici deux extraits, concernant sa rencontre imprévue avec Maurice LAMY (son cousin germain par alliance : époux de Colette LASSALLE-LAMY, fille de Berthe Thuillier et donc petite-fille d’Alfred).

              
L’histoire ne dit pas ce qu’ont pensé les autres officiers en voyant une simple auxiliaire invitée au mess et bavarder à tu et à toi avec un officier supérieur (Maurice LAMY était commandant).

 

ma grand’mère ou la petite histoire d’un « presque siècle » – souvenirs de Véronique DELMAS-WIES extrait du Trait d’Union n° 10 – 1996

** Les années 00.
Naissance d’un siècle : événement banal, c’est déjà la vingtième fois après J-C.
En 1900, Exposition Universelle: événement banal, il y en a déjà eu plusieurs en France et dans d’autres pays.
En 1900, Naissance de Létizia: événement unique qui n’eût lieu que le 31 Mars. Elle sera très vite surnommée LALA (mot d’un enfant ne pouvant prononcer Lé-ti-zi-a)

** Les années 10.
LALA , fille de député, assiste le 11 Novembre 1918 à la Chambre à l’annonce, faite par Clemenceau, de la signature de l’armistice.

**  Les années 20.
LALA devient maman, avec l’arrivée de DOMINIQUE (Doudou) en 1924, de MAXIME en 1926, de PHILIPPE en 1927.

** Les années 30.
LALA devient TANTE-LALA pour tous les jeunes qui l’entourent.

** Les années 40.
LALA devient BERTHE pendant la Résistance, à laquelle elle participe plus qu’activement.

** Les années 50.
LALA devient GRAND-LALA avec l’arrivée !
     – en 1952, de VERONIQUE (Philippe et Michèle)
     – en 1953, de MARIE-CLAUDE (Dominique et Philippe)
     – en 1955, de JEAN (Philippe et Michèle)
     – en 1955, d’OLIVIER (Dominique et Philippe)
     – en 1958, de PIERRE (Philippe et Michèle).

**  Les années 60.
LALA se dédouble !
D’une part, la Villa MONTMORENCY à PARIS, avec :
– ses déjeuners dominicaux, si solennels et si terrifiants (deux fourchettes et deux couteaux : lesquels utiliser ????),
– son jardin, avec sa pelouse si tentante et si défendue
– ses petites réceptions pour les grands événements (plus de 200 personnes pour ma communion solennelle, dont je ne connaissais qu’une toute petite dizaine seulement, avec à la fin une collection unique de réveils, missels, évangiles et autres livres pieux).
D’autre part, la Maison Bleue à VIGNACOURT, avec :
– ses parties acharnées de « Nain-Jaune » (par bonheur, les parties perdues ne se payaient qu’en ‘gages’, par exemple des mimes, des devinettes, des histoires drôles, etc. – sinon tous les petits-enfants de GRAND-LALA  auraient été ruinés pour plusieurs générations !!)
– les vaches du fermier (il fallait les ramener à l’étable le soir, mais que peut donc faire une petite citadine ignorante, armée seulement d’une badine minuscule, contre un tel ‘monstre à cornes si pointues qui décide de tourner à droite alors que la bonne route est à gauche ????)
– le jardin, sa pelouse autorisée, ses fleurs, ses légumes, ses fruits, sa ‘cabane des enfants’
– les pommes à cidre (et acides), chapardées, puis dévorées en cachette, mais qui se manifestaient très rapidement par des révoltes intestinales carabinées.

** Les années 70-90.
LALA re-devient GRAND-LALA, : « Ne me dis jamais plus ARRIERE-petits-enfants, cela me vieillit » (sic)  avec l’arrivée :
– en 1974, de SEBASTIEN (Véronique et Jean-Pierre)
– en 1976, de GERALDINE (Philippe et Christiane, petite-fille qui établit l’équilibre des petits-enfants : 3 filles et 3 garçons)
– en 1977, de NICOLAS (Véronique et Jean-Pierre)
– en 1980, de GREGOIRE (Véronique et Jean-Pierre)
– en 1983, de CAMILLE (Olivier et Monica)
– en 1985, de THOMAS (Véronique et Jean-Pierre)
– en 1986, de REBECCA (Olivier et Monica)
– en 1988, de MARIE-DOMINIQUE (Marie-Claude et André)
– en 1989, d’ ADRIEN (Jean et Isabelle)
– en 1989, de CAROLINE (Marie-Claude et André)
– en 1991, de GUILLAUME (Jean et Isabelle)
– en 1994, de SOPHIE (Jean et Isabelle)

LALA tu nous as quittés en 1994,

mais tu as été, tu es et tu resteras toujours ma GRAND-MERE

 

souvenir : ma première rencontre avec Grand-Lala

par Jean-Pierre WIES, à l’époque fiancé de Véronique DELMAS

Ceci se passait avant notre mariage.
Véronique aimait beaucoup Grand-Lala et voulait me présenter.
Grand-Lala avait accepté de nous recevoir à Vignacourt.

Véronique s’en faisait une grande joie.
Sa grand-mère et Vignacourt, c’était de bons souvenirs d’enfance.
Elle me racontait son jardinage avec Grand-Lala, les confitures, les visites à la ferme des Théot.

Nous avons donc pris, ce samedi-là, le train pour Amiens.
Ce devait être au mois de février.
Grand-Lala nous attendait à la gare avec sa R8 (pour les jeunots, il s’agit d’une voiture Renault qui avait la particularité d’avoir le moteur à l’arrière, donc le coffre à l’avant – qui ressemblait à une caisse à savon et dont les roues motrices étaient, elles aussi, à l’arrière. D’aucuns disaient qu’à grande vitesse, elle faisait du wheeling ! – d’où la nécessité de remplir le coffre avant avec un sac de sable (légende urbaine évidemment !).

Véronique nous a présenté.
Alors que je l’appelais « Madame », elle m’a dit : « Appelez-moi Grand-Lala ! ».

J’ai chargé les valises dans le coffre avant.
Nous sommes montés dans la voiture, Véronique derrière et moi à la place du mort.
Et nous voilà partis vers Vignacourt.

Trajet mémorable, car seuls les dieux et les réflexes d’un bon conducteur nous ont permis d’arriver en entier.
Je vais être plus explicite pour ceux qui ont eu la chance de ne pas être conduits par Grand-Lala.
Nous sommes arrivés à un carrefour à l’entrée duquel Grand-Lala s’est arrêtée.
Une voiture venait sur notre  droite, à toute petite vitesse, en semblant hésiter.
Jusqu’à là, rien de plus normal.
Estimant avoir le temps, Grand-Lala passe en première et redémarre coupant la route à la voiture qui arrivait. Le pauvre conducteur a dû avoir la peur de sa vie.
Il a bien entendu klaxonné pour faire connaître son opinion sur une telle manière de conduire.
J’avoue avoir quelque peu blêmi.
C’est alors que Grand-Lala a eu ces mots merveilleux : « Pourquoi klaxonne-t-il ? Ne sait-il pas ce que devient la priorité quand on a le temps de passer ? ».
De ce que j’en sais, elle avait obtenu des permis de conduire dans l’armée lors de la libération (poids lourds, transport en commun …). Elle conduisait, parfois, des camions de munitions.
Cela ne me surprenait pas plus que ça puisque mon grand-père paternel les avait obtenus alors qu’il était dans la police et conduisait aussi « bien ».

Nous sommes arrivés devant une grande maison. J’avoue en avoir peu de souvenirs.
Un grand jardin, de grandes pièces qu’elle m’a fait visiter.
Elle m’a montré ma chambre, immense, toute en longueur, qui était au-dessus de la salle de séjour : je m’en souviens car on m’avait expliqué qu’elle était chauffée par le conduit de cheminée venant du séjour. N’empêche que j’ai eu sacrément froid cette nuit-là, malgré l’énorme édredon.
Comme de bien entendu, la chambre de Véronique était à l’autre bout de la maison, proche de celle de Grand-Lala.
Cela nous a permis d’être aussi « sage » qu’on peut l’être lorsqu’on a 20 ans ! Je suppose que Grand-Lala s’en est douté, mais la morale était sauve !

Nous avons visité les alentours et les fermiers qui ont chaudement accueilli Véronique.
Véronique m’a montré, de loin, le « château ».

Nous sommes repartis dans la matinée pour Amiens et Paris.

J’ai grandement apprécié cette visite et encore plus Grand-Lala qui m’avait reçu avec tant de gentillesse.

Ce n’est que bien plus tard, après notre mariage, que j’ai été convié aux repas dominicaux.

Véronique et moi avons eu le bonheur de connaître nos grands-parents respectifs, sauf nos grands-pères maternels, morts tous deux jeunes.
Grand-Lala représentait pour moi une troisième grand-mère.
Pour nos enfants, seule Grand-Lala a pu représenter une arrière-grand-mère, les autres étant décédées peu de temps après leur naissance.

Grand-Lala venait fréquemment nous visiter et c’était toujours des moments heureux pour nous tous.
Véronique la tarabustait pour qu’elle écrive, ou au moins enregistre, ses mémoires.
Elle n’a malheureusement jamais obtenu gain de cause.
Nous devions nous contenter des quelques souvenirs évoqués lors de ses visites.
Son décès avait beaucoup affecté Véronique et peiné toute la famille.

 

 GRANLALA, ma troisième grand-mère – souvenir de Géraldine Lantz

…pour me situer dans l’arbre généalogique : je suis la fille de Christiane et Philippe Lantz – mon père avait été le mari de Dominique dite Doudou fille de Granlala et sœur de Maxime et de Philippe Delmas.

Je nais en 1976. Je vis à Paris, boulevard Murat dans le 16ème. Granlala vit en dessous de chez nous.

Dès mon arrivée, elle me considère comme sa petite-fille.
Je descends chaque semaine chez elle – nous partageons un goût pour les gâteaux au café, les livres; j’adore m’allonger dans la « chambre verte » et écouter Granlala me raconter son enfance ou certains passage de sa vie durant la guerre.
Plus tard en grandissant, Granlala m’apprendra le solfège, les couleurs de l’arc en ciel et de nombreuses comptines que je chantonne très souvent à ma fille Louise aujourd’hui. 

Quels souvenirs !
Collégienne, je venais déjeuner chez elle chaque jeudi : salade de carottes vinaigrette sucrée en entrée et surtout le gâteau au chocolat, le fameux gâteau au chocolat de Granlala, l’incontournable gâteau que chacune et chacun essaie de faire encore aujourd’hui sans pour autant le faire aussi bien. 
Granlala, c’est pour moi la droiture, les livres, la Corse, les chouettes, et les couleurs de l’arc en ciel qui sont à jamais gravées dans mon cœur.
A chaque orage, quand l’arc en ciel apparaît, mes pensées s’envolent vers celle que j’appellerai pour toujours Granlala ma troisième grand-mère.

 

souvenirs de la guerre de 14-18

nous avons retrouvé une note manuscrite de Lala, datant de quelques semaines avant sa disparition
– en voici les premières lignes : 
et en voici la transcription complète que nous nous sommes dictée :
J’ai toujours été une ardente patriote, suivant exemple de mon père Adolphe LANDRY, et je détestais les Allemands.
Je me vois encore (j’avais 12 ans), après avoir acheté à la papeterie de la rue Saint-Jacques une main de papier et des crayons, avoir refusé avec énergie une gomme de marque allemande.
Écolière au lycée Molière (plus tard, élève à l’école des Beaux-Arts), la guerre de 14-18 a été pour nous, ma sœur et moi, adolescentes, une obsession de chaque instant – nous ne cessions de penser, le cœur serré, à nos frères, à nos pères, qui se battaient, se faisaient tuer souvent, en défendant la France et nous même, à Paris, avons été bombardées par la grosse Bertha, un canon qui tirait un coup toutes les demi-heures environ – un obus était tombé un dimanche matin sur une église, Saint Eustache je crois, faisant de nombreuses victimes.

Nous avions une jeune femme, notre professeur d’anglais, dont le frère était officier sur le front. Elle nous a proposé d’adopter chacune un soldat comme « filleul » : cela consistait à lui écrire pour lui montrer que nous pensions à lui et soutenions son courage, et, dans la mesure du possible, à lui envoyer chaque mois un colis avec quelques petites douceurs, du papier à lettre et des crayons, et surtout des lainages que nous avions tricotés nous-mêmes : passe-montagnes, chaudes écharpes et chaussettes. Mon filleul s’appelait Charles Verstraet.
Après l’échange de nos deux premières lettres, il avait d’abord cru que j’étais un professeur ! Il s’est confié plus facilement, sentant au fond de son cœur que j’aurais pu être une fille à lui… et il m’a raconté son désespoir d’être sans aucune nouvelle de sa femme et de sa petite-fille dans le nord, zone occupée par les Allemands.
Je lui ai demandé de leur écrire en me confiant la lettre : j’ai réussi par des chemins détournés, en passant par la Hollande, à faire parvenir sa lettre et même à recevoir une réponse ! Devinez sa joie ! Je ne sais pas ce qu’il est devenu ensuite.

Enfin, nos armées furent victorieuses : le 11 novembre 1918 les Allemands demandaient l’armistice. Je travaillais ce jour-là dans un atelier de peinture quand tout à coup, vers 11 heures, le bourdon de Notre-Dame a sonné, suivi des cloches de toutes les églises ! C’était fantastique !
Je suis rentrée à la maison. L’après-midi, mon père, Adolphe Landry, député de la Corse, nous a conduit, ma mère, ma sœur et moi, à la chambre des Députés; il nous a installées dans une tribune; d’où nous avons vu le « Tigre » (Clémenceau) monter à la tribune, et, devant l’Assemblée, lire les clauses de l’armistice. Le soir nous avons dansé dans les rues.

À présent que je suis vieille (94 ans), j’ai le cœur serré quand je revois ces immenses cimetières comme celui de Notre-Dame de Lorette – dans la cathédrale d’Amiens, les plaques commémoratives à la mémoire des Australiens, des Néo-Zélandais morts au champ d’honneur en étant venus pour délivrer la France.
Et ce petit village du Nord entre autres, dont il ne restait que des pierres et où j’ai deviné l’endroit de l’école en retrouvant parmi ces pierres un petit cahier d’enfants à moitié déchiré mais où on pouvait lire le modèle recopié par l’enfant : « Aimons nous les uns les autres »…
Malgré moi, je revois encore le cimetière allemand de Picquigny où ils avaient édifié une petite chapelle à l’intérieur de laquelle on voyait une grande statue de la Vierge dont la figure (était-ce une maladresse du sculpteur ?) exprimait une grande douleur : elle semblait dire : « mais qu’êtes-vous venus faire ici » !


de Véronique DELMAS-WIES

MA GRAND-MERE ou la petite histoire d’un « presque siècle »– extrait du Trait d’Union n° 10 – 1996

** Les années 00.

Naissance d’un siècle: événement banal, c’est déjà la vingtième fois après J-C.

En 1900, Exposition Universelle: événement banal, il y en a déjà eu plusieurs en France et dans d’autres pays.

En 1900, Naissance de Létizia: événement unique qui n’eût lieu que le 31 Mars. Elle sera très vite surnommée LALA (mot d’enfant ne pouvant prononcer Lé-ti-zi-a)

** Les années 10.

LALA fille de député, assiste le 11 Novembre 1918 à la Chambre à l’annonce, faite par Clemenceau, de la signature de l’armistice.

**  Les années 20.

LALA devient MAMAN, avec l’arrivée de DOMINIQUE (Doudou) en 1924, de MAXIME en 1926, de PHILIPPE en 1927.

** Les années 30.

LALA devient TANTE-LALA pour tous les jeunes qui l’entourent.

** Les années 40.

LALA devient BERTHE pendant la Résistance, à laquelle elle participe plus qu’activement.

** Les années 50.

LALA devient GRAND-LALA avec l’arrivée

en 1952, de VERONIQUE (Philippe et Michèle)

en 1953, de MARIE-CLAUDE (Dominique et Philippe)

en 1955, de JEAN (Philippe et Michèle)

en 1955, d’ OLIVIER (Dominique et Philippe)

en 1958, de PIERRE (Philippe et Michèle).

**  Les années 60.

LALA se dédouble:

D’une part, la Villa MONTMORENCY à PARIS, avec

– ses déjeuners dominicaux, si solennels et si terrifiants (deux fourchettes et deux couteaux: lesquels utiliser ????),

– son jardin, avec sa pelouse si tentante et si défendue

– ses petites réceptions pour les grands événements (plus de 200 personnes pour ma communion solennelle, dont je ne connaissais qu’une toute petite dizaine seulement, avec à la fin une collection unique de réveils, missels, évangiles et autres livres pieux)

D’autre part, la Maison Bleue à VIGNACOURT, avec :
– ses parties acharnées de « Nain Jaune » (par bonheur, les parties perdues ne se payaient qu’en ‘gages’, par exemple des mimes, des devinettes, des histoires drôles, etc, sinon tous les petits-enfants de GRAND-LALA  auraient été ruinés pour plusieurs générations !!);
– les vaches du fermier (il fallait les ramener à l’étable le soir, mais que peut donc faire une petite citadine ignorante, armée seulement d’une badine minuscule, contre un tel ‘monstre à cornes si pointues’ qui décide de tourner à droite alors que la bonne route est à gauche ????);
– le jardin, sa pelouse autorisée, ses fleurs, ses légumes, ses fruits, sa ‘cabane des enfants’;
– les pommes à cidre (et acides), chapardées, puis dévorées en cachette, mais qui se manifestaient très rapidement par des révoltes intestinales carabinées.

** Les années 70-90.

LALA re-devient GRAND-LALA,

« Ne me dis jamais plus ARRIERE-petits-enfants, cela me vieillit » (sic)

avec l’arrivée :
     – en 1974, de SEBASTIEN (Véronique et Jean-Pierre);
     – en 1976, de GERALDINE (Philippe et Christiane, petite-fille qui établit l’équilibre des petits-enfants : 3 filles et 3 garçons);
     – en 1977, de NICOLAS (Véronique et Jean-Pierre);
     – en 1980, de GREGOIRE (Véronique et Jean-Pierre);
     – en 1983, de CAMILLE (Olivier et Monika);
     – en 1985, de THOMAS (Véronique et Jean-Pierre);
     – en 1986, de REBECCA (Olivier et Monika);
     – en 1988, de MARIE-DOMINIQUE (Marie-Claude et André);
     – en 1989, d’ ADRIEN (Jean et Isabelle);
     – en 1989, de CAROLINE (Marie-Claude et André);
     – en 1991, de GUILLAUME (Jean et Isabelle);
     – en 1994, de SOPHIE (Jean et Isabelle).

LALA tu nous as quittés en 1994,

mais tu as été, tu es et tu resteras toujours ma GRAND-MÈRE

 

à sa disparition – par Caroline Chappey-Ribadeau dumas – extrait du Trait d’Union n° 3

Letizia Landry s’est éteinte le 11 juillet dernier dans sa 95ème année.

Elle marchait moins allègrement mais, à part cela, n’avait aucun des autres inconvénients de son âge.

Nous l’avions constaté à la lecture de son témoignage sur Vignacourt et à l’occasion d’une visite que Tante Colette, Papa et moi lui avions rendu le 15 avril dernier.

C’est avec un souvenir pour chacun qu’elle nous avait accueillis. Des photos pour Tante Colette et Papa et pour moi un éventail peint signé B.T. pour Berthe Thuillier ainsi qu’un livre de photos du mariage de mes grands-parents paternels : Germaine et Joseph Chappey.

Tante Lala était très amusée de m’entendre appeler : « Papa » son neveu qu’elle voyait encore en culottes courtes.

Les deux cousines, Tante Colette et Tante Lala, au cours des évocations de leurs souvenirs de Vignacourt, firent allusion au Prix de la Rosière.

A l’origine, aux temps féodaux, la rosière était une jeune fille désignée sans tâche et sans reproche dans sa famille jusqu’à la 4ème génération nous précise Pierre Thuillier (que nous vous avions présenté dans le précédent numéro). Le seigneur lui offrait la couronne de roses et une certaine somme d’argent. Les choses évoluant, la fondation Léon Thuillier constituée par Alfred Thuillier et acceptée en 1902 par le conseil municipal de Vignacourt avait pour but de récompenser chaque année une jeune fille méritante pour ses bons sentiments envers sa famille et de bonne conduite. Mais, après la première guerre, il devint difficile de trouver des candidates répondant aux critères : à partir de 1925, le fonds récompensa les familles nombreuses jusqu’en 1943-44.

Après la description des conditions que devait réunir l’heureuse élue, nos tantes rirent de très bon cœur en imaginant leur grand-père en quête aujourd’hui d’une telle « perle » !

C’est presque triomphalement qu’elles nous ont dit totaliser à elles deux plus de 180 ans, nous reléguant Papa et moi à l’humble rang d’amateurs !

Mais ce qui m’a frappé n’est pas tant ce chiffre impressionnant que leur faculté d’adaptation. Elles ont évoqué souvenirs et problèmes des générations actuelles (études, travail, crèches…) A aucun moment je n’ai entendu le rituel « à notre époque I ».

Tante Lala, avec son caractère « haut en couleurs » et son cœur “gros comme une cathédrale » (selon l’expression de sa coéquipière de camion à la 1ère Armée), est la dernière de la famille Landry comme elle l’avait noté sur l’arbre généalogique qu’elle a constitué et qui est publié page suivante. (cet arbre a été intégré à notre site de généalogie : voyez le volet en tête de cette page)

 

courte homélie – extrait du Trait d’Union n° 4 
nous n’avons pas réussi à identifier l’auteur ! qui pourrait nous renseigner ?

 Fière de son nom, de son père, elle nous a donné une marque de ce caractère ferme que l’on m’a rapporté être le sien. Caractère sans doute justifié par la volonté de se démarquer de sa sœur aînée, Hélène, première femme chef d’un cabinet ministériel et brillante en tous domaines, ainsi que par la perte d’un frère et de deux de ses trois enfants.

Le courage qu’elle manifesta durant la guerre est une preuve de ce beau et grand caractère. Titulaire des permis de conduire « poids lourds » et « transports en commun » – fait assez rare pour une femme, actuellement mais encore davantage à l’époque – elle n’hésita pas à utiliser ses compétences dans la Croix Rouge et dans la Résistance. Son action lui valut la remise de la croix de guerre.