le bénévolat d’accompagnement
par Pascaline LASSALLE-DEMNARD et Philippe DELMAS, bénévoles, respectivement, à Toulouse et à Paris
présentation
Derrière ce grand mot d’accompagnement se cache une action toute simple : l’écoute.
L’écoute des malades : depuis le simple consultant à la personne en fin de vie.
Parfois sans l’avouer ni même se l’avouer, ces malades sont dans l’angoisse : d’avoir à consulter, de subir des examens (souvent nombreux) sans en avoir pour chacun la conclusion immédiate, d’attendre un diagnostic, de subir un traitement en espérant son efficacité, de faire l’objet d’une opération en espérant se réveiller guéri, de se savoir en soins palliatifs et en fin de vie.
Ils ont besoin de parler.
Une illustration : « je vois Madame B. – 92 ans – récemment opérée – en maison de convalescence : lit et fauteuil roulant – je lui dis « on vous rassemble l’après-midi avec vos voisins de l’étage : vous n’êtes pas seule – vous pouvez bavarder » – elle me répond avec force « oh non ! pas un seul ne veut m’écouter ! » – j’ai pris ce cri du cœur comme une bonne justification de mon bénévolat.
Où accompagner ? dans les hôpitaux, cliniques, et autres établissement de soins – dans les maisons de convalescence – dans les maisons de retraite et les EHPAD (Etablissements d’Hébergement pour Personnes Agées Dépendantes) – à domicile – et même par téléphone.
Qui accompagner ? les malades, bien sûr, et aussi leurs parents et leurs proches, qu’on appelle maintenant des aidants – et les personnes en deuil.
Le bénévolat d’accompagnement est reconnu par l’article L 1110-11 du Code de la Santé Publique – il implique que le bénévole fasse partie d’une association spécialisée, et que celle-ci passe une convention avec l’établissement de soins ou d’hébergement – à double fin :
– pour l’association : d’assurer la formation initiale et l’entourage humain du bénévole;
– pour l’établissement : de bénéficier de spécialistes compétents, et, négativement, d’éviter l’intrusion d’aigrefins proposant aux malades la guérison moyennant le versement immédiat d’une certaine somme d’argent.
La formation initiale : on apprend l’histoire et l’état actuel de l’accompagnement – l’histoire et l’état actuel des soins, et notamment des soins palliatifs – comment s’habiller – comment se présenter – comment « relancer » la conversation (nous ne sommes pas des magnétophones qu’il suffit de mettre en marche) – comment ne pas parler de soi (c’est parfois dur, très dur pour certains…) – que faire si le malade vous pose des questions personnelles : « parlez-moi de vous » – comment se comporter – comment s’abstenir de tout avis ou position dans le domaine médical : quelle attitude devant l’exposé par le malade de son parcours médical, parfois lourd – de quels gestes s’abstenir – comment éviter les principales gaffes – comment respecter le secret professionnel, en ne diffusant pas les confidences reçues du malade – comment prendre congé d’un malade – comment faire part de vos interventions à vos éventuels collègues auprès des mêmes malades.
engagement pratique :
– une demi-journée par semaine – à choisir à votre gré, en accord, le cas échéant, avec les collègues desservant le même établissement, à travers celui désigné comme « coordinateur » ou « référent » pour animer le groupe – bien entendu, il faut être régulier, mais vous pouvez déplacer ou annuler une visite pour raisons personnelles – vous pouvez prendre vos congés normalement;
– deux heures par mois, pour participer à un « groupe de parole », afin de vous sentir membre d’un groupe humain (vous agissez le plus souvent seul), et pour poser ou entendre les questions dont on n’est pas assuré de la réponse – exemple : un malade, mis en confiance, m’ouvre son tiroir et me montre tous ses médicaments, qu’il ne prenait pas : est-ce une confidence, à garder secrète, ou une information à donner aux soignants ? – après une bonne discussion, le Groupe a estimé que l’absence d’information sur les résultats effectifs d’un éventuel traitement pouvait inciter le médecin prescripteur à augmenter gravement les doses – il fallait donc le signaler – disons que c’est l’exception qui confirme la règle….
pourquoi les malades se confient-ils à nous, plutôt qu’aux professionnels ?
– les médecins décident de leur sort – ils sont supposés pressés sinon débordés;
– les soignants, quelque aimables qu’ils soient, pratiquent des soins souvent douloureux et parfois humiliants;
– et … nous avons le temps !
– le plus souvent, nous nous différencions en ne portant pas de blouse – seulement un badge avec notre prénom.
Il est étonnant de constater la facilité avec laquelle la plupart des malades nous acceptent (certains autres préfèrent se reposer au sortir d’un examen douloureux, certains dorment, etc. : nous n’insistons pas).
Il est ahurissant de voir avec quelle franchise les malades nous racontent leur vie intime, leurs déboires, parfois leurs regrets d’avoir abusé de certaines pratiques dangereuses pour la santé – alors qu’ils ne nous ont jamais vu.
Et il est réconfortant de recevoir des remerciements … qui ne sont pas de simple politesse.
le bénévolat en soins palliatifs
Rappel : les soins palliatifs sont des soins qui ne visent qu’au confort du malade, le plus souvent en phase de fin de vie et quand il n’existe plus de traitement curatif – l’objectif des soins palliatifs est de prévenir et de soulager les douleurs physiques, les symptômes inconfortables ou encore la souffrance psychologique.
C’est un cas particulier de l’accompagnement – c’est pour ce cas qu’a été créé le concept d’accompagnement, depuis fort longtemps puisqu’on en trouve des témoignages dans l’ancienne Egypte – voyez ici un résumé de son histoire – c’est pour ce cas qu’a été introduite dans notre législation la reconnaissance du bénévolat d’accompagnement (voir plus haut).
C’est pour ce cas qu’ont été constituées des associations de bénévoles, en adoptant des noms laissant croire qu’elles ne pratiquent que ce type de bénévolat – qui s’exerce auprès de malades en unités spécialisées (soit un service d’un établissement important, soit un établissement dédié) ou en « lit mobile » : le malade, d’abord suivi en service de soins avant d’être déclaré devoir recevoir des soins palliatifs, reste dans le lit du service de soins, alors appelé « lit mobile » (terme trompeur, puisque le lit reste là où il est !) – sauf à être alors suivi par un médecin d’un service spécialisé (c’est ce service qui est mobile)..
Un écueil : craindre qu’on ne pourra supporter de voir des malades en fin de vie ? – c’est pourtant le lot de la plupart des membres du corps médical; – il est possible d’éviter à un nouveau bénévole d’approcher des malades en soins palliatifs – tant qu’il ne s’en estime pas bien capable.
des acteurs à part entière
Les bénévoles sont aujourd’hui considérés, par les soignants et à leur côté (médecins, incluant les internes, psychologues, infirmières, cadres de santé, aides-soignantes) comme des acteurs importants, utiles, voire nécessaires et indispensables.
Ils sont bien accueillis – à charge pour eux de tenir les soignants informés, et, en premier lieu, de leur expliquer ce qu’ils font auprès de « leurs » malades.
quelques témoignages d’accompagnements
1 – j’entre dans la chambre de M. H. – aspect triste, voire revêche – il m’accepte instantanément et me fait assoir – il me raconte ses soucis de santé, ses déboires familiaux – bon entretien (au sens particulier du terme : il parle pendant plus de 90 % du temps).
La semaine suivante, il m’accueille, toujours avec son air triste, et me dit d’emblée : « je vous attendais ».
2 – je vois un malade de nombreuses fois, pendant plusieurs mois – il vient du Venezuela – il ne parle qu’espagnol, dont je ne comprends pas plus de trois mots – pourtant, ayant été son seul visiteur, et sans échange verbal, nous avons noué une relation de bonne sympathie.
En bon sud-américain exubérant, il m’accueille avec des « amigo » retentissants.
Quand il est opéré, je vais le voir en chambre de réanimation. Je pousse la porte, je passe la tête, et je constate qu’il est en soins. Je referme immédiatement la porte. Une infirmière sort alors et me dit : « restez là, je n’en ai plus pour longtemps – si vous aviez vu son visage s’éclairer quand il vous a aperçu ! ».
3 – j’entre dans une chambre : je me présente au patient, la soixantaine, debout.
D’emblée, il me dit : « on vient de m’avertir que ce n’était peut-être pas bénin ».
Il me raconte alors longuement son parcours médical, ses sentiments (rage, révolte, désespoir, etc.), sa vie familiale et professionnelle – il cite à de nombreuses reprises ses deux fils, dont, indéniablement, il est fier.
Je l’écoute attentivement, me manifestant seulement, comme à l’habitude, par des expressions du visage, et par quelques mots pour témoigner de ma compréhension et de mon soutien.
Il se tait progressivement : je vois donc arrivé le moment de le quitter.
Je cherche des paroles autres qu’une banalité (« au revoir » – ou « bonne soirée ») – des paroles qui puissent le valoriser un peu à ses propres yeux….
Et je lui dis : « puis-je vous demander un service ? » – « dites à vos fils qu’ils ont de la chance d’avoir un père tel que vous ».
La semaine suivante, il m’a accueilli avec un grand sourire – il a ensuite été dirigé sur un autre hôpital.
4 – cette patiente, du fond de son lit, m’accueille volontiers et commence à me raconter sa vie.
Directrice dans une importante maison de luxe, elle a été licenciée, il y a deux ans, avec son équipe, pour cause de réorganisation à la suite d’une fusion. Depuis, elle n’a pas retrouvé d’emploi.
Elle me dit « je me suis laissée aller à boire ».
Plusieurs fois, je lui dis : « je ne veux pas vous fatiguer, je vais vous laisser » – elle me répond, chaque fois : « encore un moment » – je reste donc.
Après un très long moment, elle s’arrête, fatiguée : je la laisse.
J’ai soumis le cas au Groupe de parole auquel je participe : ma présence prolongée n’a-t-elle pas risqué de trop l’épuiser ? compte tenu des circonstances de ce cas, la discussion m’a disculpé de tout remords.
quelques réflexions
« Nous n’intervenons pas dans le soin, nous ne portons pas de blouses blanches et donc pour le malade notre venue est toute différente – quelqu’un pousse la porte, à qui on peut enfin dire « non ». Pas d’obligation mais juste l’envie ».
« Avec nous, le malade peut parler de tout, pas seulement de son état ni de ses soins. Il peut parler autrement et cela lui autorise tous les détours. Nous sommes des inconnus et ils n’ont pas besoin de nous protéger comme ils protègent leurs proches. La parole est libre et ils peuvent nous donner d’eux l’image qu’ils désirent. Ils peuvent exprimer leur colère, leurs doutes et leurs angoisses. Nous parler de la vie d’avant et de leurs projets. Nous pouvons tout entendre sans émettre le moindre jugement, les accompagner sur le chemin qu’ils ont choisi. »
« Pour nous bénévoles, frapper à une porte est à chaque fois un nouveau questionnement. « Qui sera dans ce lit ? » ou si je le connais déjà « Comment sera-t-il aujourd’hui ? ». « Va- t-il se souvenir de moi ? « Voudra-t-il me parler comme à notre dernière rencontre ? ». On aime se laisser toujours surprendre, on ouvre une porte sur l’inconnu. »
« A chaque fois que j’entre dans une chambre et que le malade accepte de me recevoir, j’ai l’impression qu’il me fait cadeau de sa confiance et qu’il m’offre un peu de son espace intime. »
« Nous avons la disponibilité et le temps qui manque parfois aux soignants. Nous apportons la vie du dehors, la vie d’avant pour les malades. Ce qu’ils étaient avant d’être dans ce lit. A nous d’être gais, naturels et surtout à l’écoute. »
« Chaque rencontre est unique et débouche sur une relation unique. »
« Quand la communication verbale n’est plus possible, ce sont le regard, le toucher et la présence silencieuse qui prennent le relais. Moments magiques quand le malade s’apaise au contact de votre main dans la sienne. Que son regard vous remercie et vous demande … reste un peu ! »
« Nous rencontrons aussi souvent les familles et les proches. Ils ont besoin de parler de leurs angoisses. Ils ont peur de l’avenir, de la solitude d’après. Nous ne sommes pas soignants et les demandes sont différentes. Ils culpabilisent souvent de ne pas avoir pu garder le malade plus longtemps chez eux. Nous entendons des questions comme « Est- ce que ce service est vraiment le mieux ? » « Vous êtes sûre qu’on ne s’est pas trompé ? » « Je n’en peux plus mais j’aurais peut-être dû le garder à la maison jusqu’au bout ». Nous montons alors avec eux prendre un café dans l’espace famille, essayons de les apaiser, de les conforter dans leurs décisions, nous leur donnons un peu de répit avant qu’ils retournent dans la chambre de leur proche. Et surtout, nous prenons le temps de les écouter. »
« Je suis ahuri de la facilité avec laquelle des malades me racontent spontanément leurs turpitudes : « venant des Tropiques, j’ai besoin de chaleur, et j’ai truqué les compteurs électriques » – « j’étais ébéniste, et j’ai fabriqué de faux fauteuils anciens avec un seul pied d’époque ».
« Je suis toujours étonné de constater que, moins je parle, plus chaleureux sont les remerciements du malade ».
« Malgré de longues années de pratique, je ne peux me débarrasser totalement de ce qu’on peut appeler le syndrome de la poignée : la main sur la poignée de la porte d’une chambre, j’hésite à entrer : ma bonne éducation m’incite à ne pas forcer la porte des gens, à ne pas chercher à m’imposer – mais cela devient de plus en plus fugace : je suis tellement content, à la sortie de la chambre, d’avoir été accepté par le malade – et qu’il m’ait parlé ».
du bénévolat de service
Certaines associations se bornent à l’accompagnement tel qu’exposé ci-dessus.
D’autres pratiquent aussi le « service » : aider le malade à manger – à se promener dans le jardin – à domicile : à faire ses courses ou à promener le chien, etc. – et d’autres interviennent auprès d’handicapés (un de mes amis fait des mots croisés avec un aveugle).
petit avantage
En cas de pandémie : on est souvent vacciné assez rapidement, avec le personnel médical.
supplications personnelles
Nous aimerions bien ne pas être perçus comme des oiseaux rares ! et qu’on ne nous montre pas du doigt dans les réunions, familiales ou autres – nous aimerions bien qu’on ne nous félicite pas – par contre, nous sommes à disposition pour vous en dire plus, pour bavarder sur le sujet.
Le seul vrai moyen de nous témoigner votre sympathie, c’est de nous rejoindre : il existe dans toute la France 500 associations qui groupent déjà 5.000 bénévoles, et qui ne peuvent pas répondre à la demande, de plus en plus forte : elles seront heureuses de vous accueillir.
Nos associations respectives sont a-confessionnelles (quand le malade nous parte de religion, nous écoutons, sans prendre parti) – mais il existe des associations confessionnelles.
pour conclure
Je dirais que les bénévoles sont vraiment des acteurs à part entière de la structure et de la philosophie des soins palliatifs. Ils font partie intégrante de l’équipe. Dans un tout autre rôle que le soin, ils sont là pour apporter un autre regard. Ils offrent à la personne un espace de parole ou de silence, de joie ou de tristesse. Ils ne cherchent pas de projet pour le malade en se tenant dans une attitude de disponibilité et d’écoute. Ils s’efforcent de contribuer, en gardant leur place, à l’amélioration de la qualité de vie du patient. Ils représentent la société, la vie du dehors. Ils peuvent prendre le temps, ressentir les choses autrement et apporter à l’équipe des soignants des éléments qui leur manquent peut être car le dialogue n’est pas du tout le même avec le malade.
Vous verrez que c’est une activité merveilleuse, qui apporte des satisfactions immenses – les mots de joie ou bonheur ne sont sans doute pas ici de mise – simplement le sentiment d’avoir été utile.
Pour voir deux exemples insolites d’écoute : cliquez ici.