Maurice LAMY

sommaire :
sa vie son œuvre : éloge par le professeur Robert DEBRÉ
– sa vie son œuvre : extrait de la revue RIDENDO
– ses travaux scientifiques
– lettres accompagnant le don du chateau de Vignacourt
– la cafetière
– une rencontre insolite

 

 

  

  

   

   

 

 
 
 

 

éloge par le professeur Robert DEBRÉmembre de l’Académie des Sciences,  prononcé devant l’Académie Nationale de Médecine lors de la séance du 27 janvier 1976 – extrait du Trait d’Union n° 2   

Trois jours avant de mourir, Maurice Lamy pria son épouse de me transmettre une demande, la dernière qu’il m’adressa, celle de retracer à grands traits sa vie et son œuvre devant l’Académie de Médecine.

Me voici donc essayant d’exaucer de mon mieux le vœu de mon ami.

Pendant cinquante ans, nos existences et celles des nôtres se sont rapprochées, comme emmêlées, nos familles se sont liées, nos collaborateurs se sont associés. Aussi est-ce au nom des miens que je m’adresse aux siens auxquels me rattache tant d’affection. Mes paroles s’adressent à vous aussi. Monsieur le Président, et aux confrères de notre Académie pour qui il a travaillé pendant toutes ces dernières années même quand la maladie l’accablait.

De treize ans mon cadet, Maurice Lamy est né à Arnicas en 1895. Comme il n’arrivait point rare­ment en ce temps-là, quinze jours après l’avoir mis au monde, sa mère mourait d’infection puerpérale. Son père devait élever seul ses deux fils, le frère ainé de Maurice et lui-même. Homme rigide, assez froid dans ses manières, esprit libéral mais enfermé dans cette vie étroite que menait la bourgeoisie en province à la fin du 19′ siècle, il accomplissait avec ponc­tualité son métier d’avocat mais ne se sentait point capable de réunir ses deux enfants dans la chaleur d’un foyer, aussi furent-ils confiés à leurs grands-parents.

Maurice Lamy fut élevé dans une institution reli­gieuse où son père espérait qu’il pourrait bénéficier d’une formation solide. En ce temps, la discipline régnait dans les classes. On y enseignait les humani­tés ; le latin, langue morte, était encore vivant et oc­cupait une grande place dans les programmes depuis la unième jusqu’à la rhétorique et la philosophie. Par­fois on y apprenait encore, aux plus grands élèves, à écrire en vers latins ce qu’à juste titre on n’osait point appeler des poèmes. Les obligations religieuses étaient rigoureuses. Chaque matin le collégien assistait à la messe ; chaque jour les enfants recevaient une lon­gue leçon d’instruction religieuse. Maurice Lamy fut marqué, plus profondément sans doute qu’il n’appa­raissait à ceux qui le côtoyèrent ou même vécurent as­sez près de lui. par ce milieu, ces enseignements et cette obéissance aux rites de la religion catholique.

Les distractions étaient rares et les heures s’écou­laient sans gobé. Même la sortie du dimanche était austère ; le père venait déjeuner avec ses deux fils puis les promenait à pied tout au long des boulevards et des rues de la vieille ville picarde. C’est au cours de ces promenades dominicales où souvent il côtoyait l’admirable cathédrale que Maurice Lamy jetait, pour reprendre ses termes mêmes, un regard amical à la vierge dorée qui occupe le milieu du porche et que Ruskin aimait pour sa joliesse et son sourire.

Cette enfance fut sans grande joie, privée de la douceur d’une présence maternelle, aussi Maurice Lamy prit-il l’habitude de garder en lui-même ses sentiments personnels. Mais l’école développa chez lui le goût du travail exact, le respect de l’ouvrage bien fait, l’attrait pour la culture de l’esprit.

Peu après la sortie de l’école, son père l’envoya en Angleterre et en Allemagne. Grèce à ces séjours, il put parler aisément ces deux langues et profiter de cet inappréciable enrichissement. Jeune étudiant, il est envoyé à Paris, pour y faire des études de droit comme son père. Mais un immense ennui l’envahit, il s’échappe et entreprend ses études médicales sous les auspices d’un vieux maitre, le Docteur Belin que j’ai aperçu jadis. Celui-ci exerçait alors la médecine dans cette ancienne Charité dont nous parlions avec Maurice Lamy et dont nous regrettions ensemble la fâcheuse disparition car elle évoquait dans ce quartier bruyant, un monastère construit autour d’un jardin paisible, au coin de la rue Jacob et de la rue des Saint-Père. Belin était considéré comme un bon car­diologue car, disait Maurice Lamy en souriant, il aus­cultait avec soin les cœurs, reconnaissait le souffles, les frottements, les roulements, en penchant sa tête sur la poitrine de ses malades que la surveillante re­couvrait d’une serviette qui servait pendant huit jours !C’est Belin qui inspira au jeune Maurice Lamy cet idéal absolu, le plus beau qui fut : devenir méde­cin des hôpitaux de Paris.

Le premier des maîtres de Maurice Lamy fut Louis Ramond. Il plut à cet homme souriant, accueil­lant, clinicien subtil, professeur très clair qui joua un rôle important dans la formation de nombreux mé­decins. Dès ce moment, je dois dire. Maurice Lamy trouvait que la science de Louis Ramond s’arrêtait un peu trop nettement à l’étude purement clinique. Louis Ramond, au jugement sensé et à la thérapeutique sage, devait compter Maurice Lamy parmi les meil­leurs de ses élèves. Dès que celui-ci fut nommé in­terne, en 1923, Louis Ramond le dirigea vers l’Hôpi­tal Bretonneau où Louis Guinon venait de perdre son interne à la suite d’une scarlatine. Le même mal­heur arriva peu après dans mon service; nous ne devons pas oublier les drames douloureux de ce temps. Je faisais alors un remplacement dans cet hôpital. Robert Broca était mon interne et l’ami de Maurice Lamy, Monsieur Guinon, fatigué et souf­frant. quittait son service de bonne heure et Lamy descendait pour rester aux côtés du jeune médecin des hôpitaux et agrégé que j’étais. Notre enthousiasme était tel que nous prolongions très tard dans la mati­née nos examens cliniques. C’est là, je crois, que Maurice Lamy prit le goût de soigner les tout-petits es l’amour des enfants, indispensable au pédiatre. Un jour, alors qu’il croyait que personne ne le regardait. nous le vîmes faire un geste, pour nous inattendu. nous qui le sentions si timide, si réservé : donner une poupée à une petite leucémique dont le sort nous faisais grand peine.

Parmi ses maitres. Jules Milhit était un de ceux qu’il aimait le plus. Ce petit homme au grand dé­sintéressement, simple et sage, était d’une extrême gentillesse; c’était en outre un excellent clinicien et un pédiatre d’une science solide.

Maurice Lamy fut ensuite l’élève de Prosper Emile-Weil. Il se plaisait en compagnie de ce chef qui lui apprenait l’hématologie et en même temps l’entrainait vers ses hypothèses et ses idées, car on disait qu’il en avait au moins une par jour… Puis il travailla avec Paul Chevallier et fut aussi très séduit par cet homme original dans ses pensées, original dans sa conduite, original dans ses orientations so­ciales et politiques, en même temps que courageux et franc. Paul Chevallier a joué un rôle plus grand que certains ne le croient dans l’élaboration des doc­trines hématologiques actuelles et dans la fondation de la grande école hématologique française.

Et puis. ce fut Léon Bernard. Nous avons éprou­vé le même élan respectueux et affectueux pour cet homme grand, beau, séduisant, cultivé, dont la valeur justifiait les honneurs qu’il aimait ; son style de vie éclatant et généreux attirait tous ceux qu’il enrichis­sait de ses idées originales et de son besoin d’action collective. Pendant sept ans, Maurice Lamy fut son élève et des liens d’amitié se nouèrent entre eux. Maurice Lamy continuait de donner des soins aux enfants tuberculeux et d’étudier la prévention de la tuberculose du jeune âge à la crèche Laennec. Du temps de mon internat chez le doyen Landouzy, j’avais commencé ce travail, continué ensuite avec Marcel Lelong. Nous fûmes, Marcel Lelong, Julien Marie, Maurice Lamy et beaucoup de leurs cadets, unis dans le chagrin lorsque, bien jeune encore. en plein épanouissement de sa notoriété mondiale. Léon Bernard disparut.

Grèce à Léon Bernard. j’avais connu un américain de haute valeur, Alun Gregg. l’un des fondateurs de la pédagogie médicale. Alun Gregg était installé en France où il représentait la Fondation Rockefeller. qui avait alors orienté sa générosité vers le soutien de la lutte antituberculeuse en Europe et en particu­lier en France. J’étais devenu son ami et lui fis connaitre Maurice Lamy auquel il attribua une des nouvelles bourses de séjour aux Etats-Unis accor­dées aux jeunes médecins français. Ainsi, l’un des premiers. Maurice Lamy devait partir vers les labo­ratoires du Nouveau Monde. Nous étudiions alors ensemble les maladies infectieuses redoutables pour les enfants. Dochez venait de démontrer le rôle pa­thogène du streptocoque de la scarlatine. G.H. et C.F. Dick en extrayaient une toxine. Maurice Lamy fut admis dans leur laboratoire de Chicago et conquit leur estime et aussi celle de William Park, savant cultivé, personnage distingué et grand hygiéniste. Ils lui proposèrent de rester aux Etats-Unis pour y con­tinuer ses travaux de chercheur, mais Maurice Lamy refusa et revint parmi nous. Marqué par ce séjour, se connaissances enrichies, il resta rempli d’admiration. non seulement pour l’équipement des laboratoires américains mais aussi pour la valeur, la probité scien­tifique et l’enthousiasme des chercheurs aux Etats-Unis.

C’est peu après son retour qu’il devait se marier C’est de ce temps que datent ses concours pour le médicat des hôpitaux où il est nommé en 1934. Deux enfants sont nés. une belle vie commence. J’occupais à ce moment un service à l’Hôpital Herold. Je l’ap­pelle auprès de moi pour diriger la consultation fon­dée pour l’accueillir. L’hôpital était dépourvu de tout et nous essayions, non seulement d’exercer une médecine correcte, mais de poursuivre les recher­ches que j’avais entreprises malgré la pénurie dés.> tante d’un pauvre équipement. Il fallait tout faire à partir de rien, mais nous étions heureux d’être rap­prochés.

Plus tard. Maurice Lamy est chargé de la consul­tation de l’Hôpital des Enfants Malades puis de la direction, dans cet hôpital. d’un service où il restera jusqu’à la fin de sa carrière professorale et hospita­lière. Sa vie familiale s’épanouit sans souci, un troi­sième enfant est né ; il jouit pleinement de la réus­site de sa vie professionnelle.

Et cependant la paix du monde est gravement: menacée, l’inquiétude monte, puis la guerre éclate

Maurice Lamy, qui avait souffert de ne pas pou­voir être mobilisé pendant la première guerre mon­diale, multiplie les démarches pour être appelé au service actif. Il est affecté à un navire de guerre. garde de ce temps une impression pénible : beaucoup d’officiers de notre marine nationale. tout prêts à se battre avec le plus grand courage et à sacrifier leur vie pour l’honneur du pavillon et la défense de la patrie se sentent, obéissant à une tradition périmée, davantage les ennemis de la Grande-Bretagne que ceux de l’Allemagne hitlérienne. Quand on apprend que l’armistice est signé, certains vont même jusqu’à le fêter alors que lui ne peut cacher son immense chagrin. Pendant l’occupation il se montre tel qu’il devait être, n’acceptant pas l’armistice, fidèle à ses amis anglais, convaincu de la qualité et de la ténacité du peuple britannique. Il est sûr du succès final et soutient par son courage, sa perspicacité, ses paroles énergiques, le moral de ceux qui sont abattus. Après la libération de Paris, il s’engage dans l’armée « Rhin et Danube », entrainé par le Général de Lattre-de-Tassigny. Celui-ci est séduit par les qualités de Mau­rice Lamy qu’impressionne ce grand chef aux allures fastueuses, généreuses, courageuses et qu’on appe­lait, vous vous en souvenez, le Roi Jean.

La paix revenue, le voici reprenant son service de l’Hôpital des Enfants Malades. Il rassemble ses élè­ves, réunit un groupe de chercheurs et fonde une école qui s’oriente vers une discipline jusqu’alors peu développée, la génétique médicale. Il obtient que les laboratoires aidés par l’Institut National d’Hygiène, qui deviendra l’Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale et par le Centre National de la Recherche Scientifique, assurent le développement d’un véritable Institut de Génétique Médicale. Suivant ses plans, des bâtiments nouveaux sont construits et aménagés, où Jean Frézal aujourd’hui, succédant à son maitre, poursuit son œuvre et la fait progresser.

En 1951, Maurice Lamy occupe comme profes­seur, la première chaire de génétique médicale du monde qui est créée pour lui à la Faculté de Méde­cine de Paris.

En 1967 il est élu membre de notre Académie. En 1970, il est nommé secrétaire annuel, et trois ans plus tard succède au regretté Henri Bénard comme secrétaire perpétuel. Libéré par la retraite, il s’at­tache à améliorer les conditions de travail de notre Académie. Il veut et peut en transformer les locaux, en modifier les statuts et les règlements. Il cherche à augmenter l’intérêt de nos séances du mardi. A or­ganiser pour notre plus grand profit des débats voués à un grand sujet. Il a l’ambition de faire retrouver à l’Académie son prestige d’autrefois et son autorité auprès du gouvernement, de l’opinion médicale et de la nation tout entière. Souhaitons que ce message que nous adresse ainsi Maurice Lamy soit écouté. Avec énergie, Maurice Lamy continue à travailler pour notre compagnie, même quand la maladie, sournoisement, jour après jour, diminue ses forces et finit par l’emporter le 28 août 1975.

L’œuvre scientifique de Maurice Lamy est consi­dérable. Avec le recul du temps nous pouvons appré­cier sa valeur, et remarquer que les affirmations qu’il a avancées ont été confirmées, que son effort a déterminé un très grand élan qui ne cesse point. Au début, ses recherches sont orientées vers les maladies infectieuses que nous étudions ensemble : la tuber­culose, les pneumopathies de l’enfant, la scarlatine, l’infection à cytomégalovirus, la maladie des griffes du chat, l’herpès de première invasion chez le nouveau-né, le rhumatisme chronique, la maladie de Still, l’érythrodermie desquamative communément ap­pelée la maladie de Lyell dont nous avions apporté la description initiale. Profitant de sa compétence hématologique, il reconnais de nouveaux syndromes d’anémie et d’insuffisance immunitaire où sa marque est si nette que ces syndromes portent le nom de forme française, opposée à la forme suisse ou amé­ricaine.

C’est un moment crucial dans la carrière scien­tifique de Maurice Lamy lorsque, suivant les conseils que je lui donnais, il décide de se vouer délibérément et totalement à l’étude des maladies héréditaires. Nous avions étudié ensemble les problèmes posés dans ce domaine par la maladie de Minkowski-Chauffard et j’avais été frappé par la valeur des recherches sur l’hérédité de cette maladie poursuivies alors par Maurice Lamy avec un insérés vraiment passionné. Pendant quarante ans, il étudie les différents pro­blèmes de la génétique appliquée à l’espèce humaine, il apporte à cette science une contribution person­nelle et originale qui est connue par des publications universellement réputées, par le retentissement de son enseignement donné à l’hôpital. C’est en génétique médicale qu’il a illustré son nom.

Pour progresser, il faut réunir et diriger avec le talent d’un chef d’orchestre un groupe de chercheurs formés dans différentes disciplines. depuis la méde­cine clinique, l’anatomie pathologique, la génétique formelle et la génétique appliquée jusqu’à la bio­chimie. l’épidémiologie et la statistique biologique dont Maurice Lamy est un des disciples les plus éclairés. Peut-être la place particulière qu’occupe l’école française en génétique médicale et en géné­tique humaine est-elle précisément liée au fait que l’équipe est dirigée par un grand clinicien averti, qui sait associer à ses qualités d’observateur la connais­sance des disciplines fondamentales.

Je ne puis citer tous ses collaborateurs, mais com­ment ne pas évoquer les noms de Jean Frézal, Jean de Grouchy. Pierre Rover, Jean Rey, Pierre Maroseaux, Christian Nezeloi, Clément Fauré, Henri Lestrade, Joseph Jos, Henri Mathieu, Guy Repessé, Nathalie Josso et Marie-Louise Briard. Enfin Marcel Aussannaire et Marie-Louise Jammet qui l’aidèrent tant dans son service : tous deux étaient devenus ct restent des amis intimes de sa famille.

Parmi les élèves qui ne s’engagèrent pas dans la pédiatrie, citons aussi Jean Dausset, Suzanne Barrillon-Lamotte, Michel Lamotte, René Touraine, Jean-Pierre Bader et Jacques Dubrisay.

Les études que poursuit cette belle équipe sont d’abord consacrées aux jumeaux. Le problème a inté­ressé, passionné même, les hommes depuis bien long­temps, la mythologie, l’histoire évoquent cette singu­larité, comme la littérature et le théâtre. L’attitude de la famille et de la société varie suivant les mœurs différentes des époques et des pays. La naissance gémellaire est considérée tantôt comme une béné­diction divine, tantôt comme un événement funeste, et l’on sait qu’au Moyen Age il est arrivé qu’on étouffe entre deux matelas une femme qui avait donné naissance à deux jumeaux parce qu’on estimait qu’elle avait eu des liens avec le diable. Maurice Lamy prend ce problème à cœur. La consultation spéciale des jumeaux de l’Hôpital des Enfants-Malades, assu­rée grâce à la collaboration de Mesdames Pognon. Fauvert et de Mlle Schweisguth, connais un grand succès et devient célèbre. Elle

permet d’étudier mille cinq cents couples de jumeaux et quatre groupes de triplets. Dans ses études poursuivies aveu: minutie, perspicacité, esprit critique, il montre comment dis­tinguer avec certitude les jumeaux monozygotes des dizygotes. Il cherche à comprendre la pathogénie de ces deux phénomènes, tire de la comparaison entre les jumeaux des lois de concordance et établit les corrélations qu’on en peut extraire. Ainsi l’origine génotypique de nombreuses affections est confirmée ou démontrée : maladie hémolytique, maladie egostosante, sténose du pylore, oxycéphalie par exemple. A l’inverse, l’origine acquise d’autres syndromes est affirmée : la plupart des malformations cardiaques, le myxœdème avec agénésié du corps thyroïde, la maladie de Little.

Des enquêtes génétiques approfondies, l’analyse des généalogies devaient permettre aussi d’établir le mode de transmission de nombreuses maladies. Ainsi dans la maladie hémolytique, l’étude de vingt généa­logies prouve la transmission dominante. Dans la forme basse de la myopathie (maladie de Duchenne de Boulogne) observée dans 160 cas, neuf fois sur dix la transmission est récessive liée au sexe et une fois sur dix obéit au mode récessif autosomique. La transmission récessive de la mucoviscidose est de même prouvée par l’étude de 54 familles alors que des travaux sur l’anencéphalie et le diabète sucré suggèrent le caractère multifactoriel de ces maladies.

Nous pourrions multiplier ces exemples. Ce tra­vail considérable est caractérisé non seulement par la richesse des informations mais par le remarquable esprit critique et le désir de voir clair et d’approfondir.

Ces recherches sur l’hérédité et les naissances gé­mellaires permettent à Maurice Lamy de publier sur les jumeaux un livre devenu classique et en mime temps de réfléchir non seulement sur les consé­quences biologiques des conflits entre l’hérédité et l’environnement mais aussi sur les notions morale et philosophiques du déterminisme et de la liberté.

Il fut un des premiers à s’intéresser aux erreurs innées du métabolisme, pour reprendre l’expression de Garrod, révélatrices de syndromes jusqu’ici mystérieux, alors que souvent un régime approprié sauve la vie des enfants et que la prévention permet, dans les cas heureux, d’éviter de graves troubles de l’intelligence. Maurice Lamy ne peut manquer cette transition vers la génétique biochimique dont il examine en tous sens la valeur et l’intérêt des pers­pectives. Avec Pierre Royer, Jean Frézal et Jean Rey, dans un livre dont les deux éditions ont eu le plus légitime succès, Maurice Lamy a décrit tous leurs aspects cliniques, biologiques, génétiques et thérapeutiques. Qu’il s’agisse du dépistage de la phé­nylcétonurie ou de la leucinose et des muco-polysac-charidoses, du rachitisme vitamino-résistant, des troubles de l’absorption intestinale les plus divers, il suffit d’évoquer ces exemples pour que viennent: à la mémoire les nouveautés mises en lumière par les travaux de son école.

S’engageant dans la voie ouverte par Raymond Turpin, Jérôme Lejeune et Marthe Gautier, Mamie Lamy démontre l’existence, non plus d’excès, mais de déficits chromosomiques. Il établit la relation en­tre certains de ceux-ci totalement inconnus jus­qu’alors et les malformations congénitales variées, ainsi l’amputation totale ou partielle d’un bras chromosomique dont il donne avec Jean de Grouchy les premiers exemples.

L’étude de la chromatine nucléaire et celle du caryotype ont éclairé aussi d’un jour nouveau le problème des dysgénésies gonadiques. avec Jean de Grouchy et Nathalie Josso, il modifie les idées reçues sur le syndrome de Turner et la maladie de Kline-felter. Il démontre avec Jean de Grouchy, Christan Nezelof, Jean Frézal et Nathalie Josso qu’un herma­phrodite vrai est déterminé par une mosaïque XX/XY et est certainement lié à une double fécondation de l’ovule. Las anomalies chromosomiques observées dans les leucémies ou dans les épanchements pleu­raux de certains cancers amènent, d’autre part, Maurice Lamy à souligner les relations entre la can­cérogénèse et les aberrations chromosomiques.

L’école française a apporté une contribution im­portante à la connaissance des maladies osseuses constitutionnelles. Pierre Marie, à l’époque où Ion essayait de voir clair dans l’étude nosographique des maladies du système nerveux, des muscles et des os. avait montré l’insère de ce sujet à ses élèves, Crouon et Léri. dont les continuateurs nous font part encore à présent de constatations importantes. Maurice Lamy. de son côté. avec Pierre Maroteaux. nous a apporté toute une moisson de descriptions originales  d’idées nouvelles. Il commence par donner avec Pierre Maroteaux une classification des chondrodys-rophies génosypiques. par rappeler leurs caractères radiologiques et génétiques et par décrire plusieurs maladies héréditaires du squelette qui n’usaient pas :té identifiées. Celles-ci sont tantôt confondues avec :certains nanismes ou certaines ostéopétroses. tantôt salement inconnues. La description des lésions os-;cases s’accompagne de celle d’autres organes et lis-;us, les yeux, le cerveau, les oreilles, le voile du palais n le cœur par exemple. En clinicien raffiné. Maurice Lamy découvre dans les familles de malades atteints d’ostéogeneris imperfecta des signes peu apparents et bien révélateurs, une surdité légère, un crâne à rebord, des dents transparentes, traces de la transmis-:ion du gène par des sujets au squelette solide.

Une des plus pittoresques des découvertes de Maurice Lamy et de Pierre Maroteaux est celle de la pycnodysostose qui est en vérité la maladie dont fut atteint le peintre Toulouse-Lautrec. Vous vous rap­pelez la silhouette de cet artiste magnifique. Ce petit homme — il était vraiment nain — était perpétuelle­ment juché sur un tabouret très élevé pour se trouver au niveau des modèles qu’il peignait. On était frap­pé par la brièveté de ses membres. Des traumatismes légers avaient provoqué des fractures et l’on attri­buait à celles-ci la diminution de sa taille alors qu’elle était due à la dyschondroplasie dont il était atteint. Son crâne volumineux était toujours couvert d’un chapeau pour cacher l’ouverture de la grande fonta­nelle. Elle avait frappé certains de ses contemporains. dont Francis Jourdain qui rappelle cette déformation dans ses mémoires. Toulouse-Lautrec a toujours porté une petite barbe pour dissimuler le retrait de sa mâ­choire inférieure. Bref. il présentait tous les traits d’un syndrome jusqu’alors inconnu, décrit par Maurice Lamy et Pierre Maroteaux.

Qu’on ne croie pas que ces études descriptives soient seulement utiles pour la précision des diagnos­tics. Maurice Lamy ouvre la voie aux recherches pa­thogéniques, biochimiques, qui permettront, lorsqu’on ira plus loin que l’eugénique. d’envisager une théra­peutique. Dès à présent les recherches de biologie et de physiologie sur le cartilage permettent à Maroteaux, qui continue l’œuvre de Maurice Lamy, d’éclai­rer de nouvelles lumières des domaines de la mé­decine restés jusqu’à ce jour bien obscurs.

Parmi les maladies du squelette définies par Mau­rice Lamy certaines portent aujourd’hui son nom. En outre. Maurice Lamy contribue à sa renom­mée internationale comme à la diffusion des travaux de l’école française par ses missions scientifiques, sa participation aux réunions dans de nombreux pays étrangers, ses exposés en excellent attelais. Il a su établir des liens de collaboration avec les meilleurs des généticiens du monde entier qui deviennent ses amis et les hôtes de son foyer. Ainsi s’est affirmé le rôle qu’il a joué dans l’essor de la pédiatrie mo­derne dont il a été l’un des créateurs et l’un des grands chefs de file.

Pour définir la personnalité de Maurice Lamy, les premiers mots qui viennent à l’esprit sont ceux de finesse, de délicatesse, de distinction. Sa silhouette, ses gestes, sa conversation. ses pensées, son compor­tement témoignent de ces qualités. Il supporte mal le désordre, la négligence, la vulgarité. l’emphase. la prétention des sots, la mauvaise tenue, la paresse. Son ironie, son humour, s’appliquent volontiers aux propos amphigouriques des vaniteux et des ambitieux. Il semble que ses doctrines se soient établies très tôt dans sa pensée et en quelque sorte définitivement. Appuyées sur la réflexion et la logique, ses opinions sont arrêtées. Il lui parait évident qu’il faut respecter les lois qu’on lui a enseignées, celles de l’honneur, de la franchise, du courage. de l’amour de la patrie.

Point de concessions qui ébranlent l’absolu de ses jugements. Il supporte mal les contradictions. ne cherche pas. comme tant d’autres. au cours des discussions, à comprendre ses adversaires, à les devi­ner, voire à accepter leurs opinions avec indulgence. Il discute vigoureusement et cependant son esprit narquois l’aide à convaincre le contradicteur qui se sent dominé. Dès la défaite de 1940. il s’attache à l’action du général de Gaulle et ne l’abandonnera jamais. Au Moment des discussions sur la réforme hospitalière et universitaire, à chaque attaque contre les réformateurs, il prend leur défense et notamment celle de son patron. sans jamais y manquer. Il est fidèle à l’esprit républicain et libéral, juge les hom­mes sur leurs qualités propres. sans tenir compte de leur classe sociale, de leur origine. Il est partisan de l’ordre, seul garant de la liberté et lorsque survient l’agitation de 1968. il montre son horreur pour des bouleversements qui ne lui paraissent pas justifiés. Il condamne les abandons, le manque de fermeté et les lâchetés et reste hostile aux licences et aux extrava­gances. Il déteste les violences des foules et le mépris de la personne humaine et voudrait qu’on se raidisse contre un laisser-aller qui fait oublier les grandes valeurs spirituelles.

Maurice Lamy est un intellectuel. j’oserais pres­que dire un pur intellectuel. Sans doute il estime les artisans amoureux du beau travail et de la tâche bien faite ; sans doute il souffre de voir certains de nos collègues ne pas mettre à l’honneur leurs infirmières ; sans doute à la fin de sa vie il s’intéressera aux gestes judicieux des vignerons, mais pour lai-môme comptent par-dessus tout l’intelligence et la culture.

Dès sa jeunesse il est pris d’une frénésie de lec­ture qui reste la seule vraie distraction de toute sa vie. A ses yeux le théâtre. à plus forte raison le ciné­ma et la télévision, sont sans attrait. Il aimait sa bibliothèque, il aimait ses livres et vivait en leur compagnie. Peu à peu. il néglige la lecture des journaux et des hebdomadaires, non qu’il se désin­téresse du sort du monde et de la politique de son pays, mais il préfère les grands écrivains d’autrefois et de naguère.

Il est sévère dans le choix de ses lectures. Pour qu’elles lui deviennent familières, elles doivent être enrichissantes pour l’esprit, lui apporter les éléments d’une élévation morale et favoriser l’effort vers une très grande hauteur de vues. Il goûte le style de Cha­teaubriand pour la beauté de ses phrases. Stendhal pour ses peintures minutieuses. Il aime Voltaire dont il apprécie l’esprit ironique. la puissance du génie et le scepticisme spirituel. Il admire Paul-Louis Cou­rier, polémiste défenseur de la liberté, et aussi Jules Renard. aux formules saisissantes d’une âpre ironie. Maurice Lamy reste – bien rares ceux qui le sont restés comme lui et je le regrette – fidèle à Anatole France. Peut-être avait-il quelques affinités intellec­tuelles avec Monsieur Berme ? non pas sûrement avec son indulgence et son scepticisme, mais avec son goût des humanités. N’a-t-il pas parfois regretté de n’eue point. comme l’idée lui en était venue autrefois. devenu professeur de lettres anciennes ou de lettres françaises ? II est l’un des lecteurs fidèles de Paul Valéry. Il préfère sa prose à sa poésie. objet de lon­gues discussions entre nous. Enfin il ne manque pas d’ajouter, lorsqu’il rappelle sa fidélité admirative pour le général de Gaulle. qu’il apprécie hautement ses qualités de grand écrivain.

La lecture est pour Maurice Lamy plus qu’une joie de l’esprit et le meilleur développement de sa culture, elle est aussi un instrument de perfectionne­ment. Il est de ceux qui estiment que la qualité d’homme s’acquiert peu à peu. tout le long de la vie par la conquête de soi et une constante élévation de pensée. Les livres, c’est-à-dire la société de grands esprits. sont pour lui des compagnons irremplaçables. Constamment au cours de ses dernières années, il regrette le mépris de l’humanisme et son abandon par la jeune génération.

Il est très exigeant sur la beauté de la forme, la pureté de la langue française. Il souffre des fautes de grammaire. de la lourdeur dans le style : et aussi des mots introduits dans notre langue et qui sont en vérité, soit des mots anglais. soit des mots malformés avec des racines grecque et latine associées. On sait qu’il deviendra l’un des défenseurs les plus ardents de notre langue, exigeant la correction du langage médical. hostile à l’usage des termes étrangers et des mots mal composés. La défense de la langue française est une des formes que prend dans factice son patriotisme intellectuel.

Maurice Lamy ne mène pas une existence confinée dans sa bibliothèque. Il aime le monde, la fréquentation des hommes. les conversations avec ceux qu’il estime intéressants, avant des idées et de l’esprit. Il aime aussi connaitre les personnages important;. jouant un grand rôle dans la sic sociale dans l’administration et la vie nationale. Il poursuit avec eux des entretiens animés. Il brille dans le dialogue oie des citations bien choisies font réfléchir ou sourire ses auditeurs. Il ne craint pas d’avancer des paradoxes et s’amuse lui-même de l’effet qu’ils produisent.

Maurice Lamy trouve à son foyer le bonheur. On me comprendra et on m’excusera si malgré toute mon affection et mes souvenirs je ne puis en dire tout haut davantage. le veux ajouter seulement qu’il était très fier de sa femme. de ses connaissances en archéologie et de son goût pour les belles résidences parisiennes qu’elle savait si bien faire partager. Courageusement et fort heureusement, elle continue d’accomplir cette tâche.

Il s’attache aux études, à la formation et au développement de ses trois enfants. Pendant longtemps il s’étonne que son fils Didier préfère la vie rurale, ta campagne. le travail des champs à celui des livres, mais quand il se rend compte du sérieux et de l’intérêt de cette vocation. il apprécie beaucoup la compagnie de son fils et de la famille de celui-ci. Avec sa fille Catherine, il a des affinités singulières de caractère Enfin il est très fier que Florence brille dans ses études médicales, dans une discipline pourtant différente de la sienne.

Maurice Lamy accueille avec joie sa belle-fille et ses gendres, leur donne toute son affection et sait bénéficier de leur présence dans le milieu familial ainsi que de celle de ses petits-enfants.

Dès son mariage, Maurice Lamy avait été accueilli par tous les proches parents de son épouse. Il a bénéficié du privilège de l’accueil dans une grande famille par laquelle il fut aussitôt adopté et où il put vivre des heures d’autant plus précieuses que l’atmosphère et les conversations mêmes étaient celles qu’il souhaitait et dont sa jeunesse avait été privée.

Avec Adolphe Landry. oncle de sa femme, ancien normalien, grand sociologue et homme politique, avec César Campinchi, avocat de brillante renommée devenu aussi député et ministre et le médecin de grande culture qu’est Maurice Lamy. les discussions, les évocations, les échanges d’opinions sont interminables, notamment au cours de ces imposants déjeuners de famille dont nous avons connu autrefois les formes bien réglées et un peu solennelles. Lorsque des disparitions successives, douloureusement ressenties, dispersent ces belles réunions, Maurice Lamy en garde soigneusement le souvenir et regrette de ne pouvoir en assurer le renouvellement.

Maurice Lamy cultive l’amitié. Avec l’Abbé Mugnier dont il fut le médecin, il pense « Que serait la vie sans les charmes de l’amitié !

Au début de sa carrière médicale parisienne, il rencontre Jean Christophe dont il apprécie les qualités de neurologue, la finesse et l’esprit caustique. Il est fraternellement uni à Henri Bonnet qui à la suite de S011 mariage devient son purent; ils sont liés l’un à l’autre par une affection familiale irremplaçable. A cet ami exceptionnel par sa droiture et sa générosité de czar, il donne comme nous tous, son entière confiance. Il me faut aussi citer parmi ses amis, Robert Broca qui avait pour Maurice Lamy et pour son épouse une admiration sans réserve. Maurice Lamy l’aime comme un frère et apprécie en lui le sérieux du caractère et la solidité des liens amicaux. Et aussi Turquety, son conférencier d’internat auquel il reste très attaché. La mort de Christophe et celle de Broca furent de grands deuils et leur absence regrettée pendant tout le long de sa vie.

En citant ses proches, apparait le souvenir de ma propre famille, si liée avec la famille Landry, elle-même apparentée avec celle où Maurice Lamy entra par mariage. Cette famille Landry était dominée par trois sœurs remarquables qui, associant la distinction à la culture et au courage, étaient animées par des passions généreuses, notamment celle de la politique qu’attisait le grand vent venu de Corse.

C’est à la fête de l’arbre de Noël de mon service qu’Henri Bonnet devait rencontrer celle qui fut son épouse, Simone Lassalle, et qui était la sœur aînée de Colette Lamy. C’est dans la maison familiale des Lassalle qu’Henri Bonnet présentera son ami Maurice à sa belle-sœur qu’il devait épouser.

Celles qui ont conduit ma vie s’intéressaient à Maurice et Colette Lamy et à leurs enfants. Mes propres enfants se sentaient très proches d’eux. Maurice et Colette Lamy étaient fiers de la valeur morale et du succès de Michel, très liés avec ma fille Claude ct sont parmi les admirateurs de la peinture de mon fils Olivier.

Nos maisons nous étaient familières aux uns et aux autres. Chaque été, Maurice et Colette Lamy venaient

régulièrement – rite respecté et aimé – nous retrouver dans la campagne tourangelle. Et je préparais avec soin sur la table de ma bibliothèque les livres récemment parus, attendant avec impatience les critiques qu’en ferait Maurice Lamy et prêt à en parler avec lui. interminablement.

Pendant un demi-siècle Maurice Lamy ne m’a jamais quitté : interne, élève, collaborateur, compagnon, ami, je ne l’ai jamais oublié.

Vers la fin de sa vie, Maurice Lamy change quelque peu. Je ne puis dire vraiment que cet urbain devient rural, quoiqu’il se plaise dans sa maison de campagne du Bordelais, qu’il se réjouisse de voir pousser ses vignes et qu’il soit très heureux d’y recevoir ses enfants et ses petits-enfants.

La mort saisit chacun d’entre nous de façon différente, elle peut nous terrasser tout d’un coup ou au contraire longtemps nous faire souffrir avant que s’achève la vie. Maurice Lamy n’eut pas, à proprement parler, de douleurs mais on le vit pâlir, maigrir, perdre l’appétit et le souffle. Il ressentait une immense fatigue. Son médecin, André Herrault, aussi savant que dévoué et sage, essayait à la fois de donner quelques espoirs et de faire sentir ses inquiétudes. Longtemps il accomplit cette tâche difficile, parfois douloureuse. De loin. Jean Bernard surveillait discrètement le traitement sans apparaitre, comme il l’a fait souvent pour des amis et des grands personnages.

Personnellement, je restais aux côtés de Maurice Lamy, partageant en quelque sorte l’énergie à laquelle il devait faire appel pour poursuivre son travail. Il continue à remplir sa tâche de Secrétaire perpétuel de notre Académie malgré l’épuisement et la sensation que sans doute le terme approchait.

fi passe son dernier mois dans sa maison du Bordelais, très las, lisant étendu à l’ombre d’un grand arbre, jusqu’au moment où s’abat sur lui la détresse respiratoire. D’urgence il fut conduit par son ami Francis Tayeau dans le service de réanimation de l’Hôpital de Bordeaux. Malgré les soins remarquables, le soulagement et une brève rémission, bientôt, la maladie, comme il était prévu. triomphait.

Il avait lui-même décidé la manière dont se dérouleraient ses obsèques qui eurent lieu à l’Eglise Sainte-Clotilde à Paris.

Maurice Lamy avait gardé vis-à-vis de sa religion un comportement particulier qui surprenait certains mais ne m’étonnait point car il était trop pudique pour s’exprimer mais désireux par allusions de me faire comprendre ce qu’il pensait. Son attitude d’ailleurs était celle d’autres grandes personnalités du passé et du temps présent. L’esprit rationnel de Maurice Lamy était trop critique pour accepter dans leur totalité les articles d’une Foi. Il avait un souci de la vérité historique et une culture telle qu’il ne pouvait tenir pour vrai ce que nous connaissons des récits des Saintes Ecritures. Il avait un caractère trop indépendant et rebelle pour se soumettre aveuglément aux ordres d’une Eglise. Néanmoins il avait gardé au fond de lui-même le plus grand respect, une certaine forme d’adhésion, et même de l’attachement aux sacrements et aux rites de l’Eglise catholique. Il n’y avait point dans cette attitude de contradiction intime. Il s’était souvent entretenu avec l’abbé Jarry, professeur à l’Institut Catholique, aussi avec Monseigneur Cheviot, curé de Saint-François Xavier, dont nous avons connu le libéralisme et le courage pendant le temps de la Résistance.

La messe fut célébrée à l’Eglise Sainte-Clotilde, aux sons de l’orgue sur lequel César Franck avait joué et du plain-chant grégorien. et dite en latin comme dans sa jeunesse. Peut-être en prévoyant ce cérémonial, Maurice Lamy avait-il revécu ses années d’enfance et l’évocation nostalgique de sa mère lia pieuse qu’il ne connut jamais.

Point de discours sous le porche, les honneurs militaires rendus à sa grande dignité dans la Légion d’Honneur, puis au petit cimetière de Triel devant quelques intimes et les siens, un adieu prononcé en de nobles paroles par Jean Frézal. Ainsi nous quitta Maurice Lamy.

Je ne puis, vous le sentez bien, exprimer l’immense chagrin que je ressens. Je ne puis non plus cire aux siens qui sont devant moi toute la part que je prends à leur immense peine, mais je dois, au nom de cette Académie, leur dire que nous sommes profondément frappés par la disparition de l’un des meilleurs parmi les nôtres, d’un homme qui fut dans le sens plein que l’on donnait à ces mots au XVIII. siècle, un honnête homme. Maurice Lamy eut une belle vie. Il a été un grand médecin et un Français de la plus haute valeur.

 

 

sa vie son œuvre – extrait de la revue RIDENDO – 1937 – extrait du Trait d’Union n° 8
cette revue, faite par des médecins à l’intention de leurs confrères, est parue pendant une dizaine d’années

Le droit mène à tout, à condition d’en sortir. C’est sans doute l’opinion du Docteur Lamy. Fils, petit-fils, arrière-petit-fils et frère de juristes, il était destiné, semble-t-il sinon par atavisme, du moins par la force de l’habitude, à ne pas déparer une profession extra-juridique; une si belle lignée tout entière vouée au culte de Thémis.

D’autant plus qu’étant né de papa normand et de maman picarde, il appartient à deux races qui ont produit quelques finauds et passent pour avoir le goût de la chicane : Racine n’a-t-il pas situé l’action des « Plaideurs » en Normandie ? Comment donc Maurice Lamy, futur avocat, futur magistrat, futur notaire, futur avoué (car on est tout cela en puissance quand on franchit le seuil auguste d’une faculté de droit) comment Maurice Lamy fut-il amené par un revirement subit de jurisprudence familiale, à balancer la balance symbolique ?

Le plus simplement du monde : « Nous avions un vieil ami, le père Belin, qui était médecin à la Charité. Son influence décida de ma carrière. Mais sans doute n’eut-il pas grand mal à me convertir car aucune vocation irrésistible ne me poussait vers les subtilités du Droit civil ».

Et il y eut un beau jour une petite scène de famille, une de ces scènes auxquelles il n’est pas nécessaire d’assister pour en imaginer le décor et les circonstances, quand le jeune Maurice annonça tout de go à son papa qu’il voulait être médecin.

Le docteur Belin dut être béni ! Les fantômes des ancêtres rôdèrent, frémissants, sous l’hermine, la toge et la toque. Maitre Lamy père regarda son fils « comme une poule qui aurait pondu un canard ».

Maurice allait mal tourner !

Mais les pères modernes ne sont plus des barbons ni des tyrans; ils savent s’incliner devant la volonté filiale.

Et voilà comment Maurice Lamy, ayant dédaigné la basoche, nous a reçu dans un cabinet où si l’on vient à parler de purge, il ne s’agit aucunement de la purge des hypothèques.

Picard mâtiné de Normand avons-nous dit : précisons né natif d’Amiens. Il aime sa ville natale, ce en quoi nous l’approuvons, car elle mérite d’être aimée. Mais il vante moins les splendeurs de sa cathédrale et les trésors du musée Puvis de Chavannes, que les spécialités culinaires de sa petite patrie. Et il nous a donné un conseil que nous vous transmettons bien volontiers : le pâté de canard de chez Godbert est parait-il de bon aloi et les huitres de Joséphine sont royales (nous allions écrire : impériales). Donc , si vous passez prochainement par la capitale de la Picardie, vous savez ce qu’il vous reste à faire : vous obéirez à cet impératif gastronomique.

Et tant pis pour votre foie, et tant pis pour votre régime !

Cela dit, le Docteur Lamy a tenu à réformer un jugement trop répandu : « On médit de la Picardie. A tous ceux qui ont fait la guerre, la Picardie laisse le souvenir d’un enfer de boue et de barbelés. Et pourtant, avec ses prairies, ses bois et la douceur brumeuse de ses horizons, elle ne manque ni de charme, ni de coins charmants ».

La médecine a permis au Docteur Lamy de découvrir l’Amérique. Car cinq siècles après Colomb, l’Amérique reste pour la plupart d’entre nous à découvrir. Ne nous faisons-nous pas du Nouveau-Monde, les mêmes idées fausses que, précisément, l’Américain se fait de l’Ancien ? Nous emportons un bagage d’images d’Epinal aux couleurs indélébiles. Les gratte-ciel, la statue de la Liberté, de grands pieds sur le coin d’une table, des cigares serrés par des râteliers d’or, des exploits de gangsters, les pantomimes de Charlie Chaplin, le sourire du Président Roosevelt et les seins de Mae West, voilà pour nous, le cocktail américain.

Et pourtant !… « Je ne suis pas du tout d’accord avec Duhamel. Sa sévérité est injuste. J’ai rencontré là-bas des gens charmants, enthousiastes et cordiaux. Certains, évidemment, ignorent tout des choses de

l’Europe, témoin ce docteur de Chicago qui m’a demandé sans sourciller : Est-ce qu’il y a des tramways à Paris ? Mais moi-même, n’avais-je pas des idées préconçues ? Ainsi, pendant mon séjour à Chicago, je voulus naturellement visiter ces légendaires abattoirs où dit-on, lorsqu’un ouvrier tombe dans l’appareil à faire les saucisses, on n’arrête pas pour si peu la machine (time is money !) On se moqua de moi : ces abattoirs tant vantés n’ont rien d’extraordinaire. Ils datent de 1870′ et en fait de modernisme, l’Amérique a fait mieux ».

Encore une illusion perdue !

Avant de découvrir le Nouveau-Monde, il reste encore assez de pays de la vieille Europe à explorer. C’est ce qu’a fait le Docteur Lamy en visitant l’Allemagne, l’Autriche, la Tchécoslovaquie.

Mais comme on ne peut passer son temps à voyager, le Docteur Lamy s’est aménagé au sommet d’un immeuble de la vieille et noble rue de Varenne un logis délicieux. Le modernisme hardi de cet intérieur paré de toiles non moins modernes, des Vlaminck, des Pissarro (et notamment un trieur de choux, tout-à-fait à son aise chez un médecin d’enfants) contraste très heureusement avec le classique horizon de toitures, de clochers et de dômes que Paris offre à qui le contemple d’un peu haut.

C’est pour jouir tout à son aise de ce spectacle, dont on ne se lasse pas, que le Docteur Lamy possède « sa » terrasse d’où il nous a fait les honneurs de son panorama, comme un propriétaire de son domaine et nous a dit : « Je vais vous montrer le musée Rodin » comme s’il en était le conservateur.

 

ses travaux scientifiques

Nous disposons d’un opuscule de format 21 x 27 mm donnant les titres des travaux scientifiques du docteur Maurice LAMY : 732 livres et publications (nombre impressionnant !) – nous tenons l’opuscule à disposition), avec, en tête, ses nombreux titres et ses nombreuses fonctions, que vous pouvez consulter en cliquant ici.

 

lettres accompagnant le don du chateau de Vignacourt – voir ici

 

la cafetière  – 1950 – extrait du Trait d’Union n°2
Lors d’une conversation avec quelques amis, Maurice LAMY avait parié qu’il pourrait, en cinq minutes, aussi bien décrire sa cafetière qu’évoquer le passé, le présent et l’avenir de l’Europe. Voici le texte conernant la cafetière, rédigé par lui à la suite de ce pari 

On peut tout dire en cinq minutes 
L’admirez-vous, ma cafetière ? Elle est faite d’une belle matière, d’un argent bien franc, bien pur, bien honnête. Si vous ne me croyez pas sur parole, regardez le double poinçon qui apporte ici son témoignage. L’aimez-vous ? Elle est blessée, c’est vrai. Des bosses la déforment, la défigurent un peu, quelle doit aux secousses des voyages et aux brutalités des déménageurs qui l’ont maniée sans tendresse. La teinte n’en est pas très belle, un peu jaunie. C’est que l’argent exige des soins et de la diligence et l’on ne peut plus se faire servir, vous savez. Ma grand-mère disait déjà cela. Peut-être, cette cafetière, l’auriez-vous aimée plus simple, une forme sans décor. Je vois, vous auriez voulu une pièce d’orfèvrerie d’un style plus dépouillé, vous préférez Louis XVI à Louis XV. Au fait, c’est devant un Louis XV bien approximatif que nous sommes ici. Bien sûr, je suis d’accord avec vous, trop d’arabesques et de godrons, de festons et d’astragales. Cette pièce, voyez-vous, je pense qu’elle vint au jour sous le proconsulat de Mac-Mahon plutôt que sous le règne du Bien-Aimé. Je crois bien – je vous le dis en confidence – je crois bien que ce n’est pas celle que renversa son royal amant quand la Pompadour lui dit : « La France, ton café fout le camp ! ».

Eh bien, si républicaine qu’elle soit, je l’aime ma cafetière ! Elle me rappelle tant de souvenirs. Dans ma bonne ville d’Amiens, ce n’est pas tous les jours qu’on la mettait sur la table, le dimanche seulement, pour le déjeuner que nous prenions chez nos grands-parents. Après la langue de veau, le gigot de mouton encadré de flageolets tendres, après ce fromage sans lequel le meilleur repas est, dit-on, une belle à qui il manque un œil, paraissait sur la table un Saint-Honoré de belle taille, glacé de sucre fondu, centré d’une crème fraîche et onctueuse, c’était un hommage à ce Saint-Honoré qui fut notre évêque mais aussi le patron des boulangers, peut-être aussi celui des pâtissiers. Ursule, la bonne, apportait alors la cafetière. Ma grand’mère maniait avec prudence le manche de métal brûlant et versait dans les tasses, celles des grandes personnes, ce breuvage odorant dont Madame de Sévigné disait « qu’il passerait comme Racine ou bien Racine comme lui ! ». Comme il est malaisé de prévoir l’avenir ! Le café est toujours de mode et le Théâtre Français, la semaine passée, a repris Britannicus. Mais laissons la marquise et revenons à ma grand’mère. Elle ne tardait pas à s’assoupir sur na Semaine religieuse » pendant que la tête de mon grand-père dodelinait doucement sur son journal. Mon père nous aidait alors à ranger et à classer nos collections de cartes postales. Elles étaient à la mode les années 1906. Mon frère avait, par droit d’ainesse, choisi de collectionner les gares ; au cadet il restait les théâtres. Faut-il vous dire que je méjugeais mal partagé. Nos psychanalystes d’aujourd’hui auraient dit de moi que j’étais « complexé » ou bien que j’éprouvais un sentiment de frustration. C’est que les théâtres sont moins nombreux que les gares, en France, et ma collection était maigre. Et puis, c’étaient des façades un peu froides que les miennes, des édifices un peu morts que n’animait ni la puissance des locomotives, ni les volutes des vapeurs et des fumées. Les cadets sont bien malheureux.

Voilà bien des souvenirs. Pour moi, ce soir, cette cafetière, comme pour Proust sa petite madeleine, c’est l’évocation des lieux et des êtres, des jours et des joies, la tendresse, toute l’enfance….

« Objets inanimés, dit le poète, objets inanimés, avez-vous donc une âme qui s’attache à notre âme et à la force d’aimer ».

 

une rencontre insolite 

Maurice LAMY, époux de Colette LASSALLE, s’est engagé dans la 1ère Armée en 1944 . (sources : souvenirs de son fils Didier, et article du Professeur Debré : voir plus haut.

A Mulhouse, très fortuitement, le 9 mars 1945, il a rencontré sa cousine, issue de germaine par alliance, Lala (Létizia LANDRY : voir  ici son parcours) – qui s’était engagée de son coté comme AFAT – en fait, comme conductrice de poids lourds . A Altkirch, le 13 mars, ils ont déjeuné ensemble. (source : le carnet de poche de Lala), 

                 

 

 

 

 

 

L’histoire ne dit pas ce qu’ont pensé les officiers du mess en voyant leur colonel inviter une simple auxiliaire (AFAT = Auxiliaire Féminine de l’Armée de Terre) et la voir bavarder à tu et à toi avec un officier supérieur (Maurice LAMY était commandant).